Energie et climat: le gaz carbonique est-il stockable?

confrence_ama_fume_usine.jpgL’utilisation massive des combustibles fossiles soit comme carburants dans les transports, dérivés de produits pétroliers, soit comme combustibles (charbon, gaz naturel et pétrole) dans les centrales électriques est une cause majeure du changement climatique provoqué par l’homme. Ces combustibles ont tous l’inconvénient d’émettre du gaz carbonique qui amplifie l’effet de serre. Se débarasser de ce gaz est une option souvent envisagée dans les scénarios énergétiques mais il reste à savoir comment…

Le scénario de référence présenté par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son rapport 2008, le World Energy Outlook 2008 (cf. notre éditorial), prévoit une progression de 45% des émissions de gaz carbonique d’ici 2030 liées à la consommation d’énergie et à la croissance de la demande (soit des émissions de 41 Gtonnes) ; les secteurs des transports et de la production d’électricité seraient responsables tous deux de 70% de cette progression des émissions. L’AIE estime que cette forte croissance des émissions de CO2 sera un facteur déterminant d’un réchauffement climatique de grande ampleur (comme le « prévoit » le GIEC), aussi propose-t-elle deux scénario alternatifs avec une moindre croissance de la demande et donc des émissions de CO2 qui permettraient, sans doute, de limiter le réchauffement de la planète. Ces scénarios supposent une diminution drastique de la consommation d’énergie fossile et notamment de celle du charbon dans les centrales thermiques et la construction de centrales thermiques avec des dispositifs de captation et de stockage du CO2 à la sortie des centrales à partir de 2020 (le scénario le plus ambitieux suppose que toutes les centrales au charbon devraient être équipées de tels dispositifs après 2020). Dans l’état actuel des techniques il est exclu, évidemment, d’envisager de séparer le CO2 émis par des moteurs de véhicules à essence ou diesel. Le problème technico-économique de la séparation et du stockage du CO2 est donc posé avec l’hypothèse qu’il puisse constituer un élément de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est donc utile de faire un point rapide sur cette question.

Il existe plusieurs procédés physico-chimiques qui permettent de séparer, plus ou moins efficacement, le gaz carbonique émis lors de la combustion du charbon, du gaz ou du pétrole dans une centrale thermique (le problème se posant aussi dans les usines de liquéfaction du charbon), nous les avons largement évoqué dans une brève précédente. Cette séparation faite (par dissolution dans un solvant organique, une amine, ou par filtrage par une membrane ou absorption par un solide poreux, ce qui a un coût énergétique non négligeable), il reste à transporter et stocker le CO2 dans un réservoir souterrain, l’hypothèse de le déverser (sous forme gazeuse ou liquide dans l’océan n’étant pas jugée réaliste car l’impact d’une telle opération est impossible à évaluer). La solution la plus fréquemment envisagée est celle d’un stockage souterrain dans un aquifère ou un ancien gisement de pétrole ou de gaz, voire une ancienne mine de charbon. Si les géologues estiment que les capacités de stockage sont disponibles dans beaucoup d’endroits de la planète, il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire d’expérimenter différents modes de stockage et surtout de suivre pendant plusieurs années l’évolution du gaz stocké dans une formation géologique, en vérifiant qu’il ne diffuse pas vers la surface ce qui pourrait être dangereux. Plusieurs expériences en vraie grandeur sont en cours depuis quelques années, la plus importante est réalisée au Canada sur le site de Weyburn dans le Saskatchewan, les résultats de l’expérience en cours ont été présentés lors d’une conférence à Washington en novembre dernier. Sur ce site d’exploitation d’un gisement pétrolier dont la production est en déclin, du gaz carbonique est injecté dans le gisement pour augmenter sa production (le gaz « pousse » en quelque sorte le pétrole à travers les pores de la roche) et il reste ensuite piégé dans le gisement, le gaz carbonique provient d’une usine de liquéfaction du charbon située aux USA dans le Nord Dakota et il est acheminé à Weyburn par un gazoduc de 330 km de long. On expérimente donc à la fois une technique de récupération assistée du pétrole (qui est au point à vrai dire) et un mode de stockage du CO2 dans une couche géologique. L’objectif est de stocker 20 millions de tonnes de CO2 sur 25 ans (11 millions de tonnes ont déjà été stockées au rythme de 3 millions de tonnes par an) ; notons qu’une centrale au charbon « standard » émet 2 millions de tonnes de CO2 par an. Dans le sous-sol le CO2 est stocké sous une couche rocheuse à 1,5 km de profondeur, il diffuse en s’infiltrant dans une couche de calcaire poreuse en occupant une surface de 20 kilomètres carrés. L’objectif de l’expérience (à la quelle participent plusieurs partenaires internationaux dont le BRGM pour la France) est de suivre pendant plusieurs années l’évolution du gaz par des méthodes sismiques classiques (et qu’utilisent couramment les pétroliers) qui donnent une « image » de la nappe gazeuse dans le sous-sol et de son évolution au cours du temps ; il est prévu aussi d’évaluer, autant que possible, l’impact de la nappe de CO2 sur les eaux souterraines et structure géologique. La société Total entreprend une expérience pilote analogue dans la région de Lacq, près de Pau, où elle exploite, depuis longtemps, un gisement de gaz naturel qui est d’ailleurs en cours d’épuisement. L’expérience consiste à récupérer le CO2 d’une chaudière à vapeur existant sur le site de Lacq et à le transporter par un gazoduc à 27 km pour le stocker dans un réservoir d’un gisement en fin de vie à 4,5 km de profondeur (un stockage de 150 000 tonnes est prévu). Là aussi un suivi géologique par sismique sera entrepris. Rappelons que la compagnie norvégienne Statoil procède à opération de séquestration (au niveau de 1 million de tonnes de gaz carbonique par an produits par un gisement) dans une couche poreuse de sable à une profondeur comprise entre 500 et 1500 m sous le fond de l’océan Atlantique ; l’opération n’est pas véritablement une expérimentation avec un suivi géologique, elle vise à se débarrasser du gaz carbonique du gisement en le réinjectant et a économiser ainsi une taxe sur le carbone, instituée en Norvège, au niveau de 40 € par tonne émise.

