Les carburants dérivés du pétrole demeurent, pour l’heure, indispensables pour les transports et, depuis plusieurs années déjà, la voie des biocarburants est considérée comme une alternative possible, même partielle, à l’essence et au gazole. Cependant alors que l’on s’interroge sur le bilan énergétique et l’impact des biocarburants actuels, la recherche en biologie et en génétique est peut être en train d’ouvrir des voies nouvelles dans ce domaine. Il est donc utile de faire le point.
Les carburants dérivés du pétrole sont encore indispensables dans le secteur des transports (52% du pétrole mondial est destiné au transport) mais pour pallier l’épuisement inévitable des réserves et pour satisfaire aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, les gouvernements dans de nombreux pays développés (au Brésil aussi) ont accordé une place de choix aux biocarburants (éthanol et esters pour le diesel) produits à partir d’une biomasse renouvelable. Le plan Energie- Climat de l’UE fixe d’ailleurs à 10 % la part des biocarburants qui devraient être utilisés dans les transports en 2020 (à condition qu’ils émettent 35% de moins de gaz carbonique que les carburants pétroliers). Toutefois, après quelques années d’euphorie, les biocarburants dits de première génération (produits à partir de grains de blé, maïs, colza, tournesol) et de plantes à sucre (betterave, canne) ont été l’objet d’une volée de critiques. Un premier lot de critiques concerne leur impact climatique : le bilan carbone des biocarburants (leurs émissions totales de gaz carbonique lorsqu’on prend en compte toute la chaîne de production depuis la mise en culture jusqu’au stade industriel) comparé à ceux de l’essence ou du gazole est incertain sauf pour le bioéthanol produit à partir de la canne à sucre comme au Brésil pour lequel il est nettement positif. Un rapport de l’ADEME (www.ademe.fr ), publié en octobre 2009, montre cependant que le bilan carbone des biocarburants est dans la majorité des cas meilleur que celui des carburants pétroliers si l’on n’a pas changé l’affection de sols pour les produire (par déforestation par exemple). Le bioéthanol produit à partir de maïs émettrait 64% de CO2 de moins que l’essence et celui avec la canne à sucre 78% mais celui produit avec le blé 57% de moins seulement. Pour le biogazole, selon l’ADEME, l’ester de soja émettrait 79% de moins de CO2 que le gazole. Un second type de critiques tend à souligner que les biocarburants fabriqués à partir de produits agricoles destinés à l’alimentation humaine entrent en concurrence directe avec des produits alimentaires alors que les besoins de la planète dans ce domaine vont augmenter à l’avenir (les crises alimentaires risquent de s’aggraver).
Ces critiques conduisent les promoteurs de la filière à chercher une voie alternative : fabriquer de l’éthanol, voire d’autres alcools et des hydrocarbures, à partir d’une biomasse non alimentaire (résidus agricoles et forestiers, tiges et feuilles, herbes). Cette filière dite des biocarburants de « deuxième génération » nécessite encore beaucoup de recherches. Si plusieurs voies peuvent être empruntées pour cette filière, elles passent toutes par l’utilisation de la cellulose, et éventuellement de l’hémicellulose, qui sont des sucres constituant les parois des cellules végétales. La cellulose est intriquée avec de la lignine, un polymère qui forme des fibrilles et qui est difficilement utilisable. Il faut d’abord déstructurer la matière ligno-cellulosique pour obtenir des sucres comme matériau de base. Cette étape franchie, la voie classique est celle de la biochimie qui permet de réaliser une fermentation des sucres et de produire de l’éthanol à l’aide d’un cocktail d’enzymes d’origine microbienne ou produits par des champignons. La voie thermodynamique est une alternative : on gazéifie la biomasse à haute température (900-1000°C) et par des réactions catalytiques on produit de l’éthanol et éventuellement des hydrocarbures. Cette voie utilise des techniques que connaissent les pétroliers et qui se rapprochent aussi des méthodes utilisées pour fabriquer des carburants synthétiques à partir du charbon par gazéification (le procédé classique dit Fischer-Tropsch notamment). Ces techniques restent encore coûteuses (les coûts de production de l’éthanol sont deux fois plus élevées que par la voie classique à partir du maïs ou de la canne à sucre). Si les deux voies, biochimique et thermochimique, sont au point, il reste à améliorer les rendements des procédés.
