L’uranium et l’avenir de l’énergie nucléaire: enrichissez le mais pas de trop!

Image00059.jpgLa quasi totalité des centrales nucléaires actuelles utilisent de l’uranium faiblement enrichi comme combustible; l’avenir du nucléaire dépend donc largement de la capacité des pays qui veulent accéder à cette filière énergétique à disposer d’uranium enrichi. C’est une question qui a une dimension à la fois technique et politique comme le montre bien le dossier du nucléaire iranien.

  L’énergie nucléaire contribue, aujourd’hui, pour 16% à la production mondiale d’électricité (6% environ de l’énergie primaire totale) et plusieurs scénarios énergétiques tablent sur une croissance de la part du nucléaire dans le panier énergétique. L’avenir du nucléaire dépend donc à la fois de la disponibilité des réserves de minerai d’uranium (ou de thorium) et de la capacité à enrichir l’uranium naturel en isotope 235 qui seul est fissile et utilisable dans la réaction de fission dans un réacteur (le minerai est un mélange des isotopes 235 et 238 de l’uranium mais ne contient que 0,72% de l’isotope 235). Pour les réacteurs on enrichit le futur combustible jusqu’à des teneurs en uranium 235 comprises entre 3 et 4,5% selon les demandes des électriciens. C’est incontestablement la relation entre ses applications civiles et militaires qui a donné une dimension géopolitique au nucléaire car le combustible nucléaire (l’uranium et le plutonium qui est produit dans un réacteur) peuvent être utilisés pour fabriquer une arme nucléaire. La voie de l’uranium pour produire une arme requiert un enrichissement de l’uranium avec un taux supérieur à 85% ce qui suppose des installations industrielles complexes. L’enrichissement de l’uranium est donc une opération critique pour le nucléaire.

L’enrichissement de l’uranium est une technique industrielle qui est aujourd’hui bien maîtrisée et qui est basée sur des principes physiques simples : on met en œuvre un phénomène physique qui permet de jouer sur la différences de masse entre les atomes d’uranium 235 et 238 et de séparer ainsi les deux isotopes. La différence de masse étant faible, il faudra de toute façon procéder par répétition pour enrichir substantiellement l’uranium en faisant des opérations en série. Plusieurs méthodes ont été mises en œuvre. Une méthode électromagnétique a été utilisée par les Américains pendant la guerre : on joue sur la déviation des isotopes ionisés dans un champ magnétique. Le procédé par diffusion gazeuse, utilisé notamment en France (à l’usine de Pierrelatte) et aux USA joue sur la vitesse de diffusion différente de molécules d’hexafluorure d’uranium constituées à partir des deux isotopes (et donc très concentrées en uranium 238 le plus lourd) à travers une membrane. Ce procédé nécessite la construction de grandes usines et consomme beaucoup d’énergie (notamment pour des pompes).

