L’avenir du pétrole est-il dans les sables bitumineux du Canada?

Image00057.jpg De quelles ressources « ultimes » récupérables de pétrole disposons nous encore ? La crise économique qui va sans doute se traduire, en 2009, par une chute de 3 à 5% de la consommation mondiale de pétrole, a fait perdre de son actualité à cette question mais celle-ci continue cependant à se poser. Du pétrole « non conventionnel » est disponible en particulier dans les sables bitumineux dont il existe des gisements considérables, notamment au Canada. Ce pétrole est-il exploitable et dans quelles conditions environnementales? Représente-t-il une ressource importante qu’il ne faut pas négliger?

Il existe toujours des grandes incertitudes sur les conditions d’exploitation d’un gisement pétrolier dont le contenu total récupérable sera connu lorsqu’il aura été totalement exploité (le volume total exploité d’un gisement constituant ce que les géologues appellent la réserve ultime). Pour estimer les réserves mondiales les géologues utilisent des méthodes probabilistes : ainsi qualifient-ils de « prouvées » les réserves découvertes dont la probabilité d’exploitation rentable serait d’au moins 90%. Aujourd’hui on a pu produire depuis un peu plus d’un siècle 1000 milliards de barils de pétrole (1000 Gbarils) ; pour se fixer les idées, la production mondiale en 2008 était d’environ 86 millions de barils par jour (le baril est une unité baroque d’origine américaine qui vaut 159 litres). Les experts (cf. Agence Internationale de l’Energie, AIE, World Energy Outlook 2008) estiment qu’il existe encore de 1000 à 1300 Gbarils de pétrole conventionnel exploitable (c’est-à-dire à l’aide de techniques classiques y compris l’offshore) ; il existe une incertitude sur les ressources qui pourraient provenir de l’exploitation de l’off-shore très profond (au de là de 2000 m) et des régions arctiques. Ces réserves correspondraient à 30 ou 40 ans d’exploitation au rythme actuel. Au pétrole conventionnel (correspondant à des pétroles plus ou moins légers et peu visqueux) on doit ajouter des pétroles qualifiés de « non conventionnels », une catégorie qui comprend des pétroles extra-lourds (et donc très visqueux), les sables bitumineux et les schistes bitumineux. Les réserves mondiales de ces pétroles sont considérables, elles s’élèveraient, selon l’AIE, à 6000 milliards de barils mais dont environ 1 à 2 milliards de barils seulement seraient exploitables. Les pétroles extra- lourds se trouvent essentiellement au Venezuela (bassin de l’Orénoque) et sont une véritable mélasse.

Les sables et les schistes bitumineux contiennent du bitume mélangé à du sable ou à une roche. L’exploitation des sables bitumineux est « relativement » plus facile dans la mesure où ceux-ci affleurent souvent à la surface du sol et peuvent donc être extraits dans une véritable mine à ciel ouvert. Le Canada est un véritable Eldorado des sables bitumineux car il existe un gisement considérable dans l’Alberta (région de l’Athabasca) qui est déjà en exploitation depuis quelques années au rythme d’environ 1 million de barils de pétrole par jour. Les réserves exploitables sont estimées (dans l’état aujourd’hui prévisible des techniques d’exploitation) comprises dans une fourchette de 172 à 315 milliards de barils de pétrole et seraient supérieures aux réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite (260 Gbarils). L’origine de ces sables bitumineux n’est pas totalement claire. Leur origine serait du pétrole qui se serait formé sous les Montagnes rocheuses et qui aurait migré à la fois vers le haut et à l’est pour se faire piéger dans des roches sédimentaires et du sable, par érosion et évaporation le pétrole aurait perdu les composé légers et il ne serait resté que du bitume.

Un sable bitumineux est un matériau renfermant de 9 à 13 % de bitume, de 3 à 7% d’eau et de 80 à 85% de matériau solide. La fraction solide est elle-même constituée de grains de sable et de fines particules de diamètre inférieure à 44 microns qui sont essentiellement des argiles. Le défi technique de l’exploitation d’un sable bitumineux est de séparer le bitume des grains de sable et des particules d’argile de très faible taille (cf. M.Gray et al. « Physics in the oil sands of Alberta », Physics today, March 2009, p. 31, www.physicstoday.org ). Le bitume lui même est un mélange d’hydrocarbures (des molécules de 3 à 300 atomes de carbone mais avec relativement peu d’atomes d’hydrogène). L’exploitation d’un gisement comme celui de l’Alberta s’effectue en plusieurs temps. On enlève les couches de sable (d’épaisseur souvent de un mètre) avec des pelleteuses. Le sable est ensuite broyé et mélangé avec de l’eau chaude et des produits chimiques détergents à 40-55 °C ce qui permet de le mettre sous forme de boue contenant des granulés. L’ensemble est pompé et envoyé dans un pipe line sous pression hydraulique. La turbulence dans le pipe line sépare le bitume des grains de sable. Des gouttes de bitume s’attachent à des bulles d’air qui les entraînent. Ce bitume et la boue qui l’accompagne sont déversés dans un grand réservoir en forme d’entonnoir où le bitume collé aux bulles d’air monte à la surface tandis que le sable et les particules d’argile les plus grosses coulent avec l’eau au fond du récipient. On récupère donc après une séparation par gravitation une écume de bitume, le sable qui est au fond contenant aussi des résidus de bitume que l’on peut recycler. Le bitume de cette mousse soit est collé à des très fines particules d’argile soit il forme une émulsion avec les gouttes d’eau. On se débarrasse facilement des bulles d’air par chauffage ou par gravitation et l’on récupère les particules solides les plus petites qui sont constituées pour l’essentiel de bitume par écoulement entre deux plaques verticales inclinées d’un récipient (les particules les plus lourdes sont de l’argile que l’on élimine). Les gouttes d’eau émulsifiées sont plus coriaces car elles ont un petit diamètre de 2 à 10 microns (en fait, la biodégradation naturelle du bitume a libéré des acides carboxyliques qui sont des tensioactifs, des détergents, qui s’ils facilitent la séparation du bitume du sable empêchent la coalescence des gouttes d’eau). On ajoute un polymère à l’émulsion qui facilite la coalescence des gouttes et leur séparation d’avec le bitume que l’on récupère ; on récupère l’eau et le polymère par évaporation.

