Les besoins croissants en électricité, en particulier dans les pays en développement, ainsi que la menace d’un changement climatique dû à l’usage immodéré des combustibles fossiles ont conduit à une floraison de projets de nouvelles centrales nucléaires dans le monde. Certains experts du secteur envisagent même une « renaissance du nucléaire » en plusieurs étapes. Quel est donc l’avenir du nucléaire et quels problèmes pose-t-il ? Il est opportun de faire le point sur cette importante question à la lumière de rapports récents.
Mise en question après l’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island survenu en Pennsylvanie en mars 1979 (cet accident provoqua une fusion partielle du cœur du réacteur, maîtrisé il fut sans conséquences graves) et surtout celui de Tchernobyl, survenu en Ukraine en 1986, la filière nucléaire est restée en « stand by » depuis une vingtaine d’années, notamment aux USA. La menace d’un réchauffement climatique dont la cause majeure est l’utilisation massive des combustibles fossiles (80% de l’énergie primaire mondiale) et surtout la très forte croissance de la demande mondiale d’électricité (produite à 40% avec du charbon) ont conduit à réévaluer les perspectives du nucléaire qui ne produit que 15% de l’électricité mondiale et, depuis 2005, la filière semble promise à une relance. Ainsi, dans son rapport sur les perspectives technologiques de l’énergie à l’horizon 2050 (IEA, Energy Technology Perspectives 2010, www.iea.org) l’AIE propose-t-elle un scénario, baptisé Blue map, relativement économe en énergie car il ne prévoit qu’une croissance d’un tiers de la consommation mondiale d’énergie entre 2007 et 2050 (au lieu de 80% pour les scénarios habituels) qui permettrait de limiter à + 2° C l’augmentation de la température moyenne de la planète, et dans lequel le secteur de la production d’électricité devra réaliser des efforts techniques les plus importants. Il s’agit de développer les énergies renouvelables mais aussi le nucléaire dont la part devrait passer de 15% à 24% d’ici 2050 : la puissance nucléaire installée est aujourd’hui de 374 GW, elle passerait à 610 GW en 2050 ce qui représente un bond considérable et probablement pas réalisable.
En 2010, constatant que 56 nouveaux réacteurs sont en construction dans 14 pays (dont 20 en Chine), on peut estimer que le nucléaire est soit en « Renaissance » soit en « transition » comme le souligne un intéressant article sur l’avenir de la filière publié par deux chercheurs britanniques d’Imperial College à Londres (Robin W. Grimes, William J. Nuttal, « Generating the option of a two stage nuclear renaissance », Science, vol. 329, p. 799, 13 August 2010, www.sciencemag.org). Le développement de la filière nucléaire (une filière très capitalistique, le coût de construction d’un réacteur de 1GW étant de l’ordre de 2 milliards d’euros) suppose qu’elle améliore ses conditions de sécurité, s’assure de la disponibilité de combustible (l’uranium) et trouve des solutions acceptables pour le traitement et de stockage des déchets. D’où l’idée d‘étapes à franchir pour assurer un développement du nucléaire si on considère que celui-ci est politiquement et socialement « acceptable ». A court terme (les vingt prochaines années) le passage à la troisième génération du nucléaire (Gen. III) est une étape importante qui est en cours. Il s’agit de construire des centrales d’une puissance minimum de 1000 MW, d’une durée de vie de soixante ans environ et dont la sûreté de fonctionnement est meilleure que celle des centrales actuelles. Une dizaine de types de centrales sont envisagées ou en cours de construction. La plus connue est le réacteur EPR (European Pressurized Ractor) mis au point par Areva en France (quatre réacteurs EPR sont en construction : un en Finlande, un en France à Flamanville et deux en Chine). A l’exception d’un réacteur canadien fonctionnant avec de l’eau lourde comme modérateur, tous ces réacteurs de la Gen III utilisent l’eau légère (sous pression ou bouillante) comme liquide modérateur et caloporteur et l’uranium