D’autres modes de stockage plus ambitieux sont envisagés par certains géologues. L’un d’eux consisterait à réaliser, en quelque sorte, une véritable géochimie in situ dans les couches géologiques : on transformerait le CO2 en carbonates pour le stocker sous forme solide. Des géologues de l’université Columbia à New York ont repéré des formations rocheuses de péridotite à Oman (elles sont connues depuis longtemps et il en existe dans d’autres régions par exemple en Nouvelle Calédonie) qui sont constituées, notamment, d’olivine un minéral qui est un mélange de silicates de magnésium, de calcium et de fer, ces minéraux forment du carbonate de calcium et de magnésium par action de l’eau lorsqu’on les met en contact avec le CO2. C’est donc un processus géochimique naturel qui permettrait de « pomper » du CO2 dans des formations géologiques et de le stocker sous forme d’un carbonate de calcium solide après « réaction ». La roche augment de volume (44%) lorsqu’elle se transforme par action du CO2 causant aussi sa fissuration ce qui permet une meilleurs pénétration de l’eau qui va dissoudre le CO2. Celui-ci pourrait être introduit dans le sous-sol après fracturation par forage et, sans doute, en injectant de l’eau chaude. Les chercheurs de Columbia estiment qu’un kilomètre de roche pourrait stocker ainsi 1 Gt de CO2. Une telle opération pourrait être menée sous l’eau en mer (au large d’Oman par exemple) où le CO2 serait injecté. Il reste, évidemment, à réaliser un essai en vraie grandeur d’une telle technique de stockage avec un suivi du comportement du gaz et de la roche. Le stockage du CO2 est souvent considéré comme un point de passage obligé pour continuer à utiliser à haute doses les combustibles fossiles dans la production d’électricité et certaines industries (celles de l’acier et du ciment en particulier) et comme le sésame ouvrant la voie du « charbon propre ». Si les techniques de séparation sont au point (mais coûteuses) il reste à prouver la fiabilité sur le long terme des modes de stockage géologique ; on notera qu’un problème de même nature se pose avec les déchets nucléaires. C’est dire l’importance des programmes de recherche pour un suivi des stockages qui devraient être lancés, le plus souvent à une échelle internationale. Il faut en particulier s’intéresser au comportement du CO2 dans les roches (sa diffusion dans des pores, la physico-chimie du transport, son adhésion aux surfaces des parois, etc.), des techniques expérimentales en laboratoire très diverses (la spectroscopie, la résonance magnétique nucléaire, la diffusion des neutrons, etc.) mais aussi de modélisation des roches et des réservoirs devraient être mises en œuvre (on trouvera dans la revue Physics today un intéressant article sur ce sujet : Donald J.De Paolo and Franklin M.Orr, « Geoscience research for our energy future » p.26 , August 2008).

Les programmes de recherche dans ce domaine ont démarré il n’y a que quelques années et il est sans doute difficile que des opérations de stockage puissent être lancées sur une grande échelle dés 2020, en l’absence d’expériences importantes de suivi des premiers stockages ; il est probable, d’ailleurs qu’un débat public sur les projets de stockage s’instaurera dés que des perspectives concrètes se présenteront (le stockage dans le sous-sol marin poserait sans doute moins de problèmes). Il reste aussi que le captage et le stockage du CO2 auront un coût qui ne saura probablement pas inférieur à 60 € la tonne, ce qui grèvera d’autant le prix du kWh d’électricité, mais il faudra bien admettre que les impératifs de la lutte contre le réchauffement climatique a un coût qui contribuera à nous faire entrer dans l’ère de énergie chère et c’est dans cette perspective que le stockage du CO2 doit être considéré comme une option possible.


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