Les lents progrès des moteurs à hydrogène

energie_logo_h2.jpgL’hydrogène est souvent considéré comme un carburant du futur qui pourrait remplacer l’essence ou le gazole dans les véhicules dans un avenir plus ou moins proche. La voie de l’hydrogène pour les moteurs (en particulier pour la motorisation électrique utilisant la pile électrique), ne peut être ouverte que si plusieurs obstacles techniques importants et qui demeurent sont franchis. Quelques progrès dans les modes de stockage de l’hydrogène et les piles à combustible ont été enregistrés, semble-t-il, récemment. Ouvrent-ils des nouvelles perspectives ?

Dans la préparation de l’après pétrole, l’option souvent envisagée est celle de la voiture avec un moteur électrique fonctionnant avec une pile à combustible alimentée avec de l’hydrogène. Nous avons évoqué, à plusieurs reprises dans nos brèves, les problèmes que pose cette solution. L’hydrogène est certes le plus simple des composés moléculaires (deux atomes d’hydrogène dans la molécule) mais il n’existe pas à l’état naturel, il faut le fabriquer, il n’est donc pas une ressource énergétique : c’est un vecteur énergétique et il ne constitue donc pas une réponse directe à la question énergétique. Il faut également préciser que si l’hydrogène possède un pouvoir énergétique gravimétrique relativement élevé (120 MJ/kg au lieu de 45 MJ/kg pour le pétrole), à température et pression ordinaires il se trouve à l’état gazeux avec une très faible densité. On ne peut le liquéfier, et donc le densifier, qu’à très basse température (-253° C), sa liquéfaction, outre qu’elle coûte de l’énergie, pose un problème majeur pour son stockage. Il faut ajouter enfin que d’une part des mélanges air-hydrogène ont un pouvoir d’inflammabilité sur une large plage (des mélanges avec 4-75% en volume d’hydrogène sont inflammables alors que pour l’essence la plage n’est que de 1-8%) et que d’autre part l’hydrogène diffuse très vite et fragilise des structures métalliques en cas de fuite.

On peut utiliser l’hydrogène dans un moteur de deux façons. On peut évidemment brûler de l’hydrogène dans un moteur thermique classique, ce n’est pas l’option la plus intéressante, car les moteurs thermiques ont un mauvais rendement (de 35 à 45%). La solution, préconisée depuis longtemps, est d’utiliser un moteur électrique dont le rendement est excellent (de 90 à 95%) en produisant l’électricité à partir d’une pile à combustible embarquée sur le véhicule. Une pile à combustible utilise de l’hydrogène comme combustible: on convertit de l’hydrogène et de l’oxygène en eau en produisant de l’électricité qui peut alimenter un moteur électrique. L’utilisation de l’hydrogène pose trois problèmes : – sa production (nous n’évoquerons pas la question ici) – son stockage – l’utilisation de la pile à combustible.

Supposant résolue la production de l’hydrogène (les procédés industriels existent mais ils posent des problèmes économiques et environnementaux) se pose alors la question du stockage. Un récent article de la revue Nature (L.Schlapbach, « Hydrogen-fuelled vehicles », Nature, vol. 460, p. 809, 13 August 2009, www.nature.com ) fait le point sur cette question. Si l’on veut utiliser une automobile « classique » (poids n’excédant pas 1,5 tonne) pour couvrir une distance de 500 km on utilise de 30 à 35 litres d’essence (soit un poids de 80 kg avec le réservoir). Avec un moteur utilisant une pile à combustible on n’aura besoin que de 5 kg d’hydrogène (le double avec un moteur thermique à l’hydrogène liquide) mais il faut les stocker. Le stockage à l’état liquide pose un sérieux problème car on consomme environ le tiers de son contenu énergétique pour le liquéfier et il faut le conserver à très basse température dans des réservoirs cryogéniques (ce que l’on fait dans les fusées où il est vite consommé). La solution du stockage à l’état gazeux est souvent envisagée dans des réservoirs à très haute pression (700 bars) qui seront lourds et volumineux (plusieurs autobus testent des piles à combustible dans des villes européennes, à Berlin et Madrid notamment, l’hydrogène y est stocké sur le toit). On peut aussi envisager stocker l’hydrogène gazeux dans un solide poreux (des hydrures métalliques, des nanotubes de carbone, des zéolites) en utilisant, en quelque sorte, des éponges à hydrogène, et c’est cette solution qui est largement discutée dans l’article de Nature. Deux solutions sont possibles : l’hydrogène est lié soit physiquement à un matériau solide (pas de liaison chimique) soit chimiquement (il réagit avec le matériau). Le stockage physique (appelé physisorption) est plus simple et le matériau peut contenir jusqu’à 8% de son poids d’hydrogène. En général il faut absorber le gaz à très basse température ce qui n’est pas pratique à moins d’utiliser des zéolites qui sont des aluminosilicates ou des composés métalliques organiques. Cette voie est loin d’être au point. La seconde option, la chimisorption, est plus prometteuse : on forme des hydrures métalliques (avec des métaux comme le magnésium, le palladium, le thorium, ou avec des hydrures plus complexes du type lanthane-nickel etc.) par une réaction à 20°C -100°C qui est facilement réversible (l’hydrogène est relâché par la réaction inverse par chauffage) ; toutefois ces hydrures ne stockent en général que 4% de leur poids en hydrogène (car ce sont des métaux lourds). On s’orienterait donc vers une solution  "mixte" : stockage dans un réservoir sous pression (à 350 bars) dans des réservoirs remplis de matériaux formant des hydrures légers (des boro-hyrures ou des hydrures avec des métaux légers comme le lithium). On pourrait stocker de 8 à 20% en masse et chauffer le matériau pour qu’il relâche son gaz à des températures modérées de 20°C à 100°C. L’auteur, un chercheur suisse, de l’article de Nature est relativement optimiste sur le stockage mais on doit bien constater que les progrès dans ce domaine sont réels mais lents : il n’y a pas vraiment de percée. La pile à combustible pose d’autres types de problèmes.