D’autres voies plus prospectives sont encore des chantiers de recherche. L’une d’elles consiste à faire une nouvelle chimie en sautant l’étape de la fermentation des sucres pour produire directement des hydrocarbures par des réactions catalytiques (en utilisant le platine comme catalyseur à 330° C). L’autre voie, probablement très prometteuse, est une stratégie génétique qui vise à trouver des souches de bactéries ou de levures qui augmenteraient les rendements de saccharification (la production des sucres) et de fermentation, quitte à utiliser le génie génétique pour transformer les bactéries ou les levures, pour les faire produire de nouvelles enzymes. L’objectif serait d’obtenir des alcools (l’éthanol, et le butanol qui a une plus grande densité énergétique) mais aussi des hydrocarbures (cf. Regalbuto, J.R., « Cellulosic biofuels – Got gasoline ? », Science, vol. 325, p. 822,14 August 2009, www.sciencemag.org ). On pourrait tenter d’utiliser, par exemple, les enzymes de bactéries présentes dans le système digestif des termites qui ont la désagréable habitude de s’attaquer au bois et qui savent le dégrader. Une troisième possibilité, enfin, est de modifier le génome des plantes afin de changer la composition moléculaire des cellules (par exemple la répartition entre la cellulose, l’hémicellulose et la lignine). Plusieurs génomes ont été séquencés dont celui du peuplier et de l’herbe géante, Miscanthus, ce qui est une étape préalable pour produire des OGM qui seraient le matériau de base pour la fabrication de biocarburants.
L’utilisation des algues ouvrirait la voie à une troisième génération de biocarburants, des microalgues pouvant produire des esters destinés au diesel. Cette filière présente l’intérêt de ne pas nécessiter la mobilisation de terres agricoles (on utilise des bassins en bord de mer ou des terrains avec des eaux saumâtres) Là encore, la possibilité de modifier le génome des algues pour les faire produire des hydrocarbures (par transformation des lipides) permettrait sans doute d’obtenir des carburants avec des bons rendements. En juillet dernier, la société américaine Exxon a annoncé qu’elle allait investir 600 millions de $ pour un programme de recherche sur cette filière (Service, R.S., « ExxonMobil fuels Venter’s efforts to run vehicles on algae-based oil », Science, vol. 325, p. 379, 24 July 2009 www.sciencemag.org ) en coopération étroite avec la société de biotechnologie Synthetic Genomics, basée en Californie et dirigée par le biologiste Craig Venter. Celui-ci annonce qu’il a pu transformer le génome de certaines souches d’algues pour les faire produire des hydrocarbures. L’avantage potentiel de ces procédés est de pouvoir être utilisés en continu dans des réacteurs industriels sans mobiliser des terrains. Observons aussi que la voie des algues est, sans doute, intéressante pour les pays en développement qui ont une façade maritime.
On n’évitera probablement pas une utilisation partielle des biocarburants dans les transports mais cette filière devra trouver des techniques de production à partir d’une matière première végétale (cellulose, algues, etc.) qui ne soit pas destinée à la consommation alimentaire. Si beaucoup de progrès restent à faire dans ce domaine, il apparaît que la voie de la « bioingénierie » utilisant les techniques de la génétique est très prometteuse. Plusieurs publications récentes (pendant l’été) font état de percées dans le domaine de la « biologie synthétique » : des équipes américaines (dont celle de C.Venter) ont modifié des génomes de bactéries en y remplaçant des gènes par des petites séquences d’ADN synthétiques ce qui permet d’augmenter considérablement le rendement de production de composés organiques qu’elles synthétisent naturellement. C’est une voie qui peut être appliquée à la production de biocarburants. Les USA sont en train de prendre une nette avance dans les recherches dans cette voie que la France, empêtrée dans la querelle sur les OGM, tarde à emprunter.