La crise qui touche l’économie mondiale a provoqué une chute spectaculaire des cours du pétrole, l’automne dernier, mais elle risque d’assécher les capitaux qui sont nécessaires pour des investissements énergétiques notamment ceux destinés aux énergies nouvelles. Si le plan de relance américain préparé par B.Obama a donné une véritable priorité à l’énergie, il n’en va pas de même des plans européens et de celui de la France en particulier.
Les plans de relance économique ont pour objectif prioritaire la défense de l’emploi dans les pays touchés par la crise à travers, notamment, des aides aux entreprises (facilités de trésorerie, aides fiscales) et des investissements dans les entreprises publiques. Certains plans mettent aussi en oeuvre des mesures fiscales destinées à soutenir la consommation. On peut faire l’hypothèse, malheureusement, que la crise économique est durable car si elle a été déclenchée par un dérèglement complet du système financier, elle touche les fondements d’un système économique et social largement inadapté pour faire face aux défis de notre époque et en particulier à ceux que pose la question énergétique. Dans ces conditions, on pourrait donc s’attendre à ce que les plans de relance permettent d’investir massivement dans des secteurs où il est nécessaire de préparer l’avenir par la construction de nouvelles infrastructures, le soutien à la recherche et à l’innovation, les politiques de formation. Il est clair que plusieurs secteurs de l’économie français et mondiale sont touchés par la crise : l’énergie, les transports (en particulier l’industrie automobile), la construction, les hautes technologies (électronique et technologies de l’information en général). L’agriculture mondiale risque d’être touchée, notamment dans les pays du Sud, si les investissements y sont insuffisants. L’énergie est en quelque sorte au centre de la crise dans la mesure où la flambée des cours du pétrole, au premier semestre 2008, a fortement pénalisé des secteurs clés de l’économie et a contribué à l’effondrement du marché automobile aux USA provoquant la crise annoncée du secteur. L’industrie automobile, les secteurs de l’agriculture et de la construction (par l’intermédiaire notamment du ciment), dans une certaine mesure l’électronique (à travers la production du silicium), sont ainsi des secteurs qui dépendent largement de l’énergie soit par l’intermédiaire les coûts de production soit par les vecteurs énergétiques qu’ils utilisent (carburants, électricité pour l’essentiel). Il est donc utile de décrypter les plans de relance économique afin d’évaluer comment ils prennent en compte la composante énergétique.
Le plan de relance français, adopté en décembre 2008, représente un ensemble de mesures (45 au total avec 1000 projets) financées à hauteur de 26 milliards d’€ : une moitié environ consistant en facilités de trésorerie aux entreprises et l’autre en des investissements dans le secteur public et des mesures incitatives diverses. Le plan prévoit de consacrer 4 milliards d’€ à un programme exceptionnel au profit d’entreprises publiques (dont 2,5 milliards d’€ à EDF, 200 millions d’€ à GDF-Suez, et 300 millions d’€ à la SNCF). La construction d’infrastructures ferroviaires contribuera, évidemment, à réaliser des économies d’énergie. L’énergie ne figure pas en tant que telle dans les projets du plan de relance à l’exception de deux mesures destinées d’une part à « la lutte contre l’habitat indigne et à la rénovation du parc privé » et d’autre part à « l’agriculture durable et à l’efficacité énergétique ». A ce titre dans le volet agriculture et pêche, 35 millions d’€ seront consacrés à des projets pour réaliser des économies d’énergie, des diagnostics énergétiques et à la possibilité de produire des énergies renouvelables ; l’Agence nationale de l’habitat recevra une dotation de 200 millions d’€ qui sera en partie consacrée à la rénovation thermiques de logements. Le Fonds stratégique d’investissement recevra une dotation de 3 milliards d’€ du plan de relance qui pourront être, éventuellement, investis dans des entreprises du secteur de l’énergie. On observera enfin que sur les fonds destinés à la recherche et à l’enseignement supérieur, soit 730 millions d’€ (destinés essentiellement à la rénovation de bâtiments universitaires), seuls 5 millions d’€ destinés au projet ITER pour la fusion thermonucléaire peuvent être « étiquetés » énergie. Le plan de relance est complété par un plan de soutien spécifique pour l’automobile doté de 6,5 milliards d’€. Ce plan est défensif (essentiellement des mesures de trésorerie) car il vise à maintenir des sites de production même si le gouvernement a insisté pour qu’il permette à l’industrie d’innover, notamment pour construire des voitures émettant moins de CO2. On peut s’interroger dans le cas de l’industrie automobile, si importante en France (environ deux millions d’emplois directs et indirects), sur sa capacité à innover tant au niveau français qu’au niveau mondial (de 4 à 5% du chiffre d’affaires des entreprises sont consacrés à la R&D, environ 45 milliards de $, soit quatre fois plus que les budgets publics de recherche sur l’énergie !). De fait la crise de cette industrie est probablement celle de l’adaptation d’un mode de transport aux contraintes du monde d’aujourd’hui et les innovations nécessaires devraient largement provenir d’autres secteurs, en particulier dans le domaine des batteries et des nouveaux carburants. L’énergie est véritablement réduite à la portion congrue dans le plan de relance français (si l’on excepte les 2,7 milliards d’€ destinés à EDF et GDF-Suez) qui ne sera pas un outil stratégique pour préparer l’avenir énergétique en particulier par la recherche et l’innovation.
