Une ressource énergétique utopique: les hydrates de méthane vont-ils percer?

saibos.jpgLes hydrates de méthane sont constitués par du méthane piégé dans une cage de glace à basse température, sur les marges des océans et dans le permafrost; les réserves considérables mais difficiles à estimer. Jusqu’à présent cette ressource était considérée comme inexploitable. Or, il semblerait que des expertises américaines récentes ainsi que des campagnes océanographiques conduisent à considérer que certains gisements seraient exploitables. Il est donc utile de faire le point.

Les hydrates de méthane, encore appelés clathrates par les physiciens, sont des solides moléculaires constitués par du méthane piégé dans une cage formée par des molécules d’eau, autrement dit un réseau de glace. Ils sont formés à basse température et à haute pression (au voisinage de 0°C et sous une pression de l’ordre de 150 atmosphères). On les trouve au fond des océans par grande profondeur (là ou règnent des pressions élevées), en général le long des marges océaniques (par exemple sur les côtes américaines du Pacifique et de l’Atlantique) mais aussi dans les régions continentales froides piégées sous le permafrost de Sibérie. En fait la transformation de ces ressources gelées en réserves exploitables est encore toute une aventure technique pour laquelle on ne dispose que de peu d’expériences vraiment concluantes Une première "expérience" d’exploitation des hydrates avait été tentée au Canada, en1972, à Prudhoe Bay entre 500 et 700 m de fond mais sans grand succès. Les soviétiques avaient tenté, eux aussi, une exploitation d’un gisement d’hydrates en Sibérie à Messoyakha, pendant quelques années, mais ils l’ont arrêtée car elle n’était pas rentable (ils injectaient du méthanol dans le gisement pour décomposer l’hydrate ce qui était coûteux). Il s’avère que l’exploitation de ces ressources est très difficile car le méthane est protégé par des barrières physiques qui le piégent. Un hydrate n’étant stable qu’à pression élevée ou à basse température, on peut en récupérer le méthane soit par dépressurisation (en pompant sur le solide), soit par dissociation thermique (on provoque sa fusion par chauffage). On peut aussi injecter du gaz carbonique dans le gisement qui déstabilise l’hydrate. Il faut éviter tout risque de fuite et d’explosion Des experts lors d’un colloque organisé à Vienne par l’IASA (International Insitute for Applied System Analysis, www.iiasa.ac.at ), l’an dernier, estimaient toutefois que le rendement énergétique d’une exploitation est positif car il faudrait dépenser de 13 à 17 fois moins d’énergie pour extraire le méthane que celui-ci n’en contient. Néanmoins les conditions d’exploitation sont encore totalement incertaines avec des risques d’accidents lors de fuites (d’explosions notamment). En fait le principal risque que comporte l’exploitation des hydrates de méthane est climatique. Le méthane est en effet un gaz à effet de serre "efficace": sa molécule absorbe les infrarouges rayonnés par la Terre plus que le gaz carbonique. Tout dégazage accidentel non maîtrisé d’un gisement de méthane expédierait dans l’atmosphère des quantités considérables de méthane qui amplifieraient l’effet de serre et contribueraient ainsi au réchauffement climatique. Bien entendu, ce dégazage pourrait être "naturel" si le fond des océans venait à se réchauffer ou si le permafrost de Sibérie en faisait de même par suite du changement climatique. Toute exploitation d’un gisement d’hydrate de méthane devrait donc être sérieusement contrôlée pour éviter un accident climatique.

La place que pourraient occuper les hydrates de méthane dans les réserves énergétiques de la planète est un sujet controversé depuis de nombreuses années et reste encore une inconnue notamment parce que l’on ignore encore dans quelles conditions réalistes on pourrait les exploiter. Un article récent du magazine Science a fait le point sur le sujet cet été (R.Boswell, « Is gas hydrate energy within reach ? », Science, vol. 325, p. 957, 21 August 2009, www.scienmage.org ). Sur le plan des réserves mondiales estimées il y rien de vraiment nouveau et les chiffres avancés sont toujours « astronomiques » : les réserves mondiales de méthane stocké dans des hydrates (au fond des océans et dans les régions arctiques) s’élèveraient à 20 000 – 9 000 Tm3 (le Teramètre cube ou Tm3 vaut mille Gigamètres cubes soit encore un million de million de mètres cubes). Par comparaison la consommation annuelle mondiale de gaz est aujourd’hui d’environ 3 Tm3 et les réserves mondiales prouvées sont estimées de l’ordre de 180 Tm3. Les réserves potentielles d’hydrates seraient donc gigantesques mais on peut se demander si ces évaluations sont réalistes (les géologues estiment toutefois que seule un fraction de ces réserves serait exploitable). Jusqu’à la fin des années 1990 on pensait que les hydrates étaient piégés dans des boues faiblement perméables, la plupart du temps au fond même de l’océan, et donc difficilement exploitables mais en 1999 des chercheurs japonais ont découvert des réservoirs sous-marins au Sud-Est du Japon où les hydrates sont stockés à haute concentration dans du sable dont ils rempliraient la quasi-totalité des pores ce qui faciliterait leur exploitation car ils peuvent facilement diffuser. Les possibilités d’exploitation se sont donc focalisées sur les gisements potentiels dans les sables off-shore. Ainsi, en 2008, le Mineral Management Service aux USA a estimé qu’il existerait plus de 180 Tm3 d’hydrates dans des formations de sable off-shore dans la partie nord du Golfe du Mexique ce qui représente un véritable Eldorado gazeux à l’échelle des USA (la consommation américaine annuelle de gaz est de 0,6 Tm3 ….) ; une campagne océanographique en avril 2009 dans le Golfe du Mexique a confirmé l’existence de gisements importants d’hydrates dans deux sites. Des gisements d’hydrates off-shore ont aussi été découverts, en 2008, dans des bancs de sédiments de 150 m d’épaisseur au large de l’Inde et de la Corée. Le problème des techniques d’exploitation éventuelle des gisements reste posé. Il faut réduire la pression dans le gisement afin que l’hydrate se dissocie et relâche ainsi son méthane. Un test a été effectué au Canada en collaboration avec le Japon, en 2008, qui montre que cette technique de dépressurisation semble possible dans un gisement. L’alternative est l’injection de CO2 dans un gisement de sable pour chasser le méthane (on pourrait éventuellement y laisser le CO2 piégé pour le stocker à son tour et s’en débarrasser), des essais semblent prévus en Alaska.

La voie de l’exploitation des gisements piégés dans les sables ne semble donc pas impraticable car elle pourrait bénéficier des techniques mises au point pour l’exploitation du pétrole et du gaz. Il est certainement prématuré d’annoncer que les hydrates de méthane ouvriront un nouvel Eldorado énergétique, mais les découvertes récentes dans des sables off-shore peuvent conduire à penser que leur exploitation n’est plus irréaliste à échéance de 2030. Rappelons qu’au début des années 1970, rares étaient les experts pétroliers qui auraient parié que l’on pourrait exploiter du pétrole off-shore par très grande profondeur (1500 à 2000 d’eau aujourd’hui), la prospective nous incite à la prudence… Bien sûr le méthane reste du méthane, c’est-à-dire un gaz à effet de serre (sa combustion dégage toutefois moins de CO2 à calories égales que le charbon et le pétrole) et, tout tapi qu’il soit dans un manteau de glace au fond des océans, son exploitation à grande échelle ne réglera pas le problème climatique….


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