Le bitume qui a été extrait est trop visqueux pour être utilisé comme carburant ou comme combustible (il contient aussi beaucoup de soufre). On doit alors lui faire subir plusieurs traitements chimiques. Il peut être soit traité sur place pour le transformer en pétrole brut par cracking et hydrogénation qui sera raffiné ultérieurement soit mélangé à des solvants pour être envoyé par pipe lines à des raffineries dans l’Ontario ou aux USA dans le Middle-West. Tous les procédés d’extraction du bitume sont au point mais ils consomment de l’énergie et de l’eau à différents stades. En 2007 les coûts de production de pétrole brut à partir des sables bitumineux étaient estimés à environ 28 $ US le baril. On peut se trouver aussi en présence de gisement de sables plus profonds (plus de 50 mètres). Dans ces cas là on peut extraire le bitume in situ en injectant de la vapeur d’eau à 250°C dans le gisement pour chauffer le bitume et diminuer ainsi fortement sa viscosité ce qui permet de le pomper. Une première méthode consiste à forer un puits unique vertical par lequel on injecte de la vapeur qui va chauffer pendant quelques jours le sable bitumineux et l’on pompe le mélange d’eau et de bitume quelques jours après. Dans une seconde méthode on creuse deux puits parallèles qui ont une forme de L (dont les parties horizontales sont superposées à la base du gisement), la vapeur est admise par la partie horizontale du puits supérieur, elle chauffe le bitume qui va s’écouler vers la base où elle peut être pompée vers la surface à partir du second puits. Avec cette technique on peut récupérer 60% du bitume du gisement qui doit être épais (elle est utilisée sur le gisement de l’Athabasca), la première technique, quant à elle, ne permet de récupérer que 20% du bitume. L’eau est séparée du bitume et récupérée par chauffage dans des chaudières (on produit ainsi la vapeur injectée).

Les schistes bitumineux sont d’une autre nature. Ce sont de véritables roches sédimentaires (en général ce ne sont pas des schistes, malgré leur nom….) qui contiennent un matériau organique, le kérogène, qui est un pétrole « immature ». Le kérogène est constitué d’hydrocarbures exploitables à condition de le chauffer et de le décomposer par pyrolyse (un traitement à 600°C). Plusieurs gisement sont exploités (notamment en Estonie, en Chine et au Brésil) et l’on peut rappeler que la France a exploité jusqu’en 1957 un gisement de schistes bitumineux près d’Autun (on en voit encore les traces sous la forme d’un immense tumulus de pierres). Les réserves mondiales sont du même ordre de grandeur que celles des sables bitumineux. Il existe des gisements aux USA, en Russie (en Sibérie), en Italie, en Allemagne mais aussi au Brésil, en Chine et en Afrique (au Zaïre et au Maroc près de Tanger). Il n’est pas certain que l’exploitation des schistes bitumineux soit aujourd’hui rentable puisqu’il faut dépenser beaucoup d’énergie pour extraire du pétrole.

Quelles conclusions peut-on tirer pour l’heure pour ce dossier ? On observera d’abord que les sables bitumineux sont exploitables avec des techniques qui sont au point (elles requièrent un engineering qui n’est pas très compliqué) et que l’extraction d’un pétrole utilisable nécessite une longue chaîne d’opérations. L’expérience du Canada montre aussi que cette exploitation est viable économiquement avec un cours du baril de pétrole classique supérieur à 30 $. En revanche il semble que l’exploitation des schistes ne soit pas encore rentable. S’agissant des réserves, il est hors de doute qu’elles sont considérables, pour les bitumes elles sont du même ordre de grandeur que celles du pétrole conventionnel. L’exploitation des sables bitumineux allongerait donc de quelques décennies la durée de vie du pétrole. Toutefois il apparaît que l’exploitation des sables a un impact négatif sur l’environnement : elle nécessite d’utiliser beaucoup d’eau, de la chaleur mais aussi de l’hydrogène pour la phase de transformation du bitume (cet hydrogène est produit en général à partir du gaz naturel par un procédé qui dégage du CO2). L’impact sur le climat ainsi que sur les réserves d’eau (sans doute moins « critique » au Canada) de cette exploitation est indéniable. Les sites exploités en surface sont par ailleurs transformés en véritables zones marécageuses (cf. photo). Il est vrai que des exploitations dans des puits poseraient moins de problèmes, la plupart des résidus restant au fond, on pourrait envisager, par ailleurs, un stockage en profondeur du CO2 produit lors des étapes chimiques de transformation du bitume. Compte tenu des impacts environnementaux d’une exploitation massive des sables bitumineux, celle-ci ne serait envisageable que pour prolonger temporairement la vie du pétrole (si l’on ne trouvait pas d’alternative aux carburants d’origine pétrolière) et si les techniques mises en œuvre palliaient ses nombreux handicaps environnementaux actuels.


Publié

dans

par

Étiquettes :