Crise économique et énergie: recherche et innovation clés pour l’avenir

L’année 2008 en bouleversant en quelques mois les perspectives de l’économie mondiale et la donne économique a posé en termes nouveaux la question énergétique (la chute brutale du cours du baril de pétrole en fin d’année est symptomatique de la situation nouvelle). Si la crise économique est profonde et donc durable, ce qui est probable, des restructurations profondes de l’industrie ne doivent-elles pas être envisagées avec d’autres modes de consommation de l’énergie ? Dans ce contexte et pour préparer l’avenir ne faut-il pas alors investir dans la recherche et l’innovation et celles-ci peuvent-elles accélérer la sortie de crise ? Telles sont quelques unes des questions que l’on doit se poser en ces temps difficiles.

La recherche et l’innovation, nous l’avons souvent écrit, sont des outils privilégiés pour préparer l’avenir en particulier dans le domaine de l’énergie. C’est, en effet, la recherche scientifique qui peut fournir la clé ouvrant le sésame débouchant sur de nouvelles voies, sans qu’il soit possible de savoir, a priori, d’où viendra la rupture qui apportera des innovations radicales. La prospective est aveugle dans ce domaine. Nous avons aussi observé que tous les secteurs de l’énergie requièrent des investissements lourds et que la plupart des techniques énergétiques demandent du temps pour être mises en œuvre et avoir un impact tangible sur la production d’énergie ; si le nucléaire a fait une percée relativement rapide (il s’est écoulé un peu moins de vingt ans entre la mise en marche de la première « pile » atomique à Chicago en 1942 et la mise en route des premiers réacteurs nucléaires générateurs d’électricité à la fin des années 1950), il n’a contribué de façon notable à la production d’électricité que dans les années 1970 (15% de la production mondiale d’électricité aujourd’hui). De façon générale les leçons de l’histoire des techniques sont toujours intéressantes et utiles et, dans un livre récent, The schock of the old (Oxford University Press, 2007), l’historien des techniques D.Edgerton a montré que nombre de techniques, en particulier dans le domaine de l’énergie, ont la “vie dure”. Ainsi la machine à vapeur a connu véritablement son apogée dans les années 1930 (la machine à vapeur a été inventée au début du XVIII e siècle….) car elle a été le principal mode de traction pour les chemins de fer et les bateaux jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale (on trouve encore quelques bateaux à vapeur sur le lac de Genève…), le diesel ne prenant le relais que dans les années 1950. On observera aussi que si le déclin du charbon ne s’est amorcé qu’après la deuxième guerre mondiale mais sa consommation connaît un regain net depuis le début du siècle…. Le perfectionnement continu des techniques énergétiques a été la règle au cours d’une histoire des techniques entrecoupée de quelques grandes innovations qui furent des véritables ruptures (la machine à vapeur, le moteur à explosion, la turbine, le réacteur nucléaire étant la dernière en date, etc.). Autrement dit on ne donne change pas la donne rapidement par la technique et la recherche.

La crise économique actuelle touche de plein fouet des secteurs qui sont des gros consommateurs d’énergie (l’industrie consomme environ 25% de l’énergie primaire en France et les transports 35%) et en particulier de combustibles fossiles (et donc des émetteurs de CO2 !) : – l’automobile – le bâtiment (via le ciment et les technique de chauffage et de climatisation) – les technologies de l’information (via l’électronique où la production de silicium est fortement énergivore). Si l’aéronautique semble épargnée, le transport aérien et maritime subit lui la crise touché par le retournement de l’économie. Dans des pays émergents comme la Chine, le Brésil et l’Inde dont l’économie dynamisée par les exportations stimulait la production d’acier et de ciment fortement consommatrice d’énergie, le ralentissement de la croissance pèse directement sur la demande d’énergie en particulier de pétrole et de charbon. D’autres industries productrices d’énergie tels que les secteurs pétroliers et parapétroliers et de l’électricité peuvent, quant à elles, être touchées par la crise financière qui rend plus difficiles l’accès au marché des capitaux pour investir dans la construction de nouvelles installations (plateformes offshore, centrales électriques thermiques ou nucléaires, etc.). Un risque sérieux de nouvelle flambée des cours du pétrole existe donc lorsque la croissance repartira en particulier dans les pays émergents.

