Deux grandes filières se partagent aujourd’hui la capacité de production d’électricité à partir de l’énergie solaire : – la voie de conversion photovoltaïque utilisant des semi-conducteurs, et notamment le silicium, qui connaît depuis trois ans un développement rapide dans de nombreux pays – la voie thermodynamique qui permet de convertir la chaleur solaire en électricité via un moteur thermique et un générateur. Les travaux récents d’une équipe américaine viennent peut être d’ouvrir une troisième voie en utilisant le phénomène de l’émission thermoionique. Si le rendement de ce procédé s’avérait être élevé (de l’ordre de 50%), ce serait alors une véritable rupture.
La mise au point de nouveaux matériaux plus performants pour les cellules solaires photovoltaïques est une voie de travail importante pour la recherche mais peu de progrès techniques réellement décisifs ont été enregistrés récemment dans ce domaine, même si des pistes nouvelles sont explorées. Cela n’empêche pas l’énergie solaire de connaître depuis trois ans une accélération très nette des investissements en sa faveur (cf. www.epia.org ) dans la plupart des pays et la Chine a pris le leadership mondial de la production des panneaux photovoltaïques. La filière solaire, nous l’avons souvent souligné à plusieurs reprises, est loin d’avoir résolu tous ses problèmes de « jeunesse »: – les coûts de fabrication des panneaux solaires demeurent encore élevés mais si la quantité de silicium dans les cellules a été divisée par près d’un facteur trois depuis dix ans, il faudrait encore les réduire d’un facteur de 2 à 5 (l’épaisseur des films de silicium conventionnels constituant les cellules est de l’ordre de 300 microns) – les rendements des cellules peinent à augmenter en dépit de réels progrès (ils plafonnent à 20% pour les cellules au silicium) – de nombreux projets de construction de centrales solaires à concentration sont prévus (l’énergie solaire est concentré par un jeu de miroirs sur une tour où elle va vaporiser un liquide alimentant une turbine électrique), en particulier le projet « Desertec » en Afrique du Nord, mais cette technique doit encore faire ses preuves. Une autre stratégie plus classique, et que nous avons souvent évoquée, consiste à utiliser d’autres matériaux que le silicium ce qui aurait l’avantage de permettre de capturer une plus large fraction du spectre de la lumière solaire ; un matériau semi-conducteur n’absorbe que la lumière dont l’énergie est suffisante pour arracher les électrons attachés à ses atomes et les expédier dans la masse les transformant ainsi en électrons de conduction capables d’alimenter un courant électrique. Des progrès ont été enregistrés récemment avec des composés qui sont des nitrures (de gallium, d’indium et d’aluminium) et qui permettent de constituer sur mesure des cellules solaires absorbant une plus large fraction du spectre solaire que le silicium.
C’est une toute autre voie d’utilisation de l’énergie solaire qu’une équipe de chercheurs américains de l’université Stanford, en Californie, dirigée par N.A.Melosh, a proposé très récemment d’emprunter : elle consiste à mettre en oeuvre le phénomène de la thermoionisation (J.W.Schwede et al. « Photon-enhanced thermoionic emission for solar concentrator systems », Nature Materials, p.762-767, september 2010, www.nature.com/nmat/journal ). La thermoionisation est l’émission d’électrons (des “particules” d’électricité) par un solide sous l’action de la chaleur : ceux-ci sont excités par la chaleur, véhiculée par un rayonnement par exemple et, captés par une électrode, ils forment un courant électrique. Un convertisseur thermoionique est constitué de deux électrodes (une cathode et une anode) : quand la cathode (l’électrode positive) est chauffée, ses électrons sont excités et émis en direction de l’anode (plus froide) qui les récupère et ils sont dirigés sous forme d’un courant électrique dans un circuit extérieur. Ce processus n’est pas nouveau puisqu’il avait déjà été utilisé à bord de satellites russes mais il n’avait jamais été mis en œuvre dans des systèmes « terrestres » car pour fonctionner correctement la cathode doit être portée à haute température (1500°C environ). Dans les dispositifs russes la cathode était un métal tel que le césium. L’originalité du nouveau dispositif imaginé par les chercheurs américains consiste dans la combinaison de deux effets : l’effet photoélectrique et la thermoionisation. En effet, le processus d’émission s’effectue en deux temps dans la cathode qui est constituée d’un semi-conducteur. Celle-ci est éclairée par de la lumière solaire et dans une première étape des électrons sont « préexcités » par les photons lumineux (ils passent dans ce que les physiciens appellent la bande de conduction du semi-conducteur où ils sont en quelque sorte libres) puis, gagnant de l’énergie thermique véhiculée par le rayonnement, ils peuvent alors sortir de la cathode pour être récupérés par l’anode et former un courant électrique. L’équipe américaine a utilisé un semi-conducteur qui est le nitrure de gallium. Ce nouveau dispositif qui combine deux effets pour la conversion de l’énergie solaire en électricité a l’avantage de la convertir avec un meilleur rendement. Une cellule solaire photovoltaïque utilisant le silicium, par exemple, ne fonctionne pratiquement plus lorsque la température dépasse 200°C au sein de la cellule où près de 50% de l’énergie solaire captée y est transformée en chaleur. Dans les cellules utilisant la conversion thermionique, le rendement augmente avec la température (il est de 25% à 200°C) : les conditions de fonctionnement optimum se situeraient dans une zone de 400°C-600°C mais il faudrait sans doute utiliser des concentrateurs pour augmenter l’intensité du rayonnement capté par la cathode. Une fraction de l’énergie solaire captée est re-rayonnée par les électrodes sous forme de chaleur (du rayonnement infrarouge) qui pourrait être alors utilisée dans un système thermique pour fournir de l’énergie électrique via une petite turbine et un générateur. Les chercheurs américains estiment que dans ces conditions d’utilisation, le rendement global de conversion de l’énergie solaire pourrait atteindre 50%.
Il est encore trop tôt pour estimer si ces nouvelles cellules représentent une véritable rupture technique, des tests doivent encore être réalisés sur des prototypes de grande taille, analogues aux panneaux solaires photovoltaïques actuels, afin de bien mesurer les rendements et de réaliser un couplage avec des dispositifs thermiques classiques mais il est clair qu’elles ouvrent une nouvelle voie qui est peut être prometteuse. Une fois de plus le problème des matériaux (les semi-conducteurs pour la cathode) sera un paramètre critique pour le succès du dispositif. Ces travaux montrent aussi que l’avenir de l’électricité photovoltaïque n’est pas encore scellé (« les carottes solaires ne sont pas encore cuites » !) et que bien des voies que l’on n’imaginait pas devoir être praticables, il y a dix ans, peuvent devenir des solutions pour l’avenir. Autrement dit il faut envisager avec prudence le développement du solaire photovoltaïque en évitant de miser trop rapidement sur des voies classiques (celle de la filière silicium par exemple) qui pourraient s’avérer moins rentables à l’avenir. L’effort de recherche ne doit pas se relâcher dans ces domaines mais il n’est pas certain que la stratégie de recherche en France tienne compte de ces données pour laisser « du temps au temps ».