L’énergie et l’avenir des batteries: le lithium va t-il flamber?

Image00021.pngLes batteries sont un « point critique » pour le développement de certaines filières d’énergie renouvelable et en particulier pour les véhicules électriques. Les batteries au lithium mises au point il y a quelques années ont représenté un grand progrès mais leurs performances sont encore loin d’être optimum. Des percées récentes laissent entrevoir, toutefois, la possibilité de les améliorer considérablement.

 Il existe deux types de systèmes pour « stocker » de l’électricité (cf. notre brève de janvier): les batteries et les condensateurs. Les batteries (ou piles électriques) stockent l’électricité sous forme de composés chimiques (des ions le plus souvent comme le lithium). Elles contiennent un oxydant qui est une espèce chimique qui est capable de capter des électrons (les « particules » d’électricité) et un réducteur, une autre espèce capable de céder des électrons, ils constituent les électrodes ; un électrolyte intercalé permet la circulation des ions dans la pile entre les électrodes tandis que les électrons circulant dans un circuit extérieur produisent le courant électrique alimentant, par exemple, un moteur ou un portable. Les condensateurs stockent directement des charges électriques sur les électrodes. Les deux systèmes ont des modes de fonctionnement très différents : les batteries stockent plus d’électricité par unité de masse mais leur recharge est lente. A l’inverse, les condensateurs peuvent être chargés et déchargés rapidement ; ils stockent moins d’énergie que les batteries mais ils peuvent délivrer de la puissance pendant une courte période. Leurs applications sont donc différentes. Les batteries sont bien adaptées à des appareils comme les portables et les véhicules électriques mais les futures voitures hybrides devront combiner batteries et condensateurs (pour délivrer de la puissance au démarrage). Les traditionnelles batteries au plomb ont donné satisfaction pendant des décennies mais elles souffrent de plusieurs inconvénients : elles sont lourdes (elles stockent peu de Wh au kilo) et le plomb est un métal toxique. On a mis au point d’autres types de batteries : Nickel-Cadmium, Nickel-Métal-Hydrure, Nickel-Zinc etc. Mais les efforts se sont portés depuis quelques années sur différentes formules à base de lithium qui permettent de stocker de quatre à cinq fois plus d’électricité par kilo que les batteries au plomb. C’est notamment les cas de la batterie lithium-ion.

La plupart des batteries lithium-ion utilisent des électrodes en oxyde de cobalt avec un électrolyte liquide constitué, en général, de sels de lithium dissous dans un solvant organique. Ce type de batteries ont l’inconvénient de chauffer (les électrodes contiennent le plus souvent une poudre de noir de carbone) et peuvent être sujettes à des courts-circuits internes, ce qui peut provoquer un incendie (des mésaventures de cette nature sont arrivées à des utilisateurs d’ordinateurs portables !). Pour pallier ce sérieux défaut on peut remplacer l’électrolyte liquide par un polymère solide : c’est la batterie lithium-métal-polymère. (on lira sur cette question des batteries et des véhicules électriques l’intéressant article de Pierre Bonnaure : « Quel avenir pour la voiture électrique ?» , Futuribles, Avril 2009, No 351, p. 29, www.futuribles.com). Ces batteries fonctionnant avec des polymères ont l’avantage d’avoir une capacité de stockage massique supérieur à celle des batteries lithium-ion et elles sont moins coûteuses à produire du fait de l’absence d’un électrolyte liquide (celui-ci devant être enfermé dans un conteneur étanche). Toutefois la conductivité des polymères étant plus faible que celle des liquides, ces batteries sont plus lentes à la charge et à la décharge ce qui est un inconvénient pour leur utilisation dans les véhicules hybrides où il faut débiter beaucoup de puissance pour démarrer le moteur thermique) ; elles sont, en revanche, bien adaptées aux applications pour les ordinateurs portables et les véhicules totalement électriques.

