L’hiver et ses froidures sont propices aux conflits gaziers qui opposent périodiquement la Russie à des pays d’Europe de l’Est, l’Ukraine notamment, qui sont ses clients. Le gaz, distribué en Europe par des gazoducs, est en fait devenu un enjeu de la géopolitique ce que révèle le trajet de futurs gazoducs alors que l’on s’interroge aussi sur les réserves mondiales de gaz : les évaluations les plus récentes montrent que la planète n’est pas menacée de pénurie. Cela va-t-il changer la donne ? La question vaut d’être posée en ce début d’année 2010 que nous vous souhaitons très bonne….
Les conflits gaziers à répétition en Europe (impliquant principalement la Biélorussie et l’Ukraine deux anciennes républiques de l’ex-URSS), en général au début de l’hiver, ont mis en évidence la dimension géopolitique de la filière gazière qui, en Europe, est une histoire de « tuyaux », en l’occurrence de gazoducs. En effet, alors que les productions britannique et hollandaise de gaz tendent à baisser, plusieurs pays européens (dont l’Allemagne et surtout l’Italie) dépendent fortement des livraisons de gaz russe par des gazoducs pour leur approvisionnement énergétique et le tracé de futurs gazoducs en Europe est un enjeu stratégique. On observera que les approvisionnements en gaz de la France sont relativement bien diversifiés : 32 % proviennent de la Norvège, 18 % des Pays Bas, 16 % de l’Algérie et 14% de la Russie, le Nigeria et l’Egypte se partageant le reste. Aujourd’hui, la totalité du gaz russe à destination de l’Europe de l’Est et de l’Ouest transite par deux gazoducs, Yamal (20%) et, le bien nommé ( !) Brotherhood (80%), à travers l’Ukraine et la Biélorussie. Deux projets de nouveaux gazoducs court-circuiteraient ces deux pays: le trajet de l’un, North Stream, emprunterait les fonds de la Baltique, avec le soutien de l’Allemagne et de la Russie, tandis que l’autre, South Stream, soutenu par l’Italie et la Russie relierait les champs russes à l’Europe via la mer Noire, la Roumanie et la Hongrie. Une autre option, soutenue par l’UE, le gazoduc Nabucco relierait les gisements d’Asie centrale (notamment d’Azerbaïdjan) à travers la Turquie, elle vise à alléger la dépendance de l’Europe par rapport au gaz russe car une position de monopole est toujours un risque mais cette trilogie des tuyaux masque aussi les difficultés qu’éprouve l’Europe à définir une stratégie énergétique commune en particulier pour ses approvisionnements en gaz (cf. à ce sujet l’intéressant dossier de Terra Nova www.terranova.fr ).
La Chine, elle-même, dont les besoins énergétiques vont en croissant n’est pas en reste dans cette géopolitique du gaz puisqu’elle escompte drainer du gaz russe de gisements situés en Sibérie par des gazoducs. L’importation de gaz liquéfié par méthaniers est l’alternative aux gazoducs et des pays producteurs du Golfe Persique, le Qatar notamment, ont fait des investissements importants dans des usines de liquéfaction qu’ils souhaitent rentabiliser en exportant leur importante production .
Tout n’est pas évidemment une affaire de gazoducs car le gaz doit d’abord être produit. Or l’intérêt pour le gaz est allé en croissant ces dernières années. Le gaz naturel (constitué principalement de méthane) est considéré, depuis plusieurs années déjà, comme un atout important pour une économie de l’énergie moins « carbonée » car sa teneur en carbone étant plus faible que celle des autres combustibles fossiles, sa combustion dégage donc moins de gaz carbonique. La demande mondiale de gaz a d’ailleurs été en croissance constante ces dernières années (sa part mondiale dans l’énergie primaire était de 22% en 2008), mais il est vrai que la crise économique et financière a peut être porté un coup d’arrêt à cette croissance comme le révèle le rapport 2009 sur l’énergie de l’AIE, le World Energy Outlook 2009 ( www.aie.org) , dans lequel l’Agence donne un bon coup de projecteur sur les perspectives du gaz naturel. Dans un contexte où la consommation mondiale d’énergie a chuté de 2% en 2009, pour la première fois depuis 1981, l’AIE estime qu’au premier semestre 2009 la demande mondiale de gaz a baissé de 9% (avec une très forte chute aux USA). Selon le bureau d’études Cedigaz, l’année 2009 devrait se clôturer par une baisse de 5 à 6% de la consommation de gaz. On observe aussi que le prix du gaz a baissé de près de 20% sur l’année 2009 alors que le cours du baril de pétrole a augmenté de plus de 25%. La récession a également provoqué une chute de 20% des investissements, en 2009, dans les secteurs pétrolier et gazier qui va handicaper la production dans le futur. Qu’en est-il des réserves de gaz et de leur répartition géographique ? On observe que la géopolitique du gaz naturel est différente de celle du pétrole (les deux tiers des réserves mondiales se trouvent localisées au Moyen-Orient) : le Moyen-Orient concentre certes 41% des réserves mondiales (16% pour l’Iran et 14% pour le Qatar) mais la part de la Russie est importante (23%), ces trois pays représentant la moitié des réserves mondiales, avec un gisement celui de North Field, situé entre l’Iran et le Qatar et qu’ils doivent se partager, qui concentrerait à lui seul 14% des réserves mondiales ! La géopolitique des réserves de gaz fait clairement apparaître le rôle clé de la Russie dans la production avec un quasi-monopole de la société Gazprom. Pour ce qui est de l’avenir, la crise ne conduit pas l’AIE a réviser son scénario de référence pour l’énergie: elle « prévoit » ainsi une croissance annuelle modérée de la demande de gaz (1,5%) de 2010 à 2030, soit au même rythme que celui de l’énergie primaire. L’AIE met en évidence un fait nouveau : la forte augmentation des réserves de gaz, les découvertes ayant été supérieures aux quantités extraites des gisements ces dernières années. Les réserves considérées comme exploitables ont plus que doublé depuis 1980 et les ressources conventionnelles de gaz restant dans les gisements, considérées comme récupérables, seraient équivalentes à près de 100 ans de la production à son rythme actuel. Cette réévaluation des ressources est tout à fait considérable et change les perspectives de production d’autant plus que des ressources non conventionnelles sont désormais exploitables, en particulier le gaz extrait de schistes par fracturation hydraulique dans des puits horizontaux, une technique qui est développée aux USA (notamment au Texas et dans la région des Appalaches). Toutefois, l’AIE n’exclut pas une surabondance de gaz à l’horizon 2015 à la suite du déséquilibre des investissements (l’importance croissante du gaz liquéfié exige des investissements importants), de l’exploitation de ressources non conventionnelles et d’une moindre croissance de la demande qui se traduirait par une baisse des cours.
Alors qu’il n’existe pas encore un marché mondial du gaz, une inconnue demeure : les pays producteurs, en particulier la Troïka des grands gaziers, parviendront-ils à constituer une OPEP du gaz pour en réguler le cours ? Cependant, une surabondance de gaz pourrait changer la donne et la position dominante de producteurs comme Gazprom s’en trouverait sérieusement érodée d’ici quelques années. Le jeu des stratégies commerciales des producteurs de gaz et la position dominante de certains d’entre eux ont donné à l’approvisionnement en gaz, depuis quelques années seulement, un rôle géopolitique dont il faut désormais tenir compte.