Les difficultés de fourniture du courant électrique que connaissent périodiquement de nombreux pays, en particulier en hiver, attirent l’attention sur les problèmes de stockage de l’électricité. Les techniques mises en jeu sont en fait très diverses et leurs progrès conditionnent la possibilité d’utiliser des énergies renouvelables, le plus souvent intermittentes, ainsi que le développement des véhicules électriques.
Lors des journées de grands froids, en décembre 2009, la France a été contrainte d’importer de l’énergie électrique (alors qu’elle est exportatrice nette) des pays voisins, les réseaux électriques européens étant interconnectés, car elle était à la limite de rupture de son réseau. La faible disponibilité de ses centrales nucléaires depuis quelques mois (plusieurs étant en maintenance) explique, en partie, cette « tension » sur la fourniture d’électricité. Plusieurs pays européens et les Etats-Unis parmi d’autres connaissent périodiquement cette situation. En Afrique, en Côte d’Ivoire, une panne sur une turbine de la centrale électrique d’Azito proche d’Abidjan prive, depuis peu, le réseau électrique ivoirien d’une capacité de production de 150 MW ce qui conduit la société d’exploitation à des délestages quotidiens sur le réseau national. Il est clair que les capacités de production électrique d’un réseau national ne sont pas utilisées à pleine puissance en permanence (le courant qui n’est pas utilisé peut être exporté si le réseau est interconnecté) et, en dehors des heures de pointe, certaines centrales ne peuvent pas être arrêtées et remises en marche en un tournemain, c’est le cas en particulier des centrales nucléaires (elles peuvent être arrêtées rapidement mais leur remise en marche est très longue) mais, en revanche, les centrales thermiques à gaz sont très souples, leur arrêt et remise en marche étant très rapides. En schématisant on peut dire que l’on est confronté à deux types de problèmes : la gestion du réseau d’une part, les techniques de stockage de l’électricité d’autre part.
Nous commencerons par jeter des coups de projecteur sur le problème que pose le stockage. Il se pose pour les réseaux classiques (centrales hydroélectriques, thermiques et nucléaires), les systèmes de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable (éolien et solaire), les véhicules électriques. Le mode de stockage de l’électricité le plus simple est d’utiliser des barrages hydroélectriques que l’on fait fonctionner dans les deux sens : lorsque les centrales d’un réseau produisent du courant qui n’est pas utilisé (pendant la nuit par exemple), il est possible de pomper de l’eau pour la déverser dans un réservoir de barrage, situé plus haut, pour ensuite faire fonctionner des turbines avec l’eau stockée dans le lac du barrage. Le rendement de l’opération est en général de 70 à 85% .Beaucoup de pays utilisent cette méthode, la France notamment (avec l’usine hydroélectrique de Grand Maison dans l’Isère d’un puissance de 180 MW), mais aussi le Danemark, dont 20 % de l’électricité est d’origine éolienne, et qui met à contribution des barrages d’usines hydroélectriques norvégiennes pour stocker une partie de son électricité éolienne que lui restitue la Norvège pour les heures de pointe. Tout ne peut pas être stocké dans les montagnes (encore faut-il avoir des montagnes !) et l’on envisage ainsi de stocker l’énergie de fermes éoliennes off-shore en construisant des îles artificielles au large des côtes où une digue protégerait un réservoir qui serait alimenté par de l’eau pompée qui stockerait temporairement la production d’électricité d’éoliennes (l’électricité alimentant les pompes). Cette solution « à la Jules Verne » poserait autant de problèmes qu’elle n’est sensée en résoudre (il faudrait protéger des installations avec des turbines alimentées en eau de mer, et affronter des tempêtes comme celle que vient de connaître la France ainsi qu’une montée du niveau de la mer provoquée par le réchauffement climatique). Une autre possibilité, déjà testée en Allemagne près de Hambourg (cf. David Lindley « The energy storage problem », Nature, Vol. 463, p. 18, 7 January 2010), consisterait à stocker l’énergie électrique sous forme d’air comprimé dans un réservoir souterrain. Dans la centrale électrique allemande de Huntorf, une pompe et un compresseur alimentés par de l’électricité expédient de l’air qui est comprimé dans deux cavernes de sel souterraines de 300 000 mètres cubes, lorsque c’est nécessaire on utilise l’air comprimé (qui est chauffé par la compression) dans une turbine à gaz ce qui augmente son rendement de production. La centrale est ainsi équipée d’une réserve de production de 300 MW pendant trois heures. L’inconvénient de cette technique est que l’air a été chauffé et qu’il peut donc diffuser plus facilement à travers les parois du réservoir naturel et s’échapper ainsi vers la surface. Les experts estiment à 80% le rendement d’un tel mode de stockage (20% de l’énergie est perdue) qui ne peut être qu’une solution locale (il faut disposer d’un réservoir souterrain de stockage sur le site de production). La construction d’une installation de ce type est envisagée dans l’Iowa aux USA. Le stockage de l’énergie sous forme cinétique dans un volant de grande inertie tournant à grande vitesse est une troisième possibilité : un moteur électrique met en mouvement le volant qui va stocker l’énergie de rotation (une énergie cinétique) que l’on peut récupérer ensuite en la couplant à un générateur électrique qui va le ralentir en produisant de l’électricité. Un dispositif fonctionne sur ce principe depuis plusieurs années aux USA dans le Massachusetts (une roue d’un mètre de diamètre tournant à 16 000 tours minutes) avec un rendement de 85%.
