Recherche et innovation pour l’énergie: sept options pour le futur

Image00087.jpgLa découverte de nouveaux modes de production, de stockage et de transmission de l’énergie est un objectif clé des sciences et des techniques de l’énergie. Les progrès des techniques sont souvent lents et l’on peut s’interroger sur ceux que va apporter la décennie 2010. Dans quels domaines peut-on espérer des progrès et, éventuellement, des ruptures ? C’est à cette analyse que nous nous livrons en ce début d’année.

 Les progrès des sciences et des techniques de l’énergie sont certes lents car les techniques de l’énergie ont une forte inertie (leur mise au point requiert des investissements importants) mais l’Histoire montre que, périodiquement, des découvertes scientifiques ou des innovations majeures ouvrent des voies totalement nouvelles : une nouvelle forme d’énergie (l’exploitation de l’énergie nucléaire est devenue possible grâce à la découverte de la fission de l’uranium), un nouveau mode de transformation de l’énergie (la turbine à gaz par exemple), ou de transport (l’invention de la haute tension pour l’électricité est un autre exemple). Ces percées sont des « ruptures » qualitatives et quantitatives : elles changent les perspectives des techniques de l’énergie ce qui va se traduire par une contribution significative soit à sa production, soit à son stockage et à sa distribution…. mais les véritables ruptures sont rares et peu fréquentes, et, finalement, comme dans l’Evangile, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus au Royaume de l’énergie. La mobilisation des technologies sous-marines pour exploiter le pétrole off-shore par les grands fonds marins dans les années 1980, est un exemple de rupture technologique relativement récente.

L’Histoire nous montre aussi que bien des techniques énergétiques subissent l’équivalent d’un « purgatoire » avant qu’une rupture leur permette d’accéder au paradis énergétique en produisant une quantité significative de Mtep ou de MWh : la pile à combustible y est ainsi depuis sa découverte au 19e siècle, et la fusion thermonucléaire va poursuivre son purgatoire en Provence à Cadarache via le programme international Iter. …où elle risque de rester longtemps. Une nouvelle technique de production de l’énergie, introduite par une rupture, exige une phase de mise au point de prototypes, des essais à grande échelle et des investissements importants avant de contribuer de façon significative à la production d’énergie primaire ou finale. On estime parfois (mais ce n’est qu’une convention !) qu’une technique a atteint sa « maturité » économique et technique lorsque celle-ci contribue à 1% de la production d’énergie (on lira à ce sujet avec intérêt l’article de G.J.Kramer and M.Haigh, « No quick switch to low-carbon enregy » , Nature, vol. 462, p. 568, 3 December 2009, www.nature.com ). On remarque ainsi qu’au cours du 20e siècle, la production mondiale d’énergie par les nouvelles techniques a crû de façon exponentielle avant qu’elles ne parviennent à maturité (avec une croissance annuelle de 26% la production est multipliée par un facteur dix en une décennie), puis passé ce stade leur croissance est linéaire. Passer d’une rupture à la maturité peut prendre trois décennies, voire bien davantage (il a fallu tout le dix-huitième siècle à la machine à vapeur pour devenir opérationnelle, en revanche, les centrales nucléaires ont percé en trois décennies). Ainsi, le taux de croissance annuel de la production mondiale d’électricité éolienne a-t-il été de 25% depuis 1993 et, aujourd’hui, la filière est proche de la maturité (elle produit 1% de l’électricité mondiale), le solaire photovoltaïque, en revanche, en est encore loin (environ 0,03% de l’électricité mondiale). La croissance de l’énergie éolienne n’aurait pas été possible sans la mise au point de turbines très puissantes (5MW aujourd’hui) et une filière ne peut parvenir à maturité que s’il existe un appareil industriel capable de fournir les infrastructures nécessaires mais qui requièrent des investissements qui se chiffrent en centaines de millions d’€ : il n’y pas de miracle industriel dans le Royaume de l’énergie. Il est vrai aussi que les techniques de l’énergie pâtissent de « l’effet Saint Matthieu » : selon l’évangéliste, « celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance», et les énergies nouvelles ont souvent eu le plus grand mal à trouver les moyens indispensables pour percer et conforter des ruptures. Les ruptures scientifiques et techniques sont souvent comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, elles ont pour origine une découverte ou une innovation qui bouleversent le champ de la technique. En attendant que surviennent des ruptures majeures, non « programmables », on peut identifier des domaines « critiques » dans les sciences et les techniques de l’énergie où il faut concentrer des efforts de R&D. Nous avons ainsi identifié sept domaines clés qui méritent sans doute une concentration des efforts pendant la décennie et, sans doute, bien au-delà. Notre shopping list n’est probablement pas exhaustive mais si tous les objectifs de ce programme étaient atteints, le paysage énergétique s’en trouverait profondément modifié en 2020…. ou en 2030.

Le bâtiment à énergie programmable. Il s’agit de pouvoir réguler, piloter la consommation et la production d’énergie dans un bâtiment (une maison ou un immeuble) en particulier d’électricité (à l’aide de panneaux solaire par exemple), à l’aide de capteurs, d’informatique et de logiciels en intégrant les données météorologiques. La plupart des techniques sont disponibles mais des recherches doivent sans doute être poursuivies pour trouver des matériaux isolants et améliorer les performances de panneaux solaires incorporés aux façades.

