Scénarios et choix énergétiques à l’horizon 2030: la siréne de Copenhague sauvera t-elle le climat?

Le cours du baril de pétrole a sans doute été victime (temporairement !)  de la crise financière et économique de cet automne; la lisibilité de l’avenir énergétique en est d’ailleurs sortie amoindrie. Cependant, les scénarios énergétiques n’en conservent pas moins tout leur intérêt car, comme le "prévoit" l’Agence Internationale de l’Energie, la planète n’est probablement pas guérie de sa boulimie énergétique qui pourratt accélerer très fortement le réchauffement climatique. L’énergie est au coeur du débat sur le climat qui est à l’ordre du jour de la conférence sur le réchauffement climatique organisée par l’ONU qui s’est ouverte le 1 er décembre à Poznan en Pologne.

  La publication du rapport annuel de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), le World Energy Outlook (WEO), permet chaque année de dresser un tableau très détaillé des prévisions d’évolution de la demande mondiale d’énergie primaire. L’édition 2008 de ce rapport, publié à la mi-novembre,  au terme d’une période au cours de laquelle le prix du baril de pétrole a été divisé par trois (il atteint un sommet de 150 $ fin juillet), aussi les perspectives d’évolution de la consommation mondiale d’énergie sont-elles particulièrement intéressantes.

L’AIE propose un scénario de référence avec une croissance de 45 % de la demande mondiale d’énergie sur la période 2006-2030 : 17 Gtep soit une légère baisse par rapport aux prévisions de 2007 du fait d’une révision à la baisse de la demande de pétrole.  Le « mix » énergétique serait constitué  à 80 % de combustibles fossiles (82% aujourd’hui) : la demande de pétrole serait en progression forte (passant de 85 millions de barils/jour à 106 millions en 2030 mais en baisse de 10 millions de barils par rapport aux prévisions de 2007) mais sa part dans la consommation baisserait de 34% à 30 % (celle-ci représenterait 5% du PIB mondial en 2030 au lieu de 4% en 2006) –  la part du gaz resterait fixe tandis que celle du charbon monterait de 26 à 29% du fait de la forte croissance de la production d’électricité (son triplement en Chine). Dans ce panorama énergétique, on observe une progression sensible de la part des énergies renouvelables (éolien solaire, géothermique, etc.), qui ne représenteraient toutefois que 4% de la demande finale, avec un tassement du nucléaire (passant de 6 à 4% de la consommation d’énergie)  et un léger « retour » de la production hydraulique (il existe des "réserves" en Afrique et en Asie). Le WEO dresse, par ailleurs, une série de constats. Le premier est que la Chine et l’Inde seront « responsables » à elles seules de la moitié de la progression de demande d’énergie primaire d’ici 2030 (la Chine contribuerait à elle seule à 43% de la croissance de la consommation de pétrole, celle des pays de l’OCDE baissant légèrement). Le deuxième est que pour faire face à la croissance de la consommation en pétrole, compte tenu de l’épuisement de gisements, il sera nécessaire de mettre en production une capacité additionnelle de l’ordre de 64 millions de barils/ jour soit l’équivalent de six fois la production actuelle de l’Arabie Saoudite…Le troisième constat est que si les réserves de gaz et de pétrole sont suffisantes pour atteindre 2030, on observe un net déclin de certains grands gisements : globalement, chaque année le volume de production de pétrole est supérieur à celui des découvertes (on épuise donc les réserves) et l’AIE prévoit qu’il attenidra un plateau à partir de 2030 (le pétrole non-conventionnel pouvant prendre partiellement le relais) . Par ailleurs, l’AIE évalue à 350 milliards de $ les investissements annuels nécessaires sur toute la chaîne exploration-production des hydrocarbures, un montant qui est paradoxalement moins élevé qu’aujourd’hui car c’est au Moyen Orient qu’ils sont le plus nécessaires, là où se trouvent des réserves importantes exigeant des investissements moins élevés que dans d’autre zones (en off-shore par exemple), le poids de la région dans les exportations , et donc celui de l’OPEP, se renforcerait en passant de 49 à 52 % ce qui risque évidemment de poser de manière encore plus aiguë le problème de la sécurité des approvisionnements en pétrole des pays de l’OCDE…On notera au passage que le WEO « prévoit » un prix du pétrole à 125 $ le baril (en dollar 2007) en 2030. Dans le futur paysage énergétique on doit s’attendre, selon l’AIE, à une forte progression de la demande énergétique dans les villes du fait de la poussée de l’urbanisation mais aussi à un rôle déterminant de la stratégie des entreprises pétrolières. En effet, la production des hydrocarbures est assurée par un « duo » – les entreprises nationales (comme l’ARAMCO en Arabie) qui possèdent la majorité des réserves et les firmes internationales qui ont, souvent, une plus grande capacité d’accès au marché international des capitaux et qui possédent les techniques de pointe (les sociétés parapétrolières jouent aussi un rôle croissant) – dont les stratégies pèseront lourd dans l’évolution future de la production… et du cours du baril. L’AIE plaide pour un partenariat entre les deux pôles industriels mais il n’est pas évident que le contexte économique soit favorable à un tel jeu.

