L’avenir de la politique énergétique aux USA: Quo vadis America?

Les USA qui consomment près du quart de l’énergie mondiale n’ont montré, jusqu’à tout récemment, aucune propension à freiner leur consommation. Qui plus est, l’administration Bush a refusé d’engager les USA dans le protocole de Kyoto qui a pour objectif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre des pays développés. Toutefois, la forte augmentation du prix de baril de pétrole a été, cette année, un signal d’alarme pour les consommateurs américains et la campagne présidentielle qui bat son plein est l’occasion pour les deux candidats, B.Obama et J.Mc Cain, de préciser les grandes lignes de la politique de l’énergie qu’ils mettraient en oeuvre s’ils étaient élus. Le  futur élu à la Maison Blanche, quel qu’il soit, donnera une nouvelle orientation à la politique américaine de l’énergie.

Quelques chiffres suffisent à planter le décor de la politique énergétique américaine. Les USA consomment près du quart de l’énergie primaire mondiale (2,3 Gtep) avec une consommation par habitant (7,5 tep) qui est pratiquement le double de celle des Européens et cinq fois la moyenne mondiale. Les combustibles fossiles représentent 86% de la consommation d’énergie primaire des USA (les USA produisent 50 % de leur électricité avec du charbon) tandis qu’ils sont obligés d’importer une part croissante de leur pétrole et de leur gaz naturel (60 % environ du pétrole, 20% de leurs importations provenant du Moyen-Orient). Leurs émissions de gaz à effet de serre sont allées en croissant (en 2005 ils ont émis 5,8 Gtonnes de gaz carbonique) mais, il est vrai, qu’ils se sont fait ravir la place de premier émetteur mondial de gaz carbonique par la Chine en 2007. Partisans d’une énergie bon marché qu’ils considèrent comme un élément essentiel de l’« American way of life » (les banlieues sans fin des villes américaines poussent à la consommation d’énergie par les automobiles) et un atout économique, les Américains sont confrontés à un véritable dilemme énergétique : – comment les USA peuvent-ils rentrer sans dommage dans une ère à énergie chère ? – comment préparer l’après-pétrole et avec quelles énergies ? – quelle réponse les USA doivent ils apporter au défi du réchauffement climatique (l’administration Bush a refusé de reconnaître que la questions se posait) ? Une campagne présidentielle est l’occasion d’apporter des éléments de réponse à ces questions et c’est ce que les deux candidats à la Maison Blanche, John McCain et Barack Obama ont fait par petites touches. Leurs propositions apparaissent sur leurs sites internet respectifs (www.johnmcain.com et www.barackobama.com). Par ailleurs, le magazine scientifique britannique Nature a publié dans son numéro du 25 septembre un intéressant dossier sur la place des questions de recherche dans les élections présidentielles américaines où les questions d’énergie sont aussi largement abordées (« US election special »www.nature.com/uselection). Si B.Obama a accepté de répondre aux 18 questions posées par Nature , J.McCain a refusé de le faire mais le magazine a mis en évidence les positions du candidat sur les questions de recherche et d’énergie lorsqu’elles étaient connues. La politique énergétique n’est probablement pas un point clé des débats politiques qui agitent la campagne présidentielle, les questions économiques (en pleine crise financière..) et la guerre en Irak étant davantage au premier rang des préoccupations des électeurs, mais l’énergie est fréquemment évoquée par chacun des candidats, ne serait-ce qu’à travers la question que pose le coût croissant des carburants, et l’on comprend à travers leurs propositions que le futur élu, quel qu’il soit, sera contraint de prendre des initiatives.