La recherche n’a ni la capacité de résoudre les problèmes énergétiques à court terme, ni de permettre une relance rapide de l’économie car elle travaille sur le temps long. En revanche, elle doit permettre de préparer le terrain pour des futures innovations susceptibles de changer le paysage industriel y compris dans les secteurs fortement dépendants de l’énergie comme l’industrie automobile. Au fil des brèves que nous avons publiées ces derniers mois, on a repéré des pistes qui méritent d’être explorées, rappelons-en les principales. Tout ce qui concerne l’amont des filières mérite certainement des investissements de Recherche-Développement (R&D) importants : – l’amélioration du rendement des gisements de pétrole et de gaz – l’augmentation des rendements de tous les systèmes thermiques (moteurs, centrales électriques, réacteurs nucléaires) et la mise au point de nouveaux moteurs – la gazéification du charbon in situ dans les mines. Une deuxième catégorie d’actions doit porter sur la préparation de l’après-pétrole par la recherche de substituts aux produits pétroliers (biocarburants produits à partir de la filière ligno-cellulosique, essence synthétique produite à partir du charbon ou de la biomasse). Le solaire du futur (admettant que la filière éolienne est au point) délimite un troisième axe de recherche important (notamment sur les matériaux nécessaires à la filière photovoltaïque). Les nouvelles filières nucléaires (utilisant le plutonium notamment) constituent un quatrième axe où les investissements de R&D sont particulièrement lourds. Enfin, une cinquième et dernière catégorie de travaux de recherche regroupe tout l’aval des filières énergétiques : – le stockage de l’électricité (nécessaire d’ailleurs tant pour l’utilisation des énergies nouvelles que pour l’automobile avec la mise au point de batteries performantes) – le réseau de distribution électrique – le stockage du CO2 émis par les centrales électriques et les usines de liquéfaction du charbon. En fait on s’aperçoit que quelques thématiques clés commandent l’avenir de bon nombre de techniques énergétiques : – la catalyse joue un rôle essentiel dans la mise au point de nouveaux carburants, des batteries du futur et les piles à combustible – les sciences et techniques des matériaux sont la clé de bon nombre de percées dans les moteurs et les réacteurs nucléaires (fonctionnement à plus haute température), le solaire, le stockage de l’électricité dans les batteries – la génétique des plantes et des bactéries commande sans doute l’avenir des nouveaux biocarburants. Un effort « horizontal » dans tous ces domaines est donc nécessaire.

