Energie des mers: des algues aux biocarburants

seatrials3.jpgL’énergie des mers revient périodiquement d’actualité, en particulier en France, et l’on évoque souvent les perspectives prometteuses des algues comme source de matières premières pour produire des biocarburants. Les algues constitueraient la filière des biocarburants de troisième génération. Un rapport récent du département de l’énergie aux Etats-Unis donne une feuille de route pour la recherche  dans ce domaine….la perspective des vacances est une occasion de faire de faire le point avec ce rapport.

Le « Grenelle de la mer », organisé en France en 2009, avait relancé le débat sur les possibilités offertes par l’énergie des mers sans avoir procédé pour autant à une évaluation réaliste de leurs perspectives. Celles offertes en particulier par la filière des algues pour produire des biocarburants étaient passées au second plan alors que dans plusieurs pays, aux Etats-Unis en particulier, des efforts de recherche importants lui sont consacrés. En effet, plusieurs espèces d’algues produisent naturellement des huiles qui peuvent être utilisées directement ou indirectement comme carburants dans des moteurs diesel. Il « suffirait » donc de procéder à la culture d’algues dans des bassins ou des bioréacteurs pour produire de la matière première pour cette filière de biocarburants dites de « Troisième Génération ». En fait la route vers la mer pour en retirer de l’énergie n’est pas aussi droite que cela et un récent rapport du DOE (Department of Energy) aux USA a établi une nouvelle feuille de route pour le programme américain dans ce domaine (National Algal biofuels Technology Roadmap, http: //biomass.energy.gov). Ce rapport a le mérite de bien présenter les enjeux scientifiques de la filière. Rappelons d’abord qu’il existe de nombreuses espèces d’algues mais qui se répartissent en deux grandes catégories : – les microalgues et les cyanobactéries – les macroalgues que l’on trouve souvent sur les plages (du type des laminaires par exemple et qui peuvent être vertes, brunes ou rouges). Les algues produisent trois types de polymères naturels : les lipides (des triglycérides et des acides gars), les carbohydrates (des sucres stockés en partie dans de la cellulose de l’enveloppe végétale), des protéines. Les lipides peuvent être transformés en biodiesel et les carbohydrates en bioéthanol (éventuellement en hydrocarbures). Les protéines extraites des algues peuvent servir à l’alimentation humaine et animale. Les microlagues sont plus riches en acides gras et les macroalgues contiennent peu de lipides mais sont riches en carbohydrates.

Les rendements de production de biocarburants à partir des algues sont excellents car celles-ci, il faut le souligner, ont l’avantage de fixer deux à trois fois plus de gaz carbonique que les plantes terrestres. La production de biocarburants à partir d’algues présente une série d’avantages importants. Le principal étant que la production de matière première à l’ha est très importante. En effet, selon certains experts, la culture de masse d’algues pourrait permettre de produire de 5.000 à 50.000 litres de lipides à l’hectare (les rendements à l’hectare sont de 10 à 50 fois plus élevés qu’avec le tournesol et 10 fois plus élevés qu’avec de l’huile de palme). Elle présente aussi cinq autres avantages : – la matière première n’a pas d’usage pour l’alimentation humaine (sauf exception au Japon en particulier) – les algues peuvent être cultivées sur des espaces impropres aux cultures classiques (par exemple bord de mer, terrains marécageux avec de seaux saumâtres) – la culture peut utiliser des eaux de toute nature (eau douce, eau de mer, eaux saumâtres, eaux résiduelles) – la culture donne des co-produits utilisables dans l’alimentation animale (des protéines) ou éventuellement la chimie – elle fixe du CO2 et pourrait ouvrir une voie pour se débarrasser du CO2 émis par des installations industrielles. Pour la plupart des algues (et en particulier les macroalgues) il est nécessaire d’utiliser la lumière solaire qui fournit l’énergie pour la photosynthèse et d’avoir une ressource en eau (pour certaines microalgues la production peut se faire en réacteurs sans lumière si l’on apport des sucres), la production pouvant se faire en bassins (ou sur le littoral) ou dans des réacteurs. La feuille de route du DOE conclut à la nécessité de renforcer l’effort de R&D sur la production à partir d’algues et sa publication a été accompagnée de l’annonce d’un nouveau financement de 24 millions de $ pour les recherches dans ce domaine qui s’ajoute d’ailleurs à un programme de 140 millions de $ financé, en 2009, à partir du plan de relance américain.

La liste des thèmes de recherche qu’il faut activer est assez longue ce qui montre d’ailleurs qu’il y a encore loin du bord de mer aux pompes à biocarburants produits à partir des algues. Un grand thème de recherche commun d’ailleurs à beaucoup de domaines de la biologie végétale est la compréhension fine des mécanismes de photosynthèse qui sont à l’œuvre dans les algues et de son efficacité. Un deuxième thème concerne la compréhension des voies de synthèse des triglycérides dans les algues. La troisième voie qui offre des perspectives intéressantes est celle qui consiste à utiliser la « boîte à outils » de la génétique : elle a pour objectif de modifier le génome des cellules des algues (en particulier les microalgues qui sont monocellulaires) par manipulation génétique afin d’augmenter des rendements de production de molécules ou de les orienter vers la production d’autres molécules. C’est en particulier la voie empruntée par le biologiste Craig Venter aux USA en utilisant les techniques de la biologie synthétique pour transformer artificiellement des génomes (en y intégrant des fragments d’ADN). La société Exxon a lancé un programme dans cette direction financé à hauteur de 600 millions de $ en coopération étroite notamment avec l’entreprise qu’a créée C.Venter. Enfin, la perspective de produire de l’hydrogène à partir des algues (qui décomposent l’eau par photolyse, une réaction mettant en jeu une enzyme l’hydrogénase) doit être sérieusement testée, elle suppose une recherche sur la photolyse et les mécanismes d’action de l’hydrogènase. En aval il est nécessaire de travailler sur les mécanismes d’extraction des lipides et des carbohydrates et sur ceux de production de l’éthanol et du biodiesel mais on on retrouve dans ces domaines les travaux en cours sur les filières de biocarburants en particulier celles de la deuxième génération. La voie de la génétique est probablement la plus prometteuse mais elle est encore très loin de déboucher au plan industriel. Plusieurs laboratoires français travaillent dans ce domaine dont l’IFREMER à Nantes et le CEA (devenu Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives….). En Bretagne le CEVA (Centre d’études et de valorisations des algues à Pleubian près de Saint Brieucwww.ceva.fr ) lance aussi une activité sur les biocarburants produits à partir de microalgues. Il reste à évaluer la rentabilité de la filière, un terrain sur lequel le rapport du DOE ne s’est pas aventuré.

Pour l’heure, il est certainement difficile d’avoir une évaluation économique précise du coût de production des différentes filières de biocarburants à partir d’algues. Les estimations sont peu convergentes mais il apparaît que la filière ne serait compétitive par rapport aux carburants pétroliers que si le cours du baril de pétrole était supérieur à 100$, une perspective qui n’est peut être pas si éloignée… Il est difficile d’affirmer de façon réaliste que l’énergie des mers deviendra une filière importante pour les énergies renouvelables. Mais la filière des biocarburants produite à partir des algues est probablement la plus prometteuse car elle est à l’abri de tous les alea climatiques et météorologiques pouvant affecter les autres filières marines (exposition aux tempêtes notamment et à la corrosion pour les installations). Elle aura aussi l’avantage de pouvoir bénéficier de tous les progrès en génétique que ne manqueront pas d’apporter les recherches sur les filières végétales et en biologie synthétique. Il est dommage que la France (et la Bretagne) tardent à réaliser que c’est sans doute dans ce domaine qu’il faut prendre des paris scientifiques. Le capitaine Nemo, le héros du roman de Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers, avait peut être montré la voie puisqu’il était aux commandes d’un sous-marin propulsé par l’électricité produite par une pile à combustible fonctionnant avec de l’hydrogène extrait de l’eau de mer…..


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