Pour le candidat démocrate, B.Obama, il faudra trouver une « New energy for America » et celui-ci s’engage, s’il est élu, à mobiliser 150 milliards de $ de fonds publics en 10 ans pour doter l’Amérique d’une « énergie propre », cet effort devrait permettre de créer 5 millions d’emplois. Dans l’immédiat il taxera les superprofits réalisés par les sociétés pétrolières afin d’attribuer une allocations aux familles américaines les plus démunies. Il fixe plusieurs objectifs à une nouvelle politique énergétique : – réaliser des économies massives d’énergie en particulier dans les bâtiments (ce secteur représente 40% de la consommation finale d’énergie aux USA) – produire 10% de l’électricité à partir d’énergies renouvelables en 2012 et 25% en 2025 (en particulier l’éolien et le solaire mais en modernisant le réseau de distribution d’électricité à travers un projet « smart grid ») – réduire la dépendance américaine vis-à-vis du pétrole importé (en diminuant de 35 % la consommation de pétrole d’ici 2030 soit de 10 millions de barils par jour ce qui est supérieur aux importations actuelles de pétrole du Moyen Orient et du Venezuela). Le candidat démocrate est relativement prudent sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Ainsi ne s’engage-t-il pas à fond derrière le nucléaire : il reconnaît que les USA ne peuvent se passer de l’option nucléaire qui représente aujourd’hui 70% de l’électricité produite à partir d’énergie non carbonée mais il souhaite que le problème des déchets soit réglé (il abandonnera le projet de stocker des déchets dans un site souterrain à Yucca Mountain au Nevada) et il annonce qu’il attachera une grande importance aux questions de sécurité et de non-prolifération du nucléaire. Il préconise un effort important pour mettre au point des techniques permettant d’utiliser du « charbon propre » (c’est-à-dire de fait en stockant le gaz carbonique émis lors de la combustion) ainsi que pour la production de biocarburants, en particulier d’éthanol à partir de la cellulose (avec un objectif de production de 2 milliards de gallons d’éthanol à partir de cette filière en 2013… alors que les procédés sont loin d’être au point). Aux USA comme dans beaucoup d’autres pays, la question climatique est au cœur du débat énergétique et l’on sait que l’administration Bush a refusé que les USA ratifient le protocole de Kyoto dont le renouvellement (au-delà de 2012) est en cours de renégociation (certains états comme la Californie ont pris des mesures pour économiser l’énergie et diminuer leurs émissions de gaz carbonique). La position que prendra sur ce dossier la nouvelle administration est donc très importante. Sur ce dossier la position de B.Obama est très claire : les USA devront être partie prenante au protocole de Kyoto. Il fixe par ailleurs des objectifs ambitieux à la politique énergétique américaine : réduire de 80% en 2050 les émissions de gaz à effet de serre des USA par rapport à leur niveau atteint en 1990. Dans cette perspective il soutiendra un mécanisme international de permis d’émission négociables (les entreprises se vient attribuer au niveau national ou de l’UE des quota démission qu’elles peuvent vendre ou acheter sur le marché international si elles en ont besoin, un mécanisme dit de « cap and trade »). Il propose de plus de vendre ces quota aux enchères (qui devrait rapporter, estime-t-il, 15 milliards de $ par an) et aussi d’instaurer un « Low carbon fuel standard » aux USA incitant à la consommation de carburants émettant moins de gaz carbonique. Dans le même ordre d’idées il fixe l’objectif de mettre en service, d’ici 2015, un million de véhicules hybrides, fabriqués aux USA, avec des batteries rechargeables et permettant de rouler 150 miles par gallon. Au plan international les USA devront être des leaders de la lutte contre le réchauffement climatique en s’engageant, parallèlement, dans une politique de transfert des technologies vers les pays en développement pour les aider à utiliser des techniques économisant l’énergie ou moins polluantes.

