Depuis le début de l’année des options importantes ont été prises tant au niveau international qu’au niveau national. : en France vote de la loi « Grenelle 1 » avec un volet énergétique important, en juillet, option prise pour la taxation du carbone, nouvelle politique énergétique et climatique de l’administration Obama aux USA avec un plan de relance massif de l’économie qui accorde une réelle priorité à l’énergie, développement des énergies renouvelables en Chine, etc. Ces options, indéniablement importantes, peuvent orienter l’avenir des politiques énergétiques alors que la crise économique demeure un facteur d’incertitude majeur. Au début de l’été il est utile de faire le point sur la stratégie française.
En France, le « Grenelle de l’environnement » qui s’est tenu en 2007 a permis de dégager un consensus assez large sur les grands objectifs d’une politique environnementale et climatique avec un volet énergétique important. La méthode dite de « Grenelle » consiste à réunir des experts gouvernementaux avec des partenaire sociaux (syndicats, ONG notamment) pour définir par voie de consensus quelques objectifs d’une politique (une méthode pratiquée initialement pour les questions liées au travail et à l’emploi dans un ministère qui se trouvait rue de Grenelle à Paris). La loi qui a été votée par le Parlement, fin juillet, concrétise les grandes options qui on été prises dans une loi dite « d’orientation » qui définit des objectifs à long terme. S’agissant d’énergie le principal objectif est sans doute de faire passer à 23% en 2020 la proportion d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale (contre 10% environ en 2008) tout en divisant par un facteur quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Des objectifs de réduction importante de la consommation d’énergie dans les bâtiments sont également fixés (une norme de 50kWh/métre carré par an). On doit observer que la mer avait été totalement oubliée dans le Grenelle de l’environnement (une amnésie habituelle en France un pays qui oublie qu’il est doté de trois façades maritimes !) et que le gouvernement avait décidé, fin 2008, de réunir un « Grenelle de la mer » consacré aux questions maritimes (pêche, protection du littoral, avenir des ports, énergies marines, etc.). Ce nouveau Grenelle a remis sa copie début juillet. On relève parmi les conclusions de ce Grenelle maritime l’objectif d’atteindre une capacité de production d’énergie marine de 6 000 MW en 2020 (énergie des marées des vagues de la houle thermique et éolienne sur les côtes) soit l’équivalent de quatre réacteurs nucléaires EPR. Cet objectif est totalement irréaliste, la seule énergie marine utilisée en France actuellement est celle de la filière marémotrice qui avec l’usine de la Rance correspond à une capacité d’environ 250 MW (un quart de la puissance d’une centrale nucléaire, malheureusement difficilement répliquable). Nous avons exposé dans une brève récente (le Capitaine Nemo n’ira pas au Grenelle de la mer) les obstacles que rencontrent les énergies marines (les fermes éoliennes sur le littoral, intégrées à cet objectif, ne peuvent être considérées comme relevant de la filière « marine »), celui de la fiabilité et de l’entretien des infrastructures étant le principal. Il y très peu de chance que cet objectif dont le coût n’est pas chiffré puisse être atteint. Si l’on met de côté le côté utopique de certaines propositions (celles concernant l’énergie marine par exemple) on reconnaîtra que la loi sur le Grenelle 1 a le mérite de mobiliser les acteurs de l’énergie pour réaliser de réelles économies, mettre en route une véritable politique de régulation et de développement des énergies renouvelables (le solaire et l’éolien). C’est un pari qui n’est pas gagné d’avance car il suppose d’importants moyens financiers et de réels progrès techniques notamment pour la filière solaire. L’objectif concernant les énergies renouvelables sera sans doute difficile à atteindre.
La taxation du carbone, c’est-à-dire en fait celle des émissions de CO2, est une mesure qui a été proposée par des économistes du secteur de l’énergie (notamment par Patrick Criqui de Grenoble) et qui a refait fait surface, en France, au moment des dernières élections présidentielles avec le parrainage, notamment de Nicolas Hulot. L’objectif est évidemment de dissuader de consommer des énergies fossiles (pour le transport et le chauffage) émettrices de CO2, des émissions qui sont un facteur du réchauffement climatique. Reprise par le président N.Sarkozy, l’idée de la taxe carbone (baptisée aussi « contribution climat-énergie ») a fait son chemin. Une commission présidée par l’ancien premier ministre, Michel Rocard, a fait des propositions précises au gouvernement pour sa mise en œuvre peut être dés 2010. La tonne de CO2 émise serait taxée initialement à 32 € la tonne pour être portée progressivement à 100 € en 2030, elle serait appliquée aux carburants et au fioul ce qui reviendrait à ajouter une taxe de 7 à 8 centimes d’euro au litre d’essence. Un ménage « moyen » serait ainsi taxé, la première année, au maximum de 300 €. Le niveau de la taxe n’a pas été fixé au hasard. Plusieurs commissions, en effet, ont planché sur le sujet de la taxe carbone ces dernières années dont la « commission Quenet », réunie en 2008 après le Grenelle de l’environnement qui s’est appuyé sur des modèles économiques qui fournissent des ordres de grandeur de la valeur du CO2 requis pour respecter des objectifs d’émission (la diviser en France d’un facteur 4 d’ici 2050). Cette commission avait abouti à cette valeur de 32€ en 2010 et à son actualisation à 4% par an ce qui aboutit à une valeur de 100 € en 2030 et à 200€ en 2050 ; à ce niveau le coût de l’utilisation des combustibles devrait être fortement dissuasif (on lira sur ce sujet dans Futuribles, « La valeur de la tonne de gaz carbonique », No 345, p. 85 octobre 2008, www.futuribles.com). Il reste deux débats. Le premier est celui de la taxation éventuelle de l’électricité que préconise certains, notamment