Biocarburants ou véhicules électriques: quel usage de la biomasse?

Image00047.jpg Les biocarburants (bioéthanol ou esters pour le diesel) sont considérés comme une alternative aux carburants dérivés du pétrole pour le transport .Ceux-ci semblent présenter un avantage climatique: leur bilan environnemental est meilleur que celui des produits pétroliers (ils dégagent moins de gaz carbonique). Par ailleurs, l’utilisation des véhicules électriques est  relancée (en particulier des hybrides): ils rejettent moins de CO2 mais posent la question de la provenance de l’électricité alimentant leurs batteries. Une étude américaine conduit à des résultats intéressants et paradoxaux sur l’utilisation de la biomasse dans les transports.

Les biocarburants ont, a priori, un double avantage : – la matière de base est renouvelable – leur impact climatique serait faible puis qu’ils « recyclent » dans l’atmosphère le gaz carbonique qui a été fixé par les végétaux. De nombreux pays ont pris des mesures (fiscales notamment) pour favoriser la production de biocarburants. La France, par exemple, s’est fixée l’objectif d’introduire 7% de biocarburants automobiles en 2010 et l’UE d’utiliser 10% de biocarburants dans les transports en 2020. En fait les biocarburants sont l’objet d’une double critique. La première concerne leur impact climatique, plusieurs rapports ayant montré que leur bilan carbone (les rejets totaux de CO2 dans l’atmosphère) n’était sans doute pas aussi excellent qu’on le pensait. La seconde, plus fondée, tendait à souligner que les biocarburants produits à partir de produits agricoles destinés à l’alimentation humaine (le maïs notamment avec lequel on produit du bioéthanol) entraient en concurrence directe avec des produits à finalité alimentaire. La crise alimentaire dans certains pays en développement (en Afrique notamment), survenue en 2008, a donné crédit à cette thèse. Il existe une alternative à l’utilisation de produits agricoles à finalité alimentaire qui est celle des biocarburants dits de deuxième génération (du bioéthanol par exemple) qui seraient produits par transformation de la cellulose végétale qui est elle n’est pas consommée (sauf par les animaux…). Cette voie est tout à fait possible mais la filière est loin d’être totalement au point au plan industriel, elle exige, en effet, une série d’étapes et l’utilisation, notamment de réactions enzymatiques.

La filière électrique pour le transport est de nature totalement différente. Elle consiste à utiliser un moteur électrique, l’électricité étant stockée dans des batteries ou produite, partiellement, par un moteur thermique (qui peut recharger les batteries) dans le cas des véhicules hybrides. Le premier problème pour les véhicules électriques est celui des batteries : comment alléger leur poids et accroître leur capacité de stockage (cf. nos récents blogs à ce sujet) ? Le second est celui de la provenance de l’électricité chargeant les batteries. Dans les véhicules hybrides elle est produite par un carburant qui peut, d’ailleurs, être un biocarburant. Dans les véhicules utilisant seulement une batterie elle provient du réseau électrique et donc être produite dans des centrales utilisant, pour l’heure, des combustibles fossiles (gaz, charbon ou fuel) ou alors l’énergie nucléaire. La Chine, on le sait, veut développer la production de véhicules électriques mais son électricité étant produite à près de 80% avec du charbon on conçoit que cette filière ne résoudra en rien le problème des émissions de CO2 dans l’atmosphère et donc la question climatique.

