La plupart des gouvernements dans les pays développés (ainsi que le Brésil ) accordent une place de choix aux biocarburants (éthanol et esters) produits à partir d’une biomasse renouvelable. Toutefois ces carburants de substitution aux produits pétroliers sont souvent l’objet de critiques, leur impact environnemental étant en particulier mis en cause. Un récent rapport de l’ADEME, en France, dresse un bilan énergétique et environnemental des biocarburants dits de première génération qui donne l’occasion de faire le point sur l’avenir de la filière.
Les carburants dérivés du pétrole sont encore indispensables dans le secteur des transports (52% du pétrole mondial est destiné au transport) mais pour pallier l’épuisement inévitable des réserves et pour satisfaire aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique (35% des émissions de gaz carbonique proviennent du pétrole), de nombreux pays ont mis en œuvre un plan biocarburants pour développer l’utilisation des biocarburants dans les transports. Le plan Energie- Climat de l’UE fixe ainsi à 10 % la part des biocarburants qui devraient être utilisés dans les transports en 2020 (à condition qu’ils émettent 35% de moins de gaz carbonique que les carburants pétroliers) et la France devrait utiliser 7 % de biocarburants dans les transports terrestres dès 2010. Cependant, après quelques années d’euphorie, les biocarburants dits de première génération (produits à partir du blé, du maïs, du colza et du tournesol) et de plantes à sucre (betterave, canne) ont subi une volée de critiques.
Un premier lot de critiques concerne leur impact climatique : le bilan carbone des biocarburants (leurs émissions totales de gaz carbonique lorsqu’on prend en compte toute la chaîne de production depuis la mise en culture jusqu’au stade industriel) comparé à ceux de l’essence ou du gazole est incertain sauf pour le bioéthanol produit à partir de la canne à sucre comme au Brésil pour lequel il est nettement positif. Un rapport de l’ADEME (www2.ademe.fr ), publié début avril (une version provisoire avait été publiée en octobre 2009), Analyses de cycle de vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France, a le mérite de faire un bilan assez clair des avantages des biocarburants utilisés en France (et plus généralement sans doute en Europe). Basé sur la comparaison de plusieurs études, le rapport de l’ADEME fait deux constats. Le premier est que le bilan énergétique des biocarburants de première génération est positif. Ainsi, les biodiesels et les bioéthanols incorporés dans le gazole et l’essence permettent de réduire de façon très significative la consommation d’énergie non renouvelable par rapport aux carburants « classiques » d’origine pétrolière consommés en France : – entre 65 et 80 % pour les biodiesels produits à partir d’oléagineux (colza, soja, tournesol huile de palme), autour de 80% pour ceux produits à partir de déchets (huiles alimentaires par exemple) – entre 50 et 85 % pour les éthanols incorporés directement à l’essence et entre 30 et 55% pour les éthanols incorporés après transformation sous forme d’ETBE. Ce bilan tient compte aussi de co-produits tels que les tourteaux utilisés dans l’alimentation animale et le glycérol utilisé en chimie. A l’heure actuelle ce bilan énergétique se traduit par une consommation de 2,4 Mtep sous forme de biocarburants remplaçant des produits pétroliers. Le second constat porte sur l’impact environnemental qui est plus difficile à déterminer (il faut envisager l’ensemble du cycle agricole de production de la matière première). En faisant l’hypothèse que l’on ne change pas l’affectation des sols (par exemple par déforestation) les bilans d’émissions de gaz à effet de serre des biocarburants (GES, le CO2 notamment) sont dans la majorité des cas meilleurs que ceux des carburants pétroliers: – entre 60 et moins de 80 % de réduction d’émissions de GES pour les biodiesels issus d’oléagineux,autour de 90% pour ceux qui sont produits à partir de déchets – entre 50 et légèrement plus de 70% pour les éthanols incorporés directement dans l’essence, entre 25 et moins de 50% pour les éthanols incorporés sous forme d’ETBE. On observera que l’éthanol produit à partir de la canne à sucre émet 72 % de GES de moins que l’essence et celui à partir de maïs émettrait 64% de GES de moins. Le rapport de l’ADEME souligne que l’impact des changements d’affectation des sols peut être discriminant : lorsque le développement des cultures utilisées pour la production de biocarburants aboutit à la mise en culture de prairies, à la disparition de zones humides ou de forêts (comme c’est sans doute la cas dans certains pays en développement), le bilan environnemental des biocarburants peut devenir négatif. En fin de compte l’utilisation de biocarburants permet « d’économiser » 2 ,5 tonnes d’équivalent CO2 par tonne d’ester issu du colza et 2 ,7 tonnes d’équivalent CO2 par tonne d’éthanol.