Le stockage de l’électricité. C’est le problème majeur pour le développement des énergies renouvelables intermittentes (l’éolien et le solaire) car l’électricité est difficilement stockable. Il faut en particulier mettre au point des systèmes pour réguler la production simultanée d’électricité par des centrales et des sources intermittentes : piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène ou à haute température, condensateurs, stockage sous forme d’énergie cinétique dans des volants tournant à grande vitesse (on récupère ensuite l’électricité par freinage) ou sous forme d’air comprimé stocké dans un réservoir souterrain (l’énergie est récupérée par détente dans une turbine), l’utilisation de barrages est une technique au point (l’électricité alimente des pompes pour élever de l’eau dans le réservoir d’un barrage, on la récupère par des turbines). La mise au point de batteries performantes (grande densité énergétique, rapidité de la charge) pour les véhicules électriques reste un point clé, si des progrès ont été enregistrés avec les batteries au lithium beaucoup reste à faire (utilisation de nouveaux composés métalliques, de nanomatériaux pour les électrodes, etc.).

Le réseau électrique "intelligent." Il est nécessaire d’équilibrer et réguler la production électrique « centralisée » (les centrales classiques) et « décentralisée» (notamment les centrales éoliennes et solaires, la production par les particuliers, avec des sources intermittentes). C’est le problème du « réseau intelligent » (smart grid en anglais). La mise au point de ces réseaux suppose un effort sur les capteurs, l’informatique et aussi le stockage partiel de l’électricité.

Domestiquer le soleil. Si l’on peut considérer que l’énergie éolienne a atteint sa maturité, ce n’est pas encore tout à fait le cas du solaire. Il est, en effet, nécessaire de baisser les coûts de production des cellules photovoltaïques, de trouver des nouveaux composants organiques (composés à base de colorants par exemple) et inorganiques (semi-conducteurs, superposition de films) améliorant le rendement des cellules (il est au maximum de 20% aujourd’hui). Le solaire thermodynamique (on utilise la chaleur solaire concentrée par un jeu de miroirs pour alimenter une turbine) doit être testé sur un grand nombre de prototypes. Les recherches sur la chimie solaire doivent être amplifiées pour trouver des réactions photosynthétiques (avec des catalyseurs) à haut rendement (pour la photolyse de l’eau notamment). Des petites installations solaires doivent être mises au point en coopération avec les pays du Sud.

Le charbon « propre ». Des nouveaux dispositifs permettant de séparer de façon économique le gaz carbonique des effluents de combustion du charbon (ou du gaz naturel) et de le stoker doivent être mis au point. Cette technique permettant de diminuer les émissions de gaz à effet de serre ne pourra être mise en oeuvre que si son coût est fortement abaissé. ● Des nouvelles générations de biocarburants. La production de biocarburants (éthanol, biodiesel) à partir de grains (blé, maïs) ou de canne à sucre n’est pas envisageable à grande échelle car elle utilise une biomasse à finalité alimentaire. L’alternative consiste à utiliser la cellulose constituant l’enveloppe végétale et si les techniques sont connues il faut améliorer leur rendements par exemple en mettant au point de nouvelles enzymes par le génie génétique pour produire de l’éthanol et des hydrocarbures à partir d’une biomasse (cellulose et hémicellulose notamment) qui ne soit pas destinée à l’alimentation, et éventuellement produire de la biomasse (herbes et arbres à croissance rapide) avec des OGM.

Un nouveau nucléaire. Les réacteurs actuels « brûlent » mal l’uranium (environ 1% du combustible est utilisé), il faut donc travailler sur les concepts et les matériaux pour le nucléaire de quatrième génération qui utilise le plutonium produit à partir de l’uranium au sein même des réacteurs (concept des surgénérateurs). En outre il est nécessaire de travailler sur la mise au point de nouveaux procédés pour détruire les déchets radioactifs à vie longue (on les transforme en déchets à vie courte dont le stockage est plus facile).

Ces grands objectifs sont en quelque sorte Les sept piliers de la sagesse sur lesquels il est sage d’appuyer un effort à moyen et long termes (un clin d’œil au livre de T.E Lawrence, Laurence d’Arabie, qui a dirigé la révolte arabe pendant la guerre de 1914 dans les sables d’Arabie là où allaient pousser quelques années plus tard les puits de pétrole)…. en attendant le carburant de l’utopie (l’énergie de la fusion ou une autre). Pour les atteindre il est nécessaire de faire d’abord de la prospective (pour mettre en évidence les percées possibles, les difficultés techniques et économiques, etc.) et ensuite de définir une stratégie qu’il faut mettre en œuvre avec persévérance. En France, la prospective sur l’énergie est à peine ébauchée et la stratégie reste hésitante, la transformation récente du CEA en un Commissariat à l’énergie atomique (sa mission depuis 1945) et aux énergies alternatives ne règle pas les problèmes, loin de là. Au plan mondial, l’échec de la conférence de Copenhague laisse sans réponse la question des transferts de technologie vers les pays du Sud (suivant quelles modalités et quelles technologies ?). Il reste à espérer que dans les pays développés l’endettement massif des Etats ne compromettra pas les efforts pour construire ces sept piliers….et que l’on évitera d’écrire le scénario de Blanche Neige et les sept nains


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