Le processus de conversion dans la pile ne s’y déroule pas en un tournemain et celle-ci est un ensemble complexe constitué par un électrolyte placé entre deux électrodes poreuses contenant un catalyseur (en général le platine). L’hydrogène est introduit à l’anode à partir d’un réservoir et l’oxygène (prélevé dans l’air) arrive à la cathode. L’hydrogène perd ses électrons à l’anode et ceux-ci alimentent le circuit électrique externe ; privé de leur électron les atomes d’hydrogène (réduits à un proton) traversent l’électrolyte (qui peut être une membrane) pour se recombiner à la cathode avec les électrons qui ont accompli leur tournée électrique et l’oxygène pour former de l’eau. La pile fournit du courant électrique mais aussi de la chaleur dégagée par la réaction. Le système a deux avantages : il a un très bon rendement électrique (de 35 à 60% suivant la nature des piles) et il ne produit pas de gaz carbonique. La pile utilisant un électrolyte qui est une membrane polymérique a l’avantage de fonctionner à température relativement basse (80°C environ) mais, jusqu’à nouvel ordre, le catalyseur utilisé est le platine qui est un métal précieux et coûteux (il faut aujourd’hui 0,5g de platine pour produire un kW). Le platine est incorporé dans des structures poreuses dans les électrodes (on peut utiliser du noir de carbone ou des nanomatériaux), 80 % du platine se trouvant à la cathode dans les piles classiques et 20% à l’anode. Depuis des années des recherches sont effectuées pour tenter de remplacer la platine par un autre métal moins coûteux. Récemment, une société britannique, ACAL Energy, a annoncé qu’elle allait mettre sur le marché une nouvelle pile utilisant une approche totalement nouvelle (cf. Technology Review, « A liquid design for cheaper fuel cells », 3 September 2009, www.technologyreview.com ) : la cathode est liquide et le catalyseur est un mélange de molybdène et de vanadium en solution (des métaux bien moins coûteux que le platine). Cette pile élimine complètement le platine à la cathode et économiserait donc, en principe 80 % du platine. La pile fournirait une bonne densité de puissance et un prototype de 1 kW fonctionne parfaitement. Elle a l’avantage de ne nécessiter ni refroidissement, ni lubrification de la membrane électrolyte. La société envisage la production industrielle de piles de 15 kW ce qui constituera, évidemment, un test pour les applications aux véhicules électriques. Cette réalisation, si la durée de vie et la montée en puissance des piles tenaient leurs promesses, serait peut être une réelle percée.

D’autres types de piles à combustible ont été proposés. En particulier des piles utilisant des électrolytes qui sont des oxydes métallique qui ont l’avantage d’utiliser soit l’hydrogène soit éventuellement des hydrocarbures comme le méthane mais elles exigent des températures élevées pour fonctionner (en général au dessus de 700° C). L’électrolyte est en général une zircone, la cathode est un composé de lanthane et l’anode est en nickel ; on se passe donc de platine comme catalyseur ce qui est un avantage. Toutefois, ces fonctionnements à des températures élevées ont l’inconvénient de provoquer des réactions avec les matériaux des électrodes et de dégrader les piles. Des travaux japonais récents permettent d’abaisser les températures de fonctionnement (T.Suzuki, « Impact of anode microstructure on solid oxide fuell cells », Science, vol. 325, p. 852, 14 August 2009, www.sciencemag.org ). Les chercheurs japonais utilisent des électrodes constituées de microstructures poreuses (en zircone) dopées avec du cérium. Les piles peuvent fonctionner à des températures inférieures à 600°C avec une très bonne densité d’énergie.

Plusieurs prototypes d’autobus fonctionnant à l’hydrogène roulent en Europe (notamment en Allemagne) et au Japon ainsi que quelques dizaines de prototypes de voitures mais les progrès enregistrés dans les techniques clés (stockage de l’hydrogène et fonctionnement des piles notamment sans platine) sont encore trop lents. En fait le véhicule à hydrogène pour percer doit résoudre simultanément plusieurs problèmes dont certains posent des défis techniques : – la production (si possible en n’utilisant ni charbon, ni gaz naturel) – il faut par ailleurs construire des infrastructures pour le ravitaillement en carburant – stockage de l’hydrogène dans le véhicule et production de piles à combustibles économiques et fiables. Sans rupture technique majeure intervenant au cours des prochaines années, l’horizon des voitures à hydrogène reste donc encore éloigné.


Publié

dans

par

Étiquettes :