enrichi comme combustible (l’EPR pourra utiliser un mélange uranium-plutonium comme combustible, le Mox, et le réacteur canadien de l’uranium faiblement enrichi). Leur puissance est supérieure à 1000 W (1650 MW pour l’EPR) mais Areva étudie avec le Japonais Mitsubishi une variante moins coûteuse à 1000 MW, le réacteur Atmea. Les dispositifs de sécurité sont renforcés (double enveloppe de béton, invulnérabilité contre d’éventuelles attaques terroristes et chute d’avion, circuits passifs et actifs à l’intérieur pour éviter un accident) et les taux d’utilisation devraient atteindre 90% au lieu de 70% en moyenne aujourd’hui. Cette filière devrait trouver sa dynamique d’ici 2030 mais elle n’est pas sans problèmes comme le montrent les difficultés rencontrées par l’EPR dans sa phase de construction (essentiellement sur le génie civil) et qui font grimper son coût. Ce coût élevé justifie d’envisager des options plus petites, comme l’Atmea pour des pays en développement dont les moyens financiers sont plus limités et dont le réseau électrique n’a pas la capacité d’accepter de fortes puissances. Par ailleurs l’augmentation de la puissance et de la durée de vie des réacteurs exige des matériaux résistants à des plus hautes températures (le combustible et les métaux de leurs gaines) et dont les comportements mécanique et thermique doivent être mieux connus (il faut éviter des gradients thermiques trop importants dans les tubes de combustible), cela suppose un effort de recherche soutenu.
Au-delà de 2030, la filière de la Gen III restera certainement une option importante mais d’autres options sont envisageables en particulier pour le combustible. Celle d’un combustible constitué par un « mélange » uranium- plutonium en est une (le MOX développé par la France, le Royaume-Uni et la Russie), elle suppose un retraitement de l’uranium des centrales techniquement au point. Une option différente consisterait à utiliser le thorium comme combustible (le minerai de thorium est aussi abondant que celui d’uranium). Le thorium est fertile (il peut capturer un neutron) et se transformer en uranium 233 qui est fissile (comme l’uranium 235) et donc utilisable comme combustible. C’est une voie dans laquelle s’engage l’Inde, l’uranium 233 a le désavantage d’être difficile à manipuler mais l’avantage d’être ainsi moins « proliférant » (il est difficile à utiliser pour fabriquer une arme nucléaire). Une troisième option, probablement d’avenir, est un scénario fondé sur l’utilisation du plutonium produit dans le cœur d’un réacteur à partir de l’uranium : c’est la filière dite des surgénérateurs (IV e génération du nucléaire). La transformation de l’uranium 238 en plutonium est d’autant plus efficace dans un réacteur que les neutrons y sont plus rapides, les réacteurs sont ainsi qualifiés de « rapides » : on produit plus de combustible, du plutoium, dans les réacteurs que l’on en a brûlé, d’où leur nom de surgénérateurs. Tout le problème sera d’assurer la sûreté de fonctionnement des futurs réacteurs qui doivent extraire la chaleur du cœur soit avec un métal liquide (du sodium ou un alliage de plomb et de bismuth) ou des sels fondus, soit avec un gaz comme l’hélium ; les réacteurs devraient fonctionner à très haute température (500 à 800° C) et leur rendement serait donc élevé. La filière ne sera probablement pas opérationnelle avant 2030-2040, elle constituerait une véritable rupture technique pour le nucléaire avec un double avantage : elle permettrait de recycler une grande partie du plutonium et elle repousserait de plusieurs siècles l’horizon de l’épuisement des réserves d’uranium. Une quatrième option, encore prospective, consisterait à utiliser un accélérateur de particules qui bombarderait une cible de plomb placée au centre d’un réacteur, les neutrons émis par le bombardement provoqueraient une réaction en chaîne dans le combustible qu’ils entretiendraient ; un arrêt de l’accélérateur interromprait la réaction en chaîne. Ce réacteur serait intéressant comme « incinérateur » des déchets nucléaires à vie longue notamment.