Une récente étude américaine éclaire sous un jour nouveau cette question de l’utilisation de la biomasse à des fins énergétiques dans les transports. Elle a été publiée dans Science par des chercheurs de l’ université de Californie, de Stanford et de la Carnegie institution (J.E.Campbell et al. « Greater Transportation Energy and GHG Offsets from Bioelectricity than ethanol », Science express, 7 May, www.sciencexpress.org ). Ces chercheurs ont utilisé un modèle d’analyse des biocarburants développé à l’université de Californie (le Biofuel Analysis Meta-Model) qui permet de comparer à la fois l’efficacité énergétique et les émissions de gaz à effet de serre (notamment le CO2 qui est l’un des facteurs du réchauffement climatique) de biocarburants provenant de biomasse très diverse (par exemple le maïs et l’herbe des prairies Panicum Vergatum appelée switchgrass en anglais). Ce modèle permet aussi de tenir comte des procédés de fabrication des biocarburants (de leur rendement énergétique, de leurs émissions de CO2). Ils ont appliqué ce modèle pour comparer l’utilisation de quatre types de véhicules américains utilisant soit des moteurs à combustion interne soit un mode électrique : des voitures de taille moyenne et de petite taille (à l’échelle américaine…) des 4×4 de petite et de grande taille (baptisés SUV aux USA, c’est à dire Sport Utility Vehicles). Ces véhicules utilisent soit un biocarburant (le bioéthanol par exemple) soit un système électrique mais où l’électricité a été produite dans une centrale utilisant de la biomasse (celle-ci est tout simplement brûlée pour alimenter une chaudière !) : les auteurs de l’étude l’appellent « bioélectricité ». Les chercheurs ont comparé les véhicules utilisés soit en ville soit sur autoroute. Les résultats de cette étude sont surprenants. En effet, il apparaît qu’en moyenne l’utilisation de la biomasse pour produire de l’électricité utilisée ensuite dans une batterie électrique d’un véhicule est à 80% plus efficace du point de vue énergétique que son utilisation pour produire des biocarburants. Pour parler autrement, on peut dire que selon les chercheurs américains, en tenant compte de tous les entrants dans la production des biocarburants (engrais, fuel agricole, énergie pour produire les biocarburants), on pourra faire plus de kilomètres à l’hectare avec de la biomasse produisant de l’électricité (et qui est tout simplement brûlée) alimentant des batteries qu’avec de la biomasse utilisée pour produire un biocarburant. Ainsi, par exemple, en ville, une petite voiture roulant avec un moteur électrique fonctionnant avec de la « bioélectricité » produite à partir de maïs parcourra en moyenne 38 000 km à l’hectare par an (on tient compte de la production moyenne annuelle de maïs à l’ha qui, dans ce scénario, est entièrement brûlé pour faire des comparaisons même si dans la réalité il est peu probable que l’on brûlerait les épis de maïs…) tandis que la même voiture alimentée en bioéthanol produit par ce même maïs (on produit environ 2 tep d’éthanol à l’hectare par an à partir du maïs récolté) ne parcourra que 10 000 km à l’hectare par an. Si l’éthanol et la bioélectricité sont produits à partir de l’herbe de prairie (switchgrass, avec une production d’environ 15 tonnes d’herbe à l’ha par an) l’avantage de la voiture électrique est moins marqué (40 000 km à l’ha avec le bioéthanol contre 58 000 km à l’ha pour la bioélectricité). En revanche, l’avantage de la solution bioélectricité est encore plus marqué pour les 4×4 car le rendement de leurs moteurs thermiques et encore moins bon. Qui plus est, le bilan CO2 de la bioélectricité est aussi très favorable, les émissions nettes de CO2 (en tenant compte de toute la chaîne de production) sont quatre fois moins importantes pour les petites voitures roulant en ville à la bioélectricité que pour celles utilisant des biocarburants, la situation est encore plus favorable pour les 4×4.

Les résultats de cette étude sont surprenants et méritent certainement d’être examinés de plus près. S’ils étaient avérés cela signifierait que la solution des biocarburants ne serait pas la plus énergétiquement favorable et que la solution plus simple consistant à brûler la biomasse (par exemple les rafles de maïs) serait à la fois plus simple et plus rentable. Bien sûr deux problèmes demeureraient : – la mise au point de batteries stockant l’électricité légères et facilement rechargeables – la concurrence entre la biomasse à finalité énergétique et celle à finalité alimentaire (on peut certes utiliser l’herbe de prairie mais la surface agricole dans ce cas là ne sert pas à des productions végétales destinées à l’alimentation). En revanche si l’on utilise des tiges de maïs ou de blé on récupère une énergie de façon plus économique que par les procédés de dégradation de la cellulose. Il faut donc poursuivre un examen critique de toutes les filières utilisant la biomasse.


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