Des nouveaux scénarios pour la fusion thermonucléaire?

fusion_laser.jpgL’exploitation de la fusion thermonucléaire, est une alternative à la fission nucléaire. Cette filière est encore au stade du laboratoire car elle se heurte à desobstacles scientifiques et techniques. Le programme international Iter a été lancé, en 2007, pour réaliser la fusion par confinement magnétique d’un plasma dans un réacteur expérimental à Cadarache. Mais Iter rencontre des difficultés financières qui ont conduit à en revoir le scénario. D’autres scénarios sont aussi envisagés, utilisant, en particulier l’utilisation des lasers.

Les schémas actuels pour réaliser la fusion thermonucléaire misent sur la méthode du confinement magnétique qui paraît plus « facile » à mettre en oeuvre que la technique concurrente utilisant des lasers dite du confinement inertiel. Dans la voie « magnétique » on crée un plasma de deutérium et de tritium (des isotopes de l’hydrogène) par chauffage qui est confiné dans une chambre qui a la forme d’un tore grâce à deux champs magnétiques très élevés et que l’on porte à très haute température (200 millions de degrés) par un courant électrique et par irradiation par des micro-ondes : le dispositif (inventé en URSS) s’appelle un tokamak. Pour extraire de l’énergie de la réaction de fusion (elle provient pour l’essentiel d’un flux de neutrons émis lors de la fusion), il faudra résoudre un nombre considérable de problèmes techniques et comprendre des phénomènes d’instabilité dans le plasma lors de la fusion (équivalents à des turbulences) qui pourraient le déstabiliser. L’ampleur des problèmes à résoudre a conduit les pays qui ont des programmes de recherche sur la fusion à joindre leurs efforts pour coopérer dans un programme expérimental baptisé Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor, le sigle signifiant la voie en latin…). Ce programme lancé officiellement en 2007 compte sept membres (la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon, la Russie, l’Union Européenne qui contribue à près de la moitié au financement du projet et les USA), la machine doit être construite en France, à Cadarache dans les Alpes de Haute Provence, sur un site d’un centre du CEA ; les travaux de génie civil pour aménager le site sont terminés et la construction d’Iter devrait donc commencer. En fait les scientifiques et les ingénieurs avaient bouclé un dossier technique et financier en 2001 pour la prise de décision finale par les Etats qui acceptaient de se joindre au programme, le coût total de construction de la machine étant estimé à 5 milliards d’euros en 2006 (auquel s’ajoutera un coût de fonctionnement équivalent) mais, depuis lors, des éléments nouveaux sont survenus (cf. notre brève précédente). Les experts ont en effet recommandé un grand nombre de modifications au schéma initial, en particulier pour le dispositif de chauffage du plasma et les systèmes destinés à stabiliser le plasma et à extraire de l’enceinte le combustible usagé (appelé « divertisseur »), il est apparu nécessaire d’éviter des bouffées explosives d’énergie lors de la fusion qui pourraient détériorer les parois de l’enceinte. Par ailleurs la hausse du prix de certaines matières premières et la nécessité de procéder à des recrutements supplémentaires pour gérer la construction ont aussi poussé vers le haut la facture pour la construction de la machine. Quoi qu’il en soit, il est apparu que le coût de construction d’Iter atteindrait aujourd’hui 10 milliards d’euros soit le double du devis initial. En fait il est difficile d’estimer avec exactitude ce que va coûter cette construction car les pays partenaires du programme se sont répartis les tâches en faisant construire chez eux la plupart des dispositifs qui seront ensuite assemblés à Cadarache ce qui pose évidemment de redoutables problèmes de gestion d’un chantier déjà complexe (750 personnes travailleront ainsi dans le bureau central qui gérera le projet), l’engagement initial des partenaires porte donc sur une « valeur » d’un équipement que chacun doit réaliser (par exemple les enroulements des fil supraconducteurs pour les aimants doivent être fournis par la Chine, le Japon, la Russie, la Corée et les USA) et dont le coût ne sera connu qu’en fin de réalisation… (cf. G.Brumfiel « Fusion dreams delayed », Nature, vol. 459, p. 488, 28 May 2009, www.nature.com ). Tous ces développements ont conduit le Conseil exécutif du programme, qui s’est réuni en juin au Japon, à adopter un nouveau scénario de construction pour Iter. C’est un scénario par étapes. La première étape qui devrait être réalisée en 2018 consisterait à construire le coeur de l’installation de base avec les aimants supraconducteurs pour produire le champ magnétique intense de confinement et tester le plasma avec de l’hydrogène « normal » (ni deutérium ni tritium), il n’y aurait donc pas encore de fusion. Une deuxième étape viserait à compléter la machine de base avec les instruments de diagnostic, le dispositif de chauffage du plasma et à revêtir les parois internes d’un métal pour absorber les futurs neutrons de fusion. Après des tests on passerait à la troisième étape finale, vers 2026, en introduisant le deutérium et le tritium dans la machine pour réaliser la fusion thermonucléaire dans Iter ce qui est son objectif, sans doute vers 2028 ; la machine devrait fournir une puissance de 500 MW soit dix fois la puissance qu’elle prélèverait dans le réseau électrique pour la lancer la fusion. Ce scénario, jugé plus réaliste par les experts (une fois la machine mise en marche pour la fusion il sera difficile de faire des modifications car ses parois internes seront très radioactives) retarde d’au minimum deux ans la réalisation des expériences de fusion et il revient à admettre le nouveau devis mais avec un lissage des dépenses sur un plus grand nombre d’années (D.Clery, « ITER gets the nod for slower, step by step approach », Science , vol.34 p.1627, 26 June 2009, www.sciencemag.org). On observera qu’en France la presse a été peu diserte sur cette question, mais il est vrai que la transparence du CEA, le principal acteur français pour la fusion, sur les grandes filières nucléaires est bien connue…