 Le procédé par centrifugation, longtemps dans l’ombre, a aujourd’hui le vent en poupe et tend à « proliférer ». Là encore on part de l’hexafluorure d’uranium en phase gazeuse que l’on va centrifuger dans un récipient cylindrique qui est un rotor de centrifugeuse tournant à très à grande vitesse (comme le rotor d’une machine à laver). La séparation des isotopes par centrifugation est une technique dont le principe est ancien, elle avait été proposée par F.Lindemann et F.Aston en 1919 (une fois mise en évidence l’existence des isotopes des atomes ; mais la première séparation n’a été réalisée qu’en 1934 par Jesse Beams à l’université de Virginie aux USA. L’équipe de J.Beams participa au projet Manhattan pour produire l’arme nucléaire pendant la Deuxième Guerre mondiale mais sans grand succès (la bombe atomique lancée sur Hiroshima était à l’uranium) car on ne disposait pas encore, à l’époque, de centrifugeuses capables de tourner à grande vitesse (sans exploser…). Or on sait fabriquer, aujourd’hui de telles centrifugeuses dont le métal résiste aux tensions mécaniques internes provoquées par les grandes vitesses et qui sont donc plus efficaces pour séparer les isotopes de l’uranium. C’est, en particulier, le consortium Urenco associant les Pays Bas, le Royaume-Uni et l’Allemagne qui a mis au point le procédé moderne d’enrichissement de l’uranium par la voie de la centrifugation avec des centrifugeuses capables de tenir à des très grandes vitesses. La future usine française G.Besse II de Pierrelatte, opérée par Areva, utilisera la centrifugation. Ce procédé est simple dans son principe: on centrifuge le gaz d’hexafluorure d’uranium dans un rotor vertical tournant à grande vitesse, le gaz le plus léger (enrichi en uranium 235) tend à s’accumuler dans la partie supérieure du rotor (la tête) tandis que la partie la plus lourde (enrichie en uranium 238) est rejetée dans la partie basse (la queue). En pratique la performance d’une centrifugeuse qui caractérise sa capacité à séparer les deux isotopes est proportionnelle au carré de la vitesse de rotation, on a donc tout intérêt à tourner à grande vitesse. Il existe néanmoins un seuil critique que l’on ne dopit pas dépasser au risque de rompre le métal du rotor….On opére dans des cylindres de taille très variable, les plus grands rotors américains ont une hauteur de l’ordre de 10 métres, les centrifugeuses pakistanaises avaient une dimension de l’ordre de 2 m comme les centrifugeuses iraniennes, semble-t-il (on trouvera un très intéressant dossier sur la centrifugation et les problèmes qu’elle pose dans Physics Today de septembre : H.G.Wood, A.Glaser, R.S.Kemp " The gas centrifuge and nuclear weapons proliferation" pp. 41-45). On opére avec du gaz à basse pression (un millième d’atmosphère et à température ordinaire, en chargeant chaque cylindre de quelques grammes de  gaz on réalise une opération compléte de séparation en une heure (le facteur de séparation est de 1,2 à 1,5, il est meilleur que par séparation gazeuse) mais comme l’on part d’uranium naturel à 0,72% en isotope 235, l’opération doit être répétée un très grand nombre de fois. On opére alors par cascade: en branchant des centrifugeuses en série on augmente l’enrichissement de la queue à la tête de la série (la queue d’une centrifugeuse est branchée sur la tête de la centrifugeuse précédente), en les branchant en parallèle on augmente le flux c’est à dire la quantité totale d’uranium enrichi qui sort de  la batterie de machines (on utilise par exemple des cascades de 164 machines)

Le procédé de centrifugation a "diffusé" en particulier à partir du Pakisan par l’intermédiaire d’un ingénieur métallurgiste Abdul Qadeer Khan qui avait travaillé pour Urenco aux Pays Bas. A la suite du premier essai par l’Inde d’une arme nucléaire, en 1974, le Pakistan a voulu se doter, lui aussi, de l’arme nucléaire et a fait appel au services de Khan qui a pu se procurer des centrifugeuses. Le Pakistan a pu ainsi se produire sur son territoire de l’uranium très enrichi à usage militaire et construire des bombes atomiques. Khan a essayé de vendre son savoir faire, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes (et il est parvenu à s’enrichir…..), à plusieurs pays. L’Iran (sans doute à partir de 1987) et la Libye ont eu recours à ses services mais l’Irak a refusé (tout en tentant de se lancer dans l’enrichissement de l’uranium), il n’est pas impossible que la Corée du Nord l’ait fait. La technique a donc proliféré même si la Lybie a renoncé, moyennant quelques pressions, à poursuivre dans la voie de l’enrichissement de l’uranium (la Corée du Nord après de multiples tergiversations semble s’engager dans la voie du renoncement au nucléaire militaire après avoir construit et testé une bombe atomique au plutonium). L’iran quant à lui, tout en protestant de ses intentions pacifiques, poursuit toutefois dans la voie de l’enrichissement de l’uranium.

