Les statistiques récentes sur l’énergie révelent, pour la première fois depuis cinq ans, un très net ralentissement de la consommation mondiale en 2008. La crise économique mondiale et la flambée du cours du pétrole au premier semestre de l’an dernier, avant sa rechute en fin d’année, sont évidemment responsables de ce retournement très net de tendance qui touche, il est vrai, de façon inégale les grandes régions de la planète. Cette tendance est-elle « durable » ? Les énergies renouvelables percent-elles? Faut-il revoir les scénarios énergétiques ? Telles sont quelques unes des questions que l’on peut se poser.
Les statistiques sur l’énergie (production et consommation primaire) que publie chaque année la multinationale du pétrole BP, et qui font autorité, mettent bien en évidence le retournement de la situation énergétique survenu en 2008 (BP Statistical Review June 2008, www.bp.com/statisticalreview ). Quelques chiffres sont significatifs. Globalement (toutes ressources confondues) la consommation globale d’énergie primaire (11,3 Gtep) n’a cru que de 1,4% en 2008 : c’est la croissance la plus faible depuis cinq ans. Ce retournement de tendance intervenu l’an dernier s’explique partiellement par le coût élevé de l’énergie et, en particulier de celui du baril de pétrole (un cours moyen du baril de Brent de 97 $ sur l’année soit une augmentation de 34% par rapport à 2007), et surtout par l’impact de la récession économique. Toutes les régions du monde ne sont pas logées à la même enseigne : – la zone OCDE est la plus touchée avec une décroissance de la consommation dans certains pays (- 2,8% pour les USA et – 1,9% au Japon) et un quasi maintien en Europe (une légère croissance de 0,9% pour la France) – une croissance de 2,6% pour l’Amérique du Sud – une croissance de 4,1% pour l’ensemble de l’Afrique ainsi d’ailleurs que pour la zone Asie-Pacifique (+7,2% pour la Chine et + 5,6% pour l’Inde). On observe que pour la première fois en 2008, la consommation d’énergie des pays hors OCDE a dépassé celle des pays de l’OCDE. On remarque aussi que ce sont les pays de la Zone Asie- Pacifique qui ont réalisé 87% de l’augmentation de la consommation mondiale d’énergie (et la Chine à elle seule assurant les trois quarts de cette croissance mondiale !).
Si l’on examine le détail des productions et consommations pour les grandes filières (pétrole, charbon, gaz, nucléaire et énergies renouvelables) on constate un net fléchissement de la consommation de pétrole au niveau mondial : celle-ci a décru de 0,6% l’an dernier pour la première fois depuis 1993 (la plus forte chute depuis 1982 après le deuxième choc pétrolier). En revanche la production n’a pas baissé (une croissance faible de 0,4% il est vrai, assurée pour l’essentiel par les producteurs de l’OPEP), les stocks ont d’ailleurs nettement augmenté dans les pays de l’OCDE en fin d’année (avec une diminution de 3,2% de la consommation pour les pays de la zone). La consommation de gaz a continué à augmenter (+ 2 ,5%) – le gaz représentant pratiquement le quart de l’énergie primaire mondiale – ainsi que celle du charbon (+3,1% mais en net ralentissement sauf en Chine qui a vu sa consommation augmenter de 6,8%, le charbon confortant sa pace de numéro 2 mondial sur le podium de l’énergie mondiale). Quant au nucléaire sa production a légèrement baissé l’an dernier (essentiellement au Japon, sans doute un conséquence d’un tremblement de terre en 2007 qui oblige à revoir les conditions de sécurité), en revanche celle de l’hydraulique a cru de 2,8% (+20% en Chine). Les énergie renouvelables ont poursuivi leur croissance : près de 30% l’an dernier pour l’éolien, 69% pour le solaire, et la production d’éthanol comme carburant progressant d’un tiers. On ne peut évidemment pas tirer des leçons définitives de statistiques qui reflètent d’abord une situation de « crise » qui, on le constate, touche de façon inégale les pays de la planète. Toutefois on peut faire l’hypothèse que la chute de la consommation d’énergie et surtout de pétrole dans les pays de l’OCDE peut être « durable » car la crise économique y est profonde – des secteurs gros consommateurs d’énergie (comme l’industrie automobile, la production d’acier et de ciment) sont en forte récession – et peut conduire à des restructurations drastiques accompagnées de mesure d’économie d’énergie (stimulées par le Grenelle de l’environnement en France). En revanche, la Chine montre que le rythme de croissance de son économie est certes ralenti mais qu’elle est toujours en proie à une boulimie d’énergie qui tirera vers le haut la consommation mondiale (en particulier celle de pétrole), il en ira sans doute de même pour des pays dits émergents comme l’Inde et le Brésil (qui a découvert de nouveaux gisement de pétrole off- shore) et peut être l’Afrique et le Moyen Orient.