Pour l’avenir, le choix des combustibles nucléaires apparaît comme un paramètre critique. A cet égard la publication par le MIT d’un nouveau rapport sur les combustibles nucléaires The future of the nuclear fuel cycle MIT, www.mit.edu/mitei/docs/spotlights/nuclear-fuel-cycle) est éclairant mais sa lecture fait en quelque sorte l’effet d’une douche froide sur les filières futures et en particulier sur celles au plutonium. Il est clair que le retraitement, le recyclage et le stockage des déchets nucléaires demeurent un chantier crucial pour le nucléaire et le président Obama a d’ailleurs décidé tout à la fois une relance modérée du nucléaire et l’abandon d’un projet de stockage des déchets nucléaire dans le sous-sol sur le site de Yucca Mountain dans le Nevada qui était à l’étude depuis plusieurs années. Par ailleurs, les USA ont renforcé, leur forte prévention à l’égard de la prolifération nucléaire. Le rapport du MIT part d’une affirmation assez catégorique : les ressources en uranium disponible aux USA sont suffisantes pour alimenter un parc de centrales, jusqu’à la fin du siècle, même dans le cadre d’un scénario de croissance du nucléaire, et il n’est donc pas nécessaire d’utiliser, dés aujourd’hui, le plutonium qui proviendrait d’un retraitement du combustible. En revanche, il est indispensable de réaliser une bonne gestion des combustibles usagés afin de laisser la porte ouverte à des options futures comme les surgénérateurs par exemple. Le gouvernement américain doit donc prévoir des lieux de stockage sûrs avec un important programme de R&D sur le stockage des déchets. Le rapport examine les options possibles pour de futures filières (nous les avons explicitées) mais il conclut qu’il est préférable de ne démarrer un programme de réacteurs rapides (utilisant des neutrons rapides comme les futurs surgénérateurs) qu’avec de l’uranium faiblement enrichi plutôt qu’avec du plutonium. Le MIT estime qu’une transition du nucléaire, avec des nouvelles filières de combustible, prendra de 50 à 100 ans et qu’il y a donc lieu de procéder par étapes. A court terme la viabilité économique de nouvelles filières doit être assurée et le programme lancé par la nouvelle Administration avec des garanties financières accordées aux producteurs devrait permettre de tester ces filières, il recommande ainsi de ne pas dépasser une première vague de 7 à 10 centrales. Les conditions financières imposées par le gouvernement fédéral (une garantie de prêt fédéral) sont assez strictes et EDF et Areva qui devaient construire un EPR avec la société américaine Constellation Energy dans le Maryland vont peut être se trouver contraints à y renoncer. Le rapport du MIT révèle finalement les hésitations américaines face aux perspectives du nucléaire, en particulier vis-à-vis d’options telles que les surgénérateurs qui feraient appel au plutonium, et plus généralement celles de sa politique énergétique. S’il semble quelque peu démobilisateur, il a néanmoins le mérite de montrer que la gestion des déchets est un objectif qui devrait mobiliser la recherche pendant de nombreuses années car cette question reste le talon d’Achille du nucléaire.
Dans les faits plutôt que l’idée d’une renaissance du nucléaire, c’est davantage la vision qu’une transition du nucléaire est amorcée avec la Gen. III qui semble s’imposer. On peut penser avec les experts du MIT que cette transition sera longue, jusque dans les années 2050 sans doute. Cette transition peut coûter cher financièrement, mais elle aura aussi un prix politique : le nucléaire devra être socialement acceptable et accepté (d’où la nécessité de travaux sur les déchets et la sécurité en toute transparence), les conditions internationales évitant une prolifération à des fins militaires devront être renforcées. Enfin, et ce n’est pas le moindre des aspects du dossier, les pays développant les techniques nucléaires devront être capables de mobiliser des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens pour assurer la « durabilité » du nucléaire ce qui est aussi un défi.