Pendant qu’Iter connaissait ses tribulations techniques et financières, les Américains, quant à eux, qui participent au programme Iter, inauguraient discrètement, fin mai à Livermore en Californie, leur gigantesque installation laser pour réaliser la fusion. On peut, en effet, réaliser la fusion thermonucléaire contrôlée en l’amorçant à l’aide de lasers très puissants : c’est la voie dite du confinement inertiel. On utilise des petites capsules qui sont des sphères de béryllium, placées au centre d’un cylindre en or, contenant environ 150 microgrammes d’un mélange de deutérium et de tritium. Une série de faisceaux laser de grande puissance (cf. figure)va déclencher en frappant les parois du cylindre une avalanche de rayons X qui va porter à très haute température les sphères (au minimum 100 millions de degrés), les vaporiser puis les comprimer (une onde de choc fait le travail) ce qui va déclencher la fusion des atomes (« l’ignition ») qui va ensuite se poursuivre. En fait cette technique doit être utilisée dans l’installation américaine et une installation française similaire en cours de construction à Bordeaux, le Laser Megajoule, pour simuler le déclenchement de la fusion dans une arme thermonucléaire (la bombe H), les essais d’armes nucléaires étant interdits désormais par un traité international (que la France a signé et ratifié, les USA ayant signé le traité mais le Sénat américain a refusé de le ratifier). L’installation américaine qui vient d’être mise en marche, la National Ignition Facility (NIF), a donc d’abord une finalité militaire (sa construction a duré sept ans pour un coût total de 3,5 milliards de $…moins élevé que celui d’Iter), il en va de même de l’installation française qui devrait être mise en marche dans deux ans. Mais il est clair que la NIF comme le laser Megajoule français pourront aussi être utilisés pour tester la voie de la fusion thermonucléaire par confinement inertiel et c’est d’ailleurs ce qu’ont prévu les équipes qui vont travailler sur ces installations. L’installation américaine (située dans un bâtiments de dix étages couvrant une superficie équivalente à trois terrains de football) est constituée par un laser de puissance de base émettant dans l’infrarouge, le faisceau initial est divisé en 192 faisceaux qui sont amplifiés avant de parvenir à la cible dans laquelle ils vont apporter une énergie totale de 1,8 Megajoule pendant 20 nanosecondes (il y a beaucoup de pertes en ligne) ce qui correspond à une puissance d’environ 500 Terawatts (ce qui est supérieur à la puissance électrique installée aux USA !). Les lasers sont la clé de ces expériences de confinement inertiel (il faut aussi que les fenêtres optiques résistent à la chaleur) et, en admettant que la fusion puisse être déclenchée, il faudra fabriquer des lasers capables de faire des tirs à répétition pour utiliser la méthode dans une installation industrielle. La NIF devrait commencer des expériences de fusion en 2010. Leur succès ne serait qu’une étape sur une route qui risque d’être, comme pour Iter, assez longue (D.Clery, « Fusion’s great bright hope », Science, vol.324, p. 326, 29 April 2009, www.sciencemag.org). L’Europe, elle aussi, n’a pas mis tous ses œufs dans le même panier puisqu’elle lance un programme sur la fusion inertielle mais avec une variante du schéma américain (et français avec le laser Megajoule) consistant à utiliser deux faisceaux laser (un premier pour la compression et un second pour déclencher l’ignition).