L’enrichissement de l’uranium pose évidemment un problème géopolitique ou tout simplement militaire. Si l’on veut construire une arme nucléaire avec de l’uranium il est nécessaire de disposer d’une charge d’uranium d’environ 50 kg enrichie à au moins 85% en isotope 235 (on peut  construire des bombes avec des charges plus faibles mais il faut utiliser des techniques compliquées, comme par exemple l’implosion des charges, qui ne sont heureusement pas à la portée de tout le monde). En partant d’un uranium peu enrichi (de 3 à 5% et destiné à un usage civil)  et en utlisant de multiples cascades on peut parvenir à ce résultat en prenant le temps. Ainsi selon Physics Today, en partant d’un uranium enrichi à 3,5% on peut produire avec des cascades de 2000 centrifugeuses 90 kg d’uranium enrichi à 90% par an (cela nécessite toutefois une reconfiguration des cascades avec force tuyauterie qui ne passe pas inaperçue sur place!). Tout le problème si l’on veut éviter la prolifération militaire de l’uranium est donc de contrôler l’enrichissement. On sait, et nous en avons parlé à plusieurs reprises, que le Traité de non-prolifération nucléaire (le TNP) a précisément pour objectif d’instaurer le contrôle international des activités nucléaires via l’Agence Internationale de l’Energie Atomique de Vienne (AIEA). Le Pakistan, l’Inde et Israël n’ont pas signé le TNP mais en revanche l’Iran et la Corée du Nord l’on fait…Le débat actuel porte donc sur la volonté de l’Iran d’accepter un contrôle strict de ses installations nucléaires pour vérifier que l’enrichissement de l’uranium n’est pas destiné à produire des armes nucléaires en contravention avec le traité. On remarquera toutefois que les pays occidentaux on admis de fait que l’Inde , le Pakistan et Israël se dotent de l’arme nucléaire et qui plus est, s’agissant de l’Inde, les USA et la France sont prêts à l’aider à accéder à des techniques civiles nouvelles….quant au Pakisan qui est un fauteur de prolifération on peut s’inquiéter du fait que ce pays nucléaire soit en voie de déliquescence. Le contrôle des opérations d’enrichissement de l’uranium est compliqué. En effet, une usine clandestine (par exemple souterraine) non soumise à un contrôle est difficilement détectable par exemple par surveillance satellitaire car elle consomme peu d’énergie (160 watts au métre carré au lieu de 10 000 pour une usine de diffusion gazeuse) et, opérant à basse pression, il est difficile de détecter des races d’éventuelles fuites de gaz dans l’atmosphère. Par ailleurs seule une inspection sur palce petrmet de remarquer des branchements en série de plusieurs cascades nécessaires pour des enrichissements à teneur élevée en uranium 235. L’Iran a installé une usine d’enrichissement à Natanz qu’elle a testée et le site a été inspecté par l’AEIA qui a publié plusieurs rapports à ce sujet depuis 2003 mais il refuse désoamais des contrôles plus complets malgré les injonctions de l’ONU. Le problème est donc loin d’être réglé.

Le contrôle des usines d’enrichissement de l’uranium est aujourd’hui le point critique de la non-prolifération. Le nucléaire ne peut se développer à l’échelle mondiale, nous semble-t-il, que si cette question est résolue (ainsi, bien sûr, que celle de la sécurité des installations dans des pays qui n’ont pas la " culture" du nucléaire). Il n’est possible que moyennant l’acceptation de clauses très strictes de construction des usines et de la destination des combustibles sous un contrôle de l’AIEA (ce qui suppose le renforcement de ses moyens) . Le contrôle des usines et de l’uranium enrichi par un consortium multinational serait sans doute la situation idéale. Dans le contexte international actuel, en particulier au Moyen Orient, il faut évidemment être optimiste pour penser qu’une telle solution pourrait être rapidement adoptée. La plupart des pays qui veulent accéder au nucléaire ont sans doute le souci d’assurer à la fois leur avenir énergétique et  leur sécurité internationale (c’est à dire militaire), et c’est certainement le cas de l’Iran. Le problème de la non-prolifération nucléaire ne peut donc être résolu que si l’on travaille sur les deux tableaux et si l’on répond en particulier aux questions de sécurité. C’est dire combien le nucléaire  a une dimension géopolitique, on ne doit pas s’inderdire d’espérer que l’Iran et d’autres pays évoluent dans cette direction … ainsi que l’Amérique puisqu’elle a déjà changé le 4 novembre.


Publié

dans

par

Étiquettes :