Il est intéressant de comparer le plan de relance français au plan américain préparé par l’administration Obama et voté par le Congrès le 14 février. Sur les 787 milliards de $ du plan une part très importante est consacrée à des mesures de soutien au développement d’énergies nouvelles et aux économies d’énergie. Ce plan prévoit, notamment, de doubler d’ici 3 ans la production d’énergies renouvelables (elle devrait passer de 7 à 14%) et d’améliorer l’efficacité énergétique d’un million de logements par an. Dans le plan 30 milliards de $ sont consacrés à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables et 11 milliards de $ à la rénovation du réseau de distribution électrique et à la réalisation du « réseau intelligent » (« smart grid »). Au nombre des mesures annoncées, on note ainsi : – un financement de 2 milliards pour le développement technique et la production de nouvelles batteries pour l’automobile ainsi qu’un crédit d’impôt qui couvrirait 30 % des coûts de construction de nouvelles usines (s’ajoutant à des mesures déjà prises pour aider à la mise au point de nouvelles techniques pour l’automobile) – un crédit d’impôt jusqu’à 7 500 $ aux particuliers achetant des voitures hybrides équipées de nouvelles batteries. Une enveloppe de crédits d’impôt de 13,9 milliards de $ va permettre de reconduire des mesures prises pour soutenir des projets de production d’énergie renouvelables (solaire, éolien, géothermie), 5 milliards de $ étant consacrés par ailleurs à la rénovation de l’habitat pour les ménages au revenu modeste et 4,5 milliards de $ à celle de bâtiments fédéraux. Sur l’enveloppe destinée à des investissements pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique (6,3 milliards de $), la recherche sur l’énergie n’est pas oubliée puisque le Department of Energy (DOE) bénéficiera d’environ 2 milliards de $ pour les recherches sur les énergies nouvelles. Il faut certes tenir compte des différences entre les PIB américain et français (un facteur 5 entre les deux), mais il n’en demeure pas moins que le contraste est frappant entre le plan de relance américain où l’énergie a une place centrale et le plan français où elle est relativement marginale. On observe également que dans le plan américain les mesures prises ont une assise relativement large alors que dans le plan français elles sont très fortement concentrées sur EDF. La Chine et le Japon ont lancé des plans de relance massifs (400 milliards d’€ pour la Chine et 200 milliards d’€ pour le second plan du Japon). Il semblerait que l’environnement et les énergies figurent en bonne place dans ces plans. Le Japon afficherait ainsi l’objectif de multiplier par dix sa production d’électricité solaire d’ici à 2030 (1 400 MW aujourd’hui), toutefois il est difficile d’en apprécier les détails en particulier pour le plan chinois.
Le plan de relance français et ses homologues européens (le second plan allemand est relativement important puisqu’il mobilise 50 milliards d’€) n’ont pas ou peu ouvert la voie à des initiatives nouvelles en matière d’énergie en particulier dans le domaine de la recherche (cf. notre précédent éditorial). Quant à la Commission Européenne, on remarquera son absence quasi totale d’initiatives pour la relance économique en particulier dans le domaine de la recherche et de l’innovation. Le Programme-cadre pour la recherche resté gravé dans le marbre jusqu’en 2013 alors qu’il y aurait certainement lieu de l’amender et de l’amplifier pour amorcer des mutations techniques. L’Europe a eu le mérite de lancer des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique à la fin de l’année 2008, et l’on aurait pu espérer qu’elle propose des initiatives pour accélérer le mouvement par des investissements substantiels destinés à économiser l’énergie par exemple (elle a toutefois proposé de mobiliser 5 milliards d’euros pour les infrastructures: réseaux d’interconnexion énergétiques et informatique et annoncé une initiative sur la " voiture verte "). On notera les propos forts du PDG de EADS, Louis Gallois, dans son interview dans Le Monde du 20 février dans laquelle il préconisait une relance de l’industrie et le lancement d’un grand emprunt européen pour soutenir la recherche et les nouvelles technologies. Une relance économique préparant l’avenir devrait ainsi dégager des moyens financiers (prêts, crédits d’impôt) : – pour soutenir l’innovation dans les entreprises investissant dans le domaine de l’énergie et en particulier au profit des jeunes PME innovantes qui transitent notamment, en France, par le canal d’OSEO-Innovation dont la politique ne s’oriente pas précisément dans cette direction – pour amplifier les efforts (par le biais de mesures fiscales) pour améliorer l’efficacité énergétique tant dans l’industrie que dans l’habitat. S’il est sans doute prématuré de soutenir massivement certaines filières des énergies nouvelles par des subventions publiques (ce que fait en partie le plan américain) dont les techniques ne sont pas totalement mûres (par exemple les centrale solaires photovoltaïques qui sont déjà aidées par le biais d’un tarif généreux de rachat de l’électricité produite, les centrales solaires à concentration, les biocarburants de deuxième génération), en revanche le soutien à des installations pilotes testant de nouvelles techniques de production d’énergies renouvelables serait un investissement préparant l’avenir. De même le financement de « programmes mobilisateurs » pour la recherche sur les nouvelles techniques dans le domaine des transports (nouvelles générations de véhicules, c’est le rôle du PREDIT en France) ou permettant de réaliser des économies d’énergie serait un investissement pour l’avenir. Là encore les programmes européens devraient jouer un rôle utile de mutualisation des plateformes techniques et des installations d’essai.
L’énergie est un secteur clé pour l’avenir économique tant dans les pays développés que dans les pays émergents et force est de constater que, si l’on excepte les USA (et ce n’est pas céder à « l’Obamania » que de faire ce constat), les plans de relance économique en Europe, en France en particulier, n’ont pas pris toute la mesure de l’enjeu énergétique et de son rôle potentiel pour changer la donne économique.