Dans une période de crise économique et financière un sous investissement dans la recherche et l’innovation retardera les mutations industrielles et les capacités d’adopter des techniques innovantes à moyen et long termes dans bon nombre de secteurs retardant d’autant leur sortie de crise. L’industrie automobile qui représente une part importante de l’emploi industriel (800 000 emplois directs en France, en Allemagne comme aux USA) est probablement la plus exposée à ce risque. Sa situation est paradoxale car les groupes industriels ont investi fortement dans la R&D (4 à 5 % de leur chiffre d’affaires pour les grands constructeurs mondiaux) et les trois grandes firmes américaines de l’automobile (GM, Ford et Chrysler) figurent toutes dans le palmarès mondial des vingt premières firmes investissant dans la recherche tous secteurs confondus (de 7 à 8 milliards de dollars par an pour chacune des firmes automobiles US, GM ayant consacré à elle seule 8,1 milliards $ à la R&D) et cela ne les empêche pas d’être dans un marasme total. Les firmes françaises ont des dépenses de R&D équivalentes à celles de leurs principaux concurrents ainsi que les équipementiers. On remarquera par ailleurs (cf. le rapport de l’Observatoire des sciences et des techniques Indicateurs de la sciences et de technologies 2008, www.obs-ost.fr) qu’en France sur la période 2001-2006 les secteurs des transports (terrestre et naval) et des moteurs-pompes-turbines ont nettement accru leur part mondiale de demandes de brevets européens (c’est-à-dire la part des demandes de brevets déposés par des entreprises et laboratoires français) alors que cette part a baissé dans presque tous les autres secteurs. La dépense mondiale annuelle de R&D du secteur automobile est de l’ordre de 45 milliards de dollars (environ trois fois la dépense de recherche pour l’énergie…) et les innovations n’y sont pas légion …. On peut avancer l’hypothèse qu’il n’y sans doute pas un déficit interne de recherche et de capacité d’innovation interne au secteur mais que l’innovation dans l’automobile vient aussi en grande partie d’autres secteurs et que l’industrie est peut être réticente à l’adopter. On remarquera aussi que bien que connaissant aujourd’hui de sérieuses difficultés financières, la firme japonaise Toyota qui investit fortement dans la R&D (8,4 milliards $ en 2008) est la seule à avoir véritablement innové des processus de production aux produites en mettant sur le marché les premières voitures hybrides. La mutation nécessaire tant pour des raisons énergétiques (diminuer la consommation de carburants, respecter des normes plus rigoureuses d’émission de CO2) qu’économiques de l’industrie automobile dépend autant d’elle que de secteurs voisins d’où elle devra importer des innovations et les programmes de recherche doivent tenir compte de ce constat. Dans le secteur automobile comme dans beaucoup d’autres, la crise économique appelle une réflexion large sur l’évolution des systèmes techniques dans un contexte d’une énergie qui va devenir rare et chère (les modes de transport dans la ville, l’utilisation rationnelle de l’électricité, l’énergie dans le bâtiment, etc.). Les sciences humaines et sociales ont une contribution importante à apporter à cette réflexion car les évolutions vont dépendre beaucoup des comportements individuels et collectifs.

La crise économique et financière qui se conjugue avec des perspectives difficiles pour l’énergie (contrainte climatique, raréfaction de certaines ressources, croissance inéluctable de la consommation des pays émergents) rend nécessaire la mise en œuvre de politiques de recherche dynamiques. Celles-ci doivent être à « double détente ». Il faut mobiliser une recherche qui doit « ratisser large » et qui doit être à l’affût des découvertes qui sont les prémisses de futures percées décisives (en particulier dans les sciences de l’ingénieur au sens large du terme) afin de pouvoir investir rapidement en hommes et en moyens sur les fronts les plus prometteurs. Autrement dit, il faut éviter un pilotage fin de la recherche sur des thèmes très en amont, mais il faut disposer d’un observatoire des progrès de la science et de la technique dans les domaines d’intérêt énergétique, ce que nous n’avons pas en France et c’est probablement une innovation institutionnelle qui s’imposerait. Dans un certain nombre de domaines le lancement de « programmes mobilisateurs » s’impose tant à l’échelle nationale qu’européenne afin de mettre en cohérence les efforts de recherche. Le gouvernement français a lancé une réflexion sur la stratégie nationale de recherche (une de plus !) et il faut espérer que l’énergie y sera en bonne place, quant à la réflexion européenne, en cette période de crise, elle est certainement insuffisante en la matière. La crise économique n’a pas changé la donne énergétique mais elle rend plus nécessaire de préparer les voies d’un Autre monde pour reprendre le titre du livre de l’économiste J.E Stiglitz. On rapporte que Talleyrand qui fut un homme d’Etat retors mais clairvoyant, alors qu’il tentait de mettre en garde Napoléon dont il était le ministre des affaires étrangères contre les risques que courait l’Empire, aurait eu cette formule lapidaire « lorsque c’est urgent, c’est déjà trop tard !», évitons donc d’avoir à agir demain dans l’urgence en investissant dés aujourd’hui dans la préparation de l’avenir.


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