Le stockage de l’électricité dans des batteries est un problème d’une autre nature qui a trouvé une solution partielle, depuis très longtemps déjà, avec les batteries au plomb utilisées dans les automobiles. Nous avons consacré plusieurs brèves à cette question de la mise « en boîte de l’électricité », à laquelle il faut apporter une réponse technique plus satisfaisante qu’avec les techniques classiques si l’on veut développer les voitures électriques (un stockage permettant grande autonomie pour un véhicule, les batteries actuelles ne donnant qu’une autonomie de l’ordre de 100 Km). Les batteries au lithium sont aujourd’hui les plus performantes (notamment celles au lithium-ion, avec une capacité de stockage de 120 à 200 Wh par kg soit quatre fois celle des batteries au plomb) mais d’autres solutions sont envisagées, les recherches actuelles portant tout à la fois sur l’électrolyte et les électrodes (l’utilisation des nanomatériaux pouvant sans doute contribuer à améliorer les performances). On peut aussi envisager utiliser des batteries pour stocker, en un lieu fixe, en grande quantité l’électricité produite par des centrales électriques. Une option consisterait à utiliser des batteries au polysulfure de sodium, l’électricité lors de la phase de stockage décompose les sulfures en sodium et en soufre qui se recombinent à la décharge pour produire du courant électrique ; ces batteries ont l’inconvénient de fonctionner à haute température (300° C) et semblent coûteuses. Le Japon a construit des installations avec une capacité de stockage de 300 MW sur ce principe. Enfin on sait que l’hydrogène est stockable (mais avec de très grandes précautions), et qu’il est complémentaire de l’électricité. L’hydrogène, en effet, a le grand avantage de pouvoir être utilisé pour produire de l’électricité dans une pile à combustible avec un rendement très supérieur à celui des filières de production à partir de procédés thermiques et en l’absence d’émissions polluantes. Il peut donc contribuer à lisser la production des énergies renouvelables intermittentes comme le photovoltaïque ou l’éolien. L’électricité d’une pile à combustible peut alimenter le moteur électrique d’une automobile dont le rendement est excellent (de 90 à 95%) mais on peut aussi imaginer utiliser des grandes installations fixes dans lesquelles on pourrait produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, celui-ci serait stocké pour être utilisé ensuite dans une pile à combustible pour produire de l’électricité. Avec des installations fixes on pourrait fonctionner avec une filière à haute température (mettant en œuvre des céramiques) ce qui éviterait d’utiliser du platine comme catalyseur pour la réaction de combustion de l’hydrogène avec l’oxygène comme dans les piles à combustible, encore au stade du prototype, pour les automobiles.
La production d’électricité à partir de sources intermittentes, telles que le solaire et l’éolien, pose le problème de la connexion au réseau électrique de ces centres de production. La production d’un champ d’éoliennes ou de panneaux solaires photovoltaïques peut être interrompue pour des réseaux météorologiques (les panneaux solaires ne produisent pas d’électricité pendant la nuit de toute façon) et il faut éviter que leur déconnexion, ou leur connexion, ne déséquilibrent le réseau. Celui-ci doit donc être capable de gérer en souplesse une production intermittente : c’est la mission impartie à un futur « réseau intelligent » (« smart grid » en anglais). La mise au point d’un tel réseau suppose le développement de capteurs spécifiques, de relais et d’un système informatique capable de gérer en temps réel un grand nombre de données (dont des prévisions météorologiques locales). C’est un travail de longue haleine et les recherches dans ce domaine sont une priorité de la plupart des plans de relance économique, en particulier aux USA.
Le stockage de l’électricité, au sens large du terme, devrait être une priorité des stratégies de recherche de ces prochaines années car c’est une question clé. Si plusieurs solutions proposées sont probablement irréalistes (le stockage dans des réservoirs en mer par exemple), bon nombre d’autres nécessitent des travaux à long terme (la mise au point de nouvelles batteries en particulier). Il n’est pas certain que l’importance des techniques mises en jeu, souvent peu spectaculaires, soit reconnue par les décideurs, notamment en France.