Une autre donnée que reflètent incomplètement sans doute les statistiques de BP est la monté en puissance des énergies renouvelables. Cette progression a été spectaculaire ces dernières années. Toutefois, là aussi, l’année 2008 a été marquée par un net ralentissement des nouveaux investissements dans les infrastructures de production d’énergies renouvelables si l’on en croit un récent rapport de l’UNEP (Programme des Nations Unies pour l’Environnement). Ce rapport, Tendances mondiales de l’investissement en énergie durable, 2009 , www.unep.org ) , fournit quelques points de repère intéressants sur les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermie, biomasse et biocarburants, énergie marine, l’hydroélectricité avec les grands barrages étant exclue) : sur les 250 milliards de $ investis en 2008 dans des nouvelles infrastructures produisant de l’énergie plus de la moitié (155 milliards de $) l’ont été dans des filières d’énergie renouvelable. Leur rythme de croissance est impressionnant puisque les investissements ont doublé depuis 2004 mais on observe aussi que la croissance a été relativement faible entre 2007 et 2008 (+5% seulement). L’impact de la crise économique et financière est certainement responsable de cette forte décélération qui a été très forte à la fin 2008 et au premier trimestre 2009. Une analyse détaillée révèle que l’énergie éolienne vient largement en tête des investissements (51,8 milliards de $) mais avec une faible progression d’une année sur l’autre (+1% seulement), suivie par l’énergie solaire (33,5 milliards de $) qui a connu un véritable boom (une progression de 49% par rapport à 2007), les investissements dans la biomasse (au troisième rang pour les investissements) sont en très forte chute (- 25%) ainsi que pour les biocarburants (une baisse de 9%). Au plan géographique on remarque une très forte croissance des investissements dans tous les pays émergents : au Brésil (+78%), de 18% en Chine, de 12% en Inde et de 10% pour l’ensemble de l’Afrique. La Chine devient le deuxième marché mondial pour l’éolien (une capacité totale installée de 12 GW) et le premier fabriquant mondial de panneaux solaires photovoltaïques. Quant aux pays développés leurs performances sont médiocres : une légère croissance des investissements en Europe (+2%) et une nette chute pour l’Amérique du Nord (-8%). Autrement dit les énergies renouvelables (qui ne représentent que 4,4% de la production mondiale d’électricité) ont encore un long chemin à parcourir pour prendre le relais des énergies fossiles et la crise économique et financière est un sérieux obstacle sur leur route.
La crise économique ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique vont obliger à réviser les scénarios énergétiques mondiaux mais d’abord pour les pays développés. Les plans de relance économique devraient être l’instrument d’un tel aggiornamento, c’est sans doute le cas aux USA, au Japon en en Chine (avec des investissements très substantiels dans les énergies renouvelables, les voitures électriques…mais aussi le charbon) mais ce ne l’est probablement pas en Europe et notamment en France (la place de l’énergie est relativement peu importante dans le plan de relance français, cf. notre brève à ce sujet). Le lancement d’un grand emprunt national en France, annoncé par le président Sarkozy, pourrait être l’occasion de donner une impulsion aux investissements à long terme dans le domaine de l’énergie à condition que l’on définisse une stratégie à long terme avec une vision réaliste des enjeux et des contraintes : Quelles sont les contraintes (par exemple pour les biocarburants, le solaire, l’habitat, la voiture électrique, etc.) : – Dans quels secteurs investir ? – Quel rôle pour la recherche ? – Quelles mutations effectuer dans des secteurs comme l’automobile ?etc. La plupart de ces questions ont une dimension européenne qui, on doit le regretter, semble absente des débats actuels (l’éventualité de lancer un grand emprunt européen a été vite oubliée). Il n’est peut être pas trop tard pour espérer que l’Europe et la France prennent conscience que la crise économique nous oblige à faire des choix énergétiques pour l’avenir.