Face à ces perspectives pour le moins compliquées (il faut non seulement réaliser la fusion dans un réacteur mais aussi en extraire l’énergie..), on peut se demander s’il n’existerait pas un autre scénario, une troisième voie en quelque sorte. Une solution a été proposée depuis longtemps déjà (en particulier par le physicien soviétique Sakharov), elle consisterait à construire un réacteur hybride à fusion-fission. Les difficultés des deux voies actuelles ont conduit à redonner une certaine actualité à un tel schéma ( cf. J.P. Freiberg and A.C.Kadak, « Fusion-fission hybrids revisited », Nature Physics, vol. 5, p.310, June 2009, www.nature.com/naturephysics). Le principe en est « simple » : il consiste à utiliser les abondants neutrons énergétiques produits par la réaction de fusion dans un réacteur (en admettant qu’on y parvienne !) pour produire des matériaux fissiles à partir d’un matériau nucléaire constituant le revêtement des parois du réacteur (par exemple de l’uranium 238 qui par capture d’un neutron va produire du plutonium 239 ou du thorium 232 qui produira de l’uranium 233), les matériaux fissiles ainsi produits pourraient alimenter un réacteur de fission (classique à eau légère et à l’uranium, ou un surgénérateur utilisant le plutonium). On peut évidemment se demander avec une telle machine si l’on essaye pas de « faire compliqué alors qu’on peut faire simple »; en fait, comme le soulignent parfois certains spécialistes lucides de la fusion, les réacteurs à fusion sont riches en neutrons et pauvres en énergie alors que les réacteurs à fission, sont pauvres en neutrons et riches en énergie (il faut amorcer une réaction en chaîne pour produire beaucoup de neutrons mais la fission produit dix plus d’énergie que la fusion) et en mariant les deux réactions on aurait les avantages des deux systèmes. En fait le grand intérêt d’un réacteur hybride serait sa capacité non seulement à utiliser de l’uranium « ordinaire » (l’U 238) mais surtout de pouvoir brûler des déchets nucléaires encombrants tels que les actinides dont la durée de vie (la période pendant laquelle ils restent radioactifs) est de plusieurs centaines de milliers d’années, et qu’il faut donc stocker, en radioéléments à vie courte. Ces réacteurs permettraient aussi de produire de l’uranium 233 utilisable dans des réacteurs et qui a l’avantage d’être non proliférant (on peut difficilement l’utiliser pour construire un arme nucléaire). Bien évidemment ses schémas intéressants sur le papier supposent que l’on ait pu réaliser au préalable la fusion dans un réacteur de base par un moyen ou un autre…

Comme nous avons eu l’occasion de le souligner, la fusion thermonucléaire est loin d’être un long fleuve tranquille et les « experts » du domaine se sont régulièrement trompés, depuis cinquante ans, dans leurs prévisions pour un calendrier de réalisation de la fusion entretenue à un stade expérimental (on sait que l’on peut produire la fusion mais il faut déclencher et entretenir la réaction dans une machine). Les difficultés d’Iter conduisent à repousser les échéances à 2030 mais il n’est pas impossible, cependant, qu’une percée dans la méthode du confinement inertiel (avec des lasers très performants) modifie la donne. La solution des réacteurs hybrides devrait être aussi tenue en réserve. Mais la saga de la fusion pose un problème de fond : celui du choix des techniques et des filières énergétiques pour l’avenir. La fusion est trop souvent présentée par ses partisans comme la voie de l’avenir, le Saint Graal de l’énergie, qui permettrait à la planète d’accéder à une source d’énergie inépuisable (la ressource utilisée par le Soleil pour nous envoyer la lumière) mais les difficultés de l’entreprise ne sont jamais présentées dans leur totalité lors de la prise des décisions: n’y pas de véritable débat. Ces difficultés ne sont pas une raison suffisante pour renoncer à l’aventure de la fusion mais elles mériteraient à tout le moins d’être discutées de façon à faire les choix en bonne connaissance de cause. Avec les programmes sur la fusion on doit mettre en balance ceux qui permettraient d’améliorer le nucléaire actuel (se débarrasser des déchets, utiliser les surgénérateurs), de mieux développer certaines énergies renouvelables (le solaire par exemple), de fabriquer des biocarburants de deuxième génération (à partir de la ligno-cellulose), etc. C’est cet exercice que suppose un véritable politique de recherche dans le domaine de l’énergie et qui n’est pratiquement jamais entrepris. Il est probable que nous aurons encore d’autres rendez vous avec la fusion….


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