les écologistes hostiles au nucléaire, en France l’électricité provient pour près de 80% du nucléaire et pour 12% de l’hydraulique, son « contenu carbone » est donc marginal, la taxation de l’électricité aurait certes l’avantage de forcer à des économies d’électricité mais elle n’a aucun sens climatique. La France a l’avantage d’avoir une électricité peu coûteuse et qui ne produit pas de gaz à effet de serre, la taxer serait en quelque sorte une politique de gribouille en particulier si l’on veut lancer une politique de développement des véhicules électriques dont les batteries seront rechargées sur le réseau électrique. Il faut observer que les entreprises vont être taxées pour leurs émissions de CO2 (notamment les producteurs d’électricité) par le biais des quota d’émission européens qui vont de venir progressivement payants (le cours de la tonne de CO2 pour ces permis est aujourd’hui de 14 € la tonne). Le second débat porte sur l’utilisation de la taxe dont le produit serait d’environ 8 milliards d’euros la première année. Elle pourrait être en partie reversée sous forme d’un « chèque vert » aux ménages les plus pauvres afin de couvrir leurs dépenses d’énergie supplémentaires (là aussi une compensation au niveau national ne devrait être que partielle afin de décourager les consommations excessives de carburant par exemple par l’usage de véhicules tels que les 4×4) ou utilisée pour alléger les charges des entreprises portant notamment sur le travail, abonder un fonds de soutien aux nouvelles énergies est une autre éventualité. Malgré quelques incertitudes, la taxe carbone pourrait être un outil efficace pour une stratégie énergétique. Sa généralisation pour taxer des importations aux frontières de biens à fort contenu énergétique (l’acier par exemple) est difficile à mettre en oeuvre et nécessiterait de toute façon un accord international (au minimum européen).
La recherche et l’innovation technologique et sociale, nous l’avons souvent dit, sont aussi des moyens pour préparer l’avenir énergétique. Dans un contexte rendu difficile par la crise économique, la publication, en France début juillet, d’un document sur la « stratégie nationale de recherche et d’innovation » par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) aurait pu contribuer à apporter un éclairage intéressant au débat sur la sortie de crise et l’énergie. Ce document, soumis pour avis à l’Académie des sciences, a pour ambition de définir des orientations dans les grands secteurs de la politique nationale de la recherche. L’énergie a toute sa place dans le document dans l’une des trois grandes priorités « Mieux comprendre l’évolution du climat et des écosystèmes », un thème important évidemment. Pour le MESR il s’agit essentiellement de donner une priorité aux recherches pour maîtriser l’énergie dans quatre domaines clés : – le nucléaire – le solaire photovoltaïque – les biocarburants de deuxième génération – les énergies marines. On ne disconviendra pas que les trois premiers thèmes sont importants et nous avons dit combien les énergie marines devraient rester marginales. La « sobriété énergétique dans les transports, le bâtiment et les procédés industriels ou agricoles » est un autre thème relevant de la priorité « Promouvoir la ville et mobilités durables ». On retire l’impression de ce document supposé programmatique que les grands lobbies du moment ont pesé pour que leur thématique soit présente parmi les priorités et que celles-ci ont été définies sans aucune réflexion d’ensemble sur la stratégie de recherche. Ainsi le solaire à concentration qui est une autre option solaire n’est-il pas évoqué, la fusion thermonucleéaire, pourtant est dévoreuse de crédits n’a pas le droit à un mot, les biocarburants sont mentionnés sans que les obstacles scientifiques et techniques soient identifiés, quant à la question clé du stockage de l’énergie (les batteries par exemple pour les véhicules) et de grille électrique elles ne figurent pas au programme…Définir une stratégie suppose une analyse des points "critiques", des tendances scientifiques émergentes, des obstacles à surmonter et, enfin, des forces et des faiblesses du potentiel de recherche français et européen. A partir de là on peut s’atteler à définir quelques objectifs. Le document actuel n’a pas permis de réaliser cet exercice incontournable et force est de constater que la France n’a pas encore de réelle stratégie de recherche dans le domaine de l’énergie.
Les périodes de crise sont souvent des temps difficiles qui permettent toutefois de réfléchir à des stratégies pour prendre des options qui permettent de préparer l’avenir. S’agissant d’énergie, la loi pour le Grenelle de l’environnement fournit incontestablement un cadre pour mettre en oeuvre un politique climatique et énergétique. La taxe carbone est un moyen d’action très concret qui devrait porter ses « fruits » à long terme. Tout cela est incontestablement positif. Et des choix ont été faits, parfois il est vrai avec une dose d’irréalisme. En revanche on peut s’étonner que la réflexion sur les objectifs et les priorités d’une politique de recherche n’ait pas été réellement amorcée et qu’elle en soit restée au stade des banalités qui sont ressassées depuis quelques années. C’est incontestablement un sérieux handicap pour définir une politique énergétique, dans ce domaine l’imagination n’est malheureusement pas au pouvoir La réflexion sur les moyens à mettre œuvre n’est donc pas achevée. En particulier, quelle sera la place consacrée aux financements destinés à l’énergie dans le grand emprunt national que veut lancer le gouvernement ? Il ne serait pas inapproprié de prévoir ainsi que l’emprunt finance certaines recherches (par exemple sur le stockage de l’énergie) ou des prototypes industriels. Il reste aussi, bien sûr, l’important volet international de la question énergétique avec la perspective de la conférence sur le climat de Copenhague en décembre prochain. Les choix là ont une véritable dimension mondiale. Nous y reviendrons.