Le candidat républicain, John McCain, quant à lui, est intervenu à plusieurs reprises sur la question énergétique et son site internet précise les grandes lignes de la politique qu’il mettrait en œuvre s’il était élu. Il a, lui aussi, un plan ambitieux qu’il a baptisé « Lexington project » du nom de la ville où a eu lieu, en 1775, la première bataille de la guerre d’indépendance des USA ce choix symbolisant pour J.McCain sa volonté de redonner aux USA les moyens pour que dans « un monde – a- t-il déclaré dans un discours le 25 juin 2008 – de producteurs de pétrole hostiles et politiquement instables ce pays atteigne son indépendance énergétique en 2025 ». Pour cela McCain souhaite que les USA développent la recherche et la production d’hydrocarbures sur leur territoire et en off-shore sur leur plateau continental (notamment en Alaska où se trouveraient un tiers des réserves de pétrole US, on observera que B.Obama, initialement réservé sur cette question des forages en Alaska a pris une position très voisine). Il souhaite libérer le secteur des transports de la contrainte que représente l’utilisation de pétrole importé du Moyen-Orient et du Venezuela mais aussi y transformer les utilisations d’énergie. Il propose à cet effet d’instaurer un crédit d’impôt de 5000 $ pour l’achat de véhicules automobiles n’émettant pas de gaz carbonique (il ne précise pas comment) et de soutenir les efforts pour développer des véhicules hybrides : il lancera ainsi un prix doté de 300 millions de $ destiné à récompenser l’invention d’une nouvelle batterie automobile qui coûterait le tiers des batteries actuelles et serait plus petite à puissance égale ; il se prononce aussi pour l’adoption de véhicules flexfuel (fonctionnant à l’essence ou au biocarburant) et veut promouvoir la production d’éthanol à partir de cellulose. Sur le dossier du charbon, J.McCain, tout comme B.Obama, veut promouvoir le charbon propre en envisageant de dépenser 2 milliards de $ par an pour mettre au point les techniques adaptées; il se prononce aussi pour l’adoption de véhicules flexfuel (fonctionnant à l’essence ou au biocarburant) et veut promouvoir la production d’éthanol à partir de cellulose. Il propose aussi un effort massif en faveur du nucléaire (il est sur ce point beaucoup plus volontariste que B.Obama) : 45 nouveaux réacteurs devront être construits d’ici 2030 avec la perspective, à plus long terme, de doter les USA de 100 nouveaux réacteurs au total ; il donne au passage un coup de chapeau aux énergies renouvelables (éolien et solaire). J.Mc Cain a toujours critiqué la position de l’administration Bush sur le climat, refusant de signer le protocole de Kyoto, estimant qu’elle n’était pas fondée scientifiquement et qu’elle n’était pas tenable au plan international. Dans son programme il fixe donc un objectif relativement ambitieux pour les USA : réduire en 2050 de 60% les émissions de gaz à effet de serre (tout particulièrement le gaz carbonique) par rapport à leur niveau de 1990. J.Mc Cain, tout comme B.Obama, préconise un système de permis d’émission négociables des gaz à effet de serre du type « cap and trade », la vente des quota permettant de financer l’innovation technologique dans le secteur de l’énergie aux USA.

La comparaison des programmes des deux candidats met en évidence des similitudes et des nuances, voire des différences. Schématiquement les deux candidats à la Maison Blanche s’accordent sur la nécessité de s’attaquer au problème climatique en prenant des mesures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre qui sont une « retombée » de l’utilisation immodérée des combustibles fossiles (J.McCain a des objectifs moins ambitieux que son rival en matière d’émission mais c’est une nuance). C’est le point le plus important car il signifie que les USA seront activement présents dans la négociation internationale qui s’est engagée pour un Kyoto bis. Sur la politique énergétique proprement dite, il apparaît que B.Obama annonce un plan d’ensemble plus ambitieux financièrement que celui de J.McCain, ce dernier étant plus volontariste sur le nucléaire et sans doute sur le charbon et l’exploitation des ressources nationales d’hydrocarbures, les deux candidats souhaitant réaliser des efforts tant sur les biocarburants, le solaire et l’éolien. B.Obama apparaît davantage soucieux de mener de front une politique globale tant sur les ressources (en développant des énergies nouvelles) que sur les économies d’énergie. Les deux candidats ne sont pas seuls puisqu’ils se présentent avec des colistiers (le sénateur Joe Biden pour B.Obama et le gouverneur de l’Alaska Sarah Palin pour J.Mc Cain). Si J.Biden, spécialiste réputé de politique étrangère, n’a pas exprimé dans le passé de vues particulières sur l’énergie, il n’en va de même de S.Palin qui, en tant que gouverneur de l’Alaska s’est intéressée de près aux ressources en hydrocarbures de son Etat en préconisant depuis longtemps de procéder à une exploration en off-shore (les deux candidats sont maintenant aussi sur cette ligne). Elle a d’ailleurs déclaré que si elle était élue elle ferait de l’énergie « son bébé » (il reste à savoir si JMcCain lui laisserait jouer ce rôle de mère nourricière possessive….). Les questions énergétiