La voiture à hydrogène a-t-elle encore un avenir?

conference_ama_pompe_essence_2.jpgL’hydrogène est souvent considéré comme un vecteur énergétique du futur qui pourrait remplacer les carburants pétroliers dans les véhicules. L’hydrogène ouvrirait la voie à une motorisation électrique utilisant la pile à combustible qui serait l’alternative aux batteries. Elle ne peut être ouverte que si plusieurs obstacles techniques importants sont franchis (sa production, son stockage et sa distribution notammment). Des progrès récents ont été enregistrés pour les piles à combustible, ouvrent-ils des nouvelles perspectives ? Il est utile de faire le point.

 La voiture motorisée avec un moteur électrique fonctionnant avec une pile à combustible alimentée avec de l’hydrogène est souvent présentée comme une option alternative aux véhicules utilisant des carburants dérivés du pétrole (essence ou gazole) voire des biocarburants et donc comme une voie vers l’après pétrole. Dans plusieurs de nos brèves, nous avons évoqué les nombreux problèmes que pose cette solution et qui sont loin d’être résolus. Rappelons d’abord que si l’hydrogène est le plus simple des composés moléculaires (deux atomes d’hydrogène dans la molécule), il n’existe pas à l’état naturel, il faut le fabriquer, il n’est donc pas une ressource énergétique : c’est un vecteur énergétique et il ne constitue donc pas une réponse directe à la question énergétique. La fabrication de l’hydrogène, un gaz industriel important, est techniquement résolue mais le procédé le plus économique suppose d’utiliser du gaz naturel comme matière première (on peut aussi réaliser directement l’électrolyse de l’eau) ce qui ne règle pas le problème de la lutte contre le réchauffement climatique puisque ce procédé dégage du CO2. On peut utiliser l’hydrogène dans un moteur de deux façons. On peut évidemment le brûler dans des moteurs thermiques classiques, ce n’est pas l’option la plus intéressante, car ceux-ci ont un mauvais rendement (de 35 à 45%). La solution, préconisée depuis longtemps, est précisément d’utiliser un moteur électrique dont le rendement est excellent (de 90 à 95%) en produisant l’électricité à partir d’une pile à combustible embarquée sur le véhicule. Une pile à combustible utilise de l’hydrogène comme combustible: on convertit de l’hydrogène et de l’oxygène en eau en produisant de l’électricité qui peut alimenter un moteur électrique. L’utilisation de l’hydrogène pose donc trois problèmes : – sa production – son stockage – l’utilisation de la pile à combustible.

Les déclarations optimistes des partisans de la « solution hydrogène » pour les automobiles du futur se sont succédées ces dernières années alors que les trois problèmes que pose leur utilisation sur une grande échelle sont loin d’être résolus. Ainsi, de façon surprenante, un groupe de constructeurs automobiles a-t-il signé un accord en septembre 2009 à Stuttgart, en Allemagne, laissant entendre qu’ils pourraient commercialiser un véhicule à pile à combustible en 2015 (J.Toffelson, « Fuel of the future ? », Nature, vol. 464, p.12362, 29 April 2010, www.nature.com ). Renault, Daimler, Nissan, Honda, Toyota et General Motors sont parmi les signataires de cet accord qui engage des grands de la construction automobile mondiale. Presque simultanément des entreprises du secteur de l’énergie, Shell et le suédois Vattenfall notamment, annonçaient qu’ils allaient collaborer avec Daimler pour réaliser un réseau d’infrastructures de distribution de l’hydrogène en Allemagne pour l’alimentation des véhicules. On peut s’interroger sur le réalisme de cet objectif compte tenu de la somme de difficultés qui demeure sur la voie des véhicules à hydrogène, la construction de stations de distribution d’hydrogène sur les routes n’étant pas la seule même si elle est évidemment un facteur bloquant (une voiture à pile à combustible n’est d’aucune utilité si l’on est incapable de faire le plein d’hydrogène sur les routes…).

Au-delà des problèmes que posent la distribution de l’hydrogène et son stockage dans le véhicule (l’utilisation de bouteilles à haute pression – à 300 voire 600 bars – est la solution la plus souvent envisagée) celui du fonctionnement même des piles n’est pas encore résolu de façon satisfaisante. En effet, le processus de conversion dans une pile à combustible ne s’y déroule pas en un tournemain : celle-ci est un ensemble complexe constitué par un électrolyte placé entre deux électrodes poreuses contenant un catalyseur (en général le platine). L’hydrogène est introduit à l’anode à partir d’un réservoir et l’oxygène (prélevé dans l’air) arrive à la cathode. L’hydrogène perd ses électrons à l’anode et ceux-ci alimentent le circuit électrique externe ; privé de leur électron les atomes d’hydrogène (réduits à un proton) traversent l’électrolyte (qui peut être une membrane) pour se recombiner à la cathode avec les électrons qui ont accompli leur tournée électrique et l’oxygène pour former de l’eau. La pile fournit du courant électrique mais aussi de la chaleur dégagée par la réaction. Le système a deux avantages : il a un très bon rendement électrique (de 35 à 60% suivant la nature des piles) et il ne produit pas de gaz carbonique. La pile qui est utilisée dans des véhicules pilotes (en particulier des autobus fonctionnant dans plusieurs villes européennes) met en œuvre un électrolyte qui est une membrane polymérique et elle a l’avantage de fonctionner à température relativement basse (80°C environ) mais, jusqu’à nouvel ordre, le catalyseur utilisé est le platine qui est un métal précieux et coûteux (il faut aujourd’hui 0,5g de platine pour produire un kW). Qui plus est, la quasi-totalité du platine est produit par l’Afrique du Sud et la Russie dont les réserves sont limitées (40 à 50 ans de réserves au rythme actuel de la consommation mondiale). Diminuer la quantité de platine nécessaire au bon fonctionnement d’une pile est donc un impératif. Jusqu’à présent, le platine est incorporé dans des structures poreuses dans les électrodes (on peut utiliser du noir de carbone ou des nanomatériaux), 80 % du platine se trouvant à la cathode dans les piles classiques (car la réaction y est beaucoup plus lente et doit donc être plus catalysée) et 20% à l’anode.

Des travaux récents publiés par des équipes allemandes (de l’université technique de Berlin) et américaines (de l’université de Houston et de Stanford) publiés dans Nature Chemistry (P.Strasser et al. « Lattice-strain control of the activity in dealloyed core-shell fuel celle catalyts » Nature Chemistry, June 2010) ouvrent une nouvelle voie. Celle-ci consiste à remplacer le métal pur par des nanoparticules dont le cœur est constitué par un alliage de platine et de cuivre, leur surface étant essentiellement recouverte de platine. Les nanoparticules sont fabriquées en faisant circuler un courant électrique alternatif dans des particules d’un alliage cuivre-platine, le cuivre se sépare alors de la surface laissant une couche superficielle enrichie en platine. Ce matériau qui constitue le catalyseur est cinq fois plus efficace, à masse égale, que le platine pur. On utilise certes moins de platine que dans les dispositifs utilisés actuellement mais le mécanisme mis en jeu semble plus efficace. En étudiant par diffraction des rayons X (avec l’accélérateur de Stanford) la structure des nanoparticules du nouvel alliage, les chercheurs ont montré que la distance séparant les atomes de platine sur leur surface est moindre que dans des particules de platine pur. Or, un bon catalyseur doit non seulement être capable de dissocier les molécules d’oxygène en atomes pour qu’ils réagissent facilement avec l’hydrogène mais il ne doit pas se lier fortement avec ces atomes pour les laisser réagir…Il semble donc que la plus faible distance séparant les atomes dans ces particules soit un facteur favorable car ils ont moins tendance à se lier aux atomes d’oxygène qu’ils ont contribué à séparer de leurs « molécules mères ». Ce nouveau matériau a été testé sur avec succès sur des piles à combustible opérationnelles. Il a évidemment le grand avantage de diminuer la masse de platine nécessaire dans une pile et donc son coût, le risque le plus sérieux, semble-t-il, étant que les nanoparticules ne finissent par s’agréger entre elles pour former des amas dont le pouvoir catalytique serait alors fortement amoindri ; un « empoisonnement » du catalyseur par du monoxyde de carbone se fixant à la surface des particules est également un autre risque (il n’épargne d’ailleurs pas les autres dispositifs, ce monoxyde pouvant venir de trace de CO2 subsistant dans l’hydrogène).

Il est trop tôt pour affirmer qu’une percée technique a été réalisée avec ce nouveau matériau mais c’est sans doute une voie qui s’ouvre. On envisage aussi de se passer du platine dans les piles à hydrogène en utilisant d’autres catalyseurs métalliques tels que le vanadium, le nickel ou le cobalt (General Motors travaille sur un catalyseur à base de fer) voire des nanotubes de carbone dopés avec du nickel (dont l’utilisation est aussi envisagée dans des piles à combustible à électrolyte alcalin). D’autres types de piles à combustible ont été proposés. En particulier des piles utilisant des électrolytes qui sont des oxydes métallique qui ont l’avantage d’utiliser soit l’hydrogène soit éventuellement des hydrocarbures comme le méthane mais elles exigent des températures élevées pour fonctionner (en général au dessus de 700° C). L’électrolyte est en général une zircone, la cathode est un composé de lanthane et l’anode est en nickel ; on se passe donc de platine comme catalyseur ce qui est un avantage. Toutefois, ces fonctionnements à des températures élevées ont l’inconvénient de provoquer des réactions avec les matériaux des électrodes et de dégrader les piles.

Les progrès enregistrés sont encore lents même si on constate avec ces travaux récents que les efforts portant sur les matériaux peuvent être payants. Aux Etats-Unis, en dépit des espoirs de certains constructeurs automobiles, le secrétaire à l’énergie (le ministre) de l’administration Obama, Steven Chu, qui est bon connaisseur des problèmes d’énergie renouvelable, a fait montre d’un grand scepticisme quant à l’avenir de l’hydrogène puisqu’il a voulu fortement diminuer en 2009 les crédits de son ministère destinés à la recherche sur le vecteur hydrogène mais le Congrès a freiné son ardeur démobilisatrice. Quoiqu’il en soit, les annonces optimistes des constructeurs automobiles sur l’avenir des véhicules à pile à combustible ne peuvent empêcher de penser que sans rupture technique majeure, intervenant au cours des prochaines années, l’horizon des voitures à hydrogène restera encore éloigné. Il n’est pas certain que les progrès récents sur les catalyseurs, même s’ils sont encourageants, seront suffisants pour leur ouvrir la route.


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