Ce bilan, « globalement positif », ne balaye évidemment pas la critique majeure à l’égard de cette filière de première génération celle-ci met en avant le fait que ces biocarburants fabriqués à partir de produits agricoles destinés à l’alimentation humaine entrent en concurrence directe avec des produits alimentaires alors que les besoins de la planète dans ce domaine vont augmenter à l’avenir (les crises alimentaires risquent de se reproduire voire de s’aggraver). Ce type de critique a conduit les promoteurs de la filière à chercher une voie alternative : fabriquer de l’éthanol, voire d’autres alcools et des hydrocarbures, à partir d’une biomasse non alimentaire (résidus agricoles et forestiers, tiges et feuilles, herbes). L’intérêt que suscite cette filière des biocarburants, dits de « deuxième génération », pour produire de l’éthanol en utilisant la cellulose et éventuellement l’hémicellulose, provient du fait que ces molécules sont des sucres constituant les parois des cellules végétales, par exemple celles du maïs (les rafles), de la paille (tiges de blé) et du bois et qu’elles sont très répandues dans la nature. En fait, dans ces parois la cellulose et l’hémicellulose sont intriquées avec la lignine sous forme de fibrilles. La cellulose est le matériau végétal le plus répandu (il constitue la moitié de la biomasse terrestre) : une biomasse ligno-cellulosique est constituée à 35-50% par de la cellulose, à 20-35% par de l’hémicellulose et à 20-25 % par de la lignine. La cellulose est elle-même constituée par un polymère linéaire dont les unités sont du glucose (un sucre à six atomes de carbone ou C6) ; l’hémicellulose est un polymère plus complexe constitué notamment de pentoses (sucres en C5 tels que le xylose et l’arabinose) et d’hexoses (comme le glucose, le mannose et le galactose). Quant à la lignine elle est un polymère aromatique (des composés phénoliques) qui constitue, en quelque sorte, une « colle » cellulaire qui assure une rigidité mécanique à l’ensemble de la structure du végétal mais qui est une gêne pour les réactions enzymatiques. La matière première est certes abondante mais elle sera plus difficile à traiter par voie biochimique ou chimique du fait de sa composition moléculaire et de la variété de sucres qui la constituent.
La mise en œuvre de cette de la filière est une voie alternative puisqu’elle permet de fabriquer de l’éthanol, voire d’autres alcools et des hydrocarbures, à partir d’une biomasse non alimentaire (sauf pour les animaux…), mais elle nécessite encore beaucoup de recherches. Outre l’exploitation de déchets ligno-cellulosiques très variés (d’origine agricole ou industrielle comme des déchets provenant de papeteries), on peut utiliser aussi du bois (par exemple leur écorce) mais aussi des plantes comme certaines grandes herbes de prairies, le Panicum Vergatum (le « switchgrass » en anglais, une graminée très répandue dans les grandes plaines aux Etats-Unis) ou le Miscanthus (l’herbe à éléphant) qui peuvent produire de 3000 à 7500 litres d’éthanol à l’hectare, voire des arbres à pousse rapide tel que le peuplier sur lequel travaille l’INRA en France.