 Une solution idéale consisterait à mettre au point des batteries qui allieraient l’avantage classique des batteries (stocker une grande quantité d’électricité) et celui des super-condensateurs (débiter rapidement beaucoup de puissance). Est-ce faisable ? C’est sans doute possible car c’est la voie sur laquelle s’est engagée une équipe de chercheurs américains du MIT qui a réalisé une percée sur les batteries lithium-ion (B.Kang et G.Ceder « Battery materials for ultrafast charging and decharging », Nature, vol. 458, p. 190, 12 March 2009, www.nature.com). Ces chercheurs ont modifié la structure du matériau constituant les électrodes en partant du principe que lorsque l’on charge et décharge une batterie au lithium, les ions font faire des allers et retours d’une électrode à l’autre à travers l’électrolyte : la vitesse de charge et décharge de la batterie est donc fonction de la vitesse de transit des ions. Celle-ci dépend fortement de la structure interne des électrodes et de celle de la surface de séparation entre les électrodes et l’électrolyte (les ions lithium sortant plus ou moins rapidement du matériau). L’équipe américaine s’est rendue compte que c’est la surface de l’électrode qui jouait un rôle clé car c’est là que les ions lithium étaient ralentis. Ils ont donc utilisé une électrode constituée d’un phosphate de fer et de lithium : ce sont les ions lithium et des électrons extraits du matériau des électrodes qui vont transporter l’énergie. En modifiant légèrement la composition du phosphate (en l’appauvrissant en oxygène) et par chauffage ils ont réussi à réaliser une électrode constituée de nanoparticules de 50 nanomètres de diamètre dont la surface externe était vitrifiée et ils ont alors constaté que ce revêtement vitreux augmentait considérablement la vitesse de transit du lithium de l’intérieur de l’électrode à travers la surface. Une batterie fonctionnant avec ce type de matériau (les électrodes sont constituées à 80% de matériau actif, 15% de noir de carbone et 5% d’un liant qui est un plastique) peut décharger, sous une tension de 4,3 volts, sa puissance 50 à 100 fois plus rapidement qu’une batterie  "classique " au lithium (une batterie au lithium « classique » peut débiter de 0,5 kW à 2 kW par kilo alors que ces nouvelles batteries peuvent débiter de 90 à 170 kW par kg) ; cette batterie se comporte donc comme un véritable condensateur (elle peut décharger complètement son énergie électrique en 10 à 20 secondes). Des batteries basées sur ce principe auraient une capacité de stockage dix fois supérieure à celle de condensateurs de même taille. Leur capacité de stockage d’énergie est équivalente, semble-t-il, à celle des batteries classiques au lithium. La percée américaine est intéressante car elle permet d’envisager construire des batteries à charge et décharge rapide, utilisables dans des applications comme les ordinateurs ou les téléphones portables (que l’on pourrait recharger en une minute) ou les véhicules électriques (où il faut disposer de beaucoup de puissance au démarrage). Il n’est pas certain que, pour l’heure, ce type de batterie qui représente un progrès indéniable permette d’augmenter fortement la puissance stockée au kilo mais elle résout le problème de la charge et de la décharge rapide. Une société de production de batteries du Massachusetts, A 123, a d’ailleurs pris une licence d’exploitation de ces nouvelles batteries. Le lithium n’a donc pas dit son dernier mot comme matériau constitutif des batteries. Les travaux américains montrent de nouveau l’importance des recherches sur les états de surface et les nanomatériaux pour augmenter les performances des batteries ; celles sur les batteries lithium-polymère se poursuivant par ailleurs.

Comme le souligne Futuribles si les batteries au lithium se développent sur une grande échelle (notamment pour leurs applications à l’automobile, plusieurs constructeurs automobiles, Toyota notamment prévoyant d’équiper des véhicules hybrides avec des batteries au lithium et Bolloré envisage de lancer une petite voiture électrique avec des batteries lithium-métal-polymére), il faudra alors disposer d’une ressource en lithium. Selon Futuribles, pour un parc de 10 millions de véhicules hybrides équipés de batteries lithium-métal-polymère de 300 kg il faudrait disposer d’un stock de 150 000 tonnes de lithium. On observe alors que le lithium est un métal relativement rare sur Terre, et sa production actuelle est de l’ordre de 25 000 tonnes par an avec des réserves estimées de 11 millions de tonnes (la principale mine et sans doute la plus grande réserve mondiale est en Bolivie, la mine de Salar de Uyuni, un ancien lac salé dans les Andes). Le lithium des batteries est évidemment recyclable mais le problème de la ressource se posera inéluctablement si la technologie des batteries au lithium se développe (le lithium est aussi nécessaire pour la fusion thermonucléaire contrôlée pour produire le tritium…). Ce ne sont pas les batteries qui risquent de flamber mais leur prix…

Les énergies nouvelles vont donc poser des problèmes de matières premières rares (le platine pour les piles à combustible en est une autre) mais la recherche permettra peut être de réaliser des ruptures techniques en ouvrant des voies nouvelles. L’avenir des batteries reste donc une question encore largement ouverte.


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