On observe aussi que dans l’Afrique subsaharienne, une zone de production importante avec le Nigeria et l’Angola notamment, les Etats, en dépit de leurs revenus pétroliers, sont incapables de faciliter l’accès à l’énergie de leurs populations (les trois quarts de la population n’ont pas d’accès à l’électricité et utilisent une biomasse polluante pour la cuison des aliments). Le coût total des travaux nécessaires pour « brancher » à l’électricité les populations des dix pays producteurs d’hydrocarbures de cette zone et leur faciliter l’accès à une énergie non polluante pour les besoins domestiques ne représenterait que 0,4% de leurs revenus globaux tirés du pétrole et du gaz d’ici 2030……

Bien entendu, le scénario de référence de l’AIE conduit à une double interrogation : – est-il viable économiquement ? – ne va-t-il pas accélérer la tendance au réchauffement climatique ? Bien davantage que les années précédentes,  l’AIE s’interroge dans son rapport 2008 sur la viabilité climatique de son scénario de référence. Dans la perspective d’un futur accord international sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre, le post-Kyoto pour l’après 2012, dont la négociation devrait, en principe, se conclure à Copenhague à la fin 2009 (la conférence sur le réchauffement climatique organisée par l’ONU à Poznan est une étape de cette négociation), le WEO souligne, à juste titre, que la question énergétique est au cœur du débat sur le climat  et que la « route venant de Copenhague devrait être pavée de plus que de bonnes intentions ». Les chiffres sont parlants : avec un scénario prévoyant une augmentation de 45 % de la consommation d’énergie à l’horizon 2030 (entraînant une augmentation en même proportion des émissions de CO2), la planète s’engage dans une voie où la température moyenne de la Terre pourrait augmenter de 6°C à la fin du siècle. Ce constat est inquiétant, aussi l’AIE, en liaison avec les travaux du GIEC, a-t-elle étudié deux scénarios alternatifs présentés dans son rapport 2008 : – le premier vise à stabiliser à long terme la concentration en gaz à effet de serre (exprimée en équivalent CO2) à 450 ppm (parties par million) ce qui permettrait de limiter à 2°C l’élévation de la température – le second vise une stabilisation à 550 ppm limitant à 3°C le réchauffement de la planète. Ces deux scénarios supposent des efforts considérables tant pour réduire la consommation d’énergies fossiles (en particulier du charbon) que pour lancer des nouvelles filières. L’essentiel du fardeau des efforts reposera sur la Chine, l’Inde, les USA, l’UE et la Russie (qui émettent ensemble 65% du CO2 mondial). Le  "Scénario 450 " est très contraignant car il suppose la mise en oeuvre de nouvelles techniques qui sont loin d’être au point (la séparation et le stockage du CO2 par exemple) et donc un important effort de recherche, et une forte percée des énergies renouvelables avec une très nette remontée du nucléaire (un doublement des capacités installées par rapport à 2006) ; le total des investissements à engager sur les filières, y compris l’amélioration de l’efficacité énergétique, représenterait 3600 milliards de $ (soit 0,55 % du PIB mondial) de plus que pour le scénario de référence sur la période 2010-2030. Le "scénario 550" est moins budgétivore tout en supposant aussi des développements techniques considérables. Le WEO souligne qu’un accord sur le climat n’aurait un réel impact, après 2012, que si un mécanisme international de permis d’émission négociables (« cap and trade ») était mis en place accompagné, sans doute aussi, d’une taxe carbone dont le montant ne serait pas inférieur à 100$ la tonne de CO2 en 2030. Les revenus de la vente des droits d’émission pourraient atteindre 17 000 milliards de $ sur la période 2013-2030 pour le "scénario 450"…..

On perçoit bien, à travers les scénarios proposés par l’AIE, une montée de l’inquiétude sur la possibilité de répondre matériellement à une demande croissante d’énergie (même avec un léger tassement des prévisions) sans mettre en danger le climat, c’est une indéniable évolution de l’AIE. Le contexte d’incertitude économique qui caractérise la période actuelle risque de ne pas être favorable aux investissements destinés à préparer l’avenir, qu’il s’agisse de ceux destinés à favoriser la production d’hydrocarbures ou de ceux pour mettre au point les techniques pour  "décarboner » l’énergie. Ne pas investir dans la recherche et la technologie dans les filières énergétiques serait une politique à courte vue qui se paierait à terme par une dérive climatique et….un baril de pétrole plus cher. La route pour aller, en 2009, à Copenhague via Poznan, et celle qui en reviendra ne seront certainement pas un long chemin tranquille.


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