La plus grande complexité de la matière première disponible pour produire des biocarburants de deuxième génération (un mélange de cellulose, d’hémicellulose et de lignine dans les enveloppes végétales) rend plus difficile la production des biocarburants, dans la mesure où celle-ci suppose des traitements thermiques et chimiques préalables de la biomasse afin de déstructurer la matière ligno-cellulosique et d’obtenir des sucres comme matériau de base. Cette étape franchie, plusieurs stratégies sont alors possibles avec des perspectives différentes. La première que l’on peut qualifier de « classique » consiste à produire de l’éthanol par fermentation des sucres : c’est la voie biologique. La deuxième stratégie, plus complexe, emprunte une voie thermochimique puis chimique (nécessitant une catalyse) qui permet de produire des carburants sans passer par la fermentation (éthanol mais aussi essence, gazole et kérosène pour l’aviation), il faut travailler à haute température. La troisième stratégie, largement encore au stade de la recherche, met en œuvre les techniques du génie génétique pour obtenir des enzymes plus efficaces pour traiter la cellulose et l’hémicellulose et produire alors des alcools comme l’éthanol ou d’autres biocarburants. L’étape de saccharification (la transformation de l’amidon et de la cellulose en sucre) est réalisée avec des enzymes (comme la cellulase pour la cellulose et l’hémicellulase pour l’hémicellulose), celles-ci sont d’origine microbienne ou produites par des champignons. Des progrès constants sont réalisés par la voie génétique. Ainsi, plusieurs équipes de chercheurs américains appartenant à des centres de recherche de Californie (une entreprise LS9 et l’université de Berkeley notamment) ont publié, en janvier dernier, les résultats encourageants de leurs travaux dans ce domaine (Eric.J.Steen, et al. « Microbial production of fatty-acid-derived fuels and chemical from plant biomass» , Nature, Vol. 463, p. 559- 562, 28 January 2010. www.nature.com ). Ils ont, en fait, mis en oeuvre une stratégie consistant à « court-circuiter » le sucre (provenant par exemple de la canne à sucre) en utilisant l’hémicellulose de l’enveloppe végétale. Les chercheurs réalisent alors une autre modification génétique de la bactérie Eschericia coli en la faisant exprimer des gènes de Clostridium stercorarium et de Bacteroides ovatus (des bactéries que l’on trouve dans le sol et les intestins d’animaux fréquentant les pâturages) et lui permettre ainsi de produire une enzyme, l’hémicellulase, qui transforme l’hémicellulose en sucre, le xylose, qui peut ensuite être transformé, à son tour, en biodiesel ou en alcool (une opération que l’on peut faire dans les procédés classiques en ajoutant des enzymes naturelles qui sont coûteuses à produire). Dans une étape ultérieure les chercheurs américains envisagent de transformer leur bactérie de base pour qu’elle produise la cellulase qui peut dégrader la cellulose ce qui permettrait d’utiliser toute l’enveloppe végétale (hormis la lignine). La société LS9 espère passer à une étape industrielle dés la fin de cette année pour produire du biodiesel en Californie (avec une première unité produisant 75 000 litres par jour). Elle envisage aussi la construction d’une usine au Brésil. Un autre procédé de fabrication d’éthanol par voie biologique a été mis au point par la société américaine ZeaChem, de Lakewood dans le Colorado, qui prévoit d’utiliser, quant à elle, des bactéries qui se trouvent dans le système digestif des termites. Dans une première étape la cellulose de l’enveloppe végétale est transformée en sucre par voie acide puis on ensemence la solution avec des bactéries dites acétogène provenant de termites et qui produisent de l’acide acétique à partir du bois. Par hydrogénation de l’acide acétique on obtient ensuite directement de l’éthanol. L’hydrogène provient de la gazéification par voie thermochimique de la lignine qui a été séparée au préalable de l’enveloppe végétale formée d’un agrégat de ligno-cellulose. Une fraction de la lignine est brûlée pour fournir de la chaleur au procédé. Ce procédé mixte (utilisant la voie thermochimique et biologique) dont le rendement global serait de 50% permettrait de faire baisser de 20 à 30% les coûts de production de l’éthanol pour la filière ligno-cellulosique (il produirait cent gallons de carburant par tonne de biomasse).
Une autre voie, totalement différente celle-la, consisterait à gazéifier la biomasse à l’aide de l’énergie solaire : on vaporise la biomasse (le bois ou des déchets agricoles) en la chauffant dans des tubes en céramique qui sont intégrés dans un four solaire où l’énergie solaire est concentré par un jeu de miroirs (le dispositif étant placé par exemple au sommet d’une tour). C’est, en quelque sorte, le principe du four solaire du CNRS à Odeillo. L’opération est réalisée en présence de vapeur d’eau à une température supérieure à 700°C. On obtient un gaz de synthèse le « syngas » qui est un mélange d’hydrogène et de monoxyde da carbone que l’on transforme ensuite avec un catalyseur en carburant synthétique (des hydrocarbures). On a intérêt à opérer à température élevée (1200-1300°C) pour éviter la formation de goudron. Une jeune start-up américaine Sundrop basée à Louisville est en train de construire une usine pilote utilisant le procédé (T.H Hamilton, « Gasifyting biomass with sunlight », Technology Review, March 10,2010, www.technologyreview.com ). Ce type de production suppose évidemment la réalisation d’un réseau de collecte de la biomasse pour la transporter à la « bioraffinerie » ce qui a un coût.
La filière des biocarburants de deuxième génération est une voie possible pour répondre aux besoins de pays en développement (en Afrique notamment) qui ont l’avantage de disposer sur leur territoire d’une biomasse importante encore peu utilisée (elle est souvent brûlée) et elle constitue une alternative crédible aux carburants classiques. C’est ce que souligne, notamment, un récent rapport de l’AIE sur les biocarburants «Sustainable production of second-generation biofuels ».
Ces travaux récents montrent à l’évidence que les techniques de production de production de biocarburants à partir d’une matière première végétale (cellulose, hémicellulose) empruntant la voie de la « bioingénierie », c’est-à-dire les techniques de la génétique, ou utilisant l’énergie solaire, sont très prometteuses. Il est probable que la recherche américaine est en train prendre un nette avance dans ces domaines si l’on en juge par le rythme accéléré des publications américaines (la recherche française s’en tient sans doute encore trop aux techniques classiques pour la filière ligno-cellulosique). C’est sans doute ce qui motive le président B.Obama d’accorder une relative priorité aux recherches sur les biocarburants dans le projet américain de budget pour 2011 (220 millions de $ dans le budget du Département de l’énergie) qu’il a dévoilé, fin janvier, dans son discours sur l’état de l’Union. Une recension des publications mondiales dans des revues internationales, publiée par le magazine Science (Science vol. 237, p.929, 19 February 2010) , montre que la recherche française est mal placée. En effet, elle se trouve au dix-septième rang mondial pour le nombre total de publications sur les biocarburants sur la période 1998-2008 (les USA sont en tête, devant la Turquie, la Chine et l’Inde). Si l’on décompte les citations reçues par les travaux français (un indicateur important car représentatif de l’intérêt suscité par les travaux des chercheurs qui publient), la France se trouve alors au dix-huitième rang. On observe que la Belgique qui occupe le vingtième rang dans ce palmarès (en nombre d’articles) et dont la communauté scientifique est évidemment moins nombreuse que celle de la France, remonte au deuxième rang mondial (derrière les USA) pour les citations reçues par ses publications. Les indicateurs ne disent pas tout mais ce classement est un signal d’alarme. La France a transformé, il y a quelques jours le CEA, créé en 1945, en « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives », ce qui représente une avancée conceptuelle remarquable (!) mais elle attend toujours, en fin de compte, une véritable stratégie de recherche sur l’énergie qui sache combiner des approches complémentaires à la frontière de plusieurs disciplines et qui font encore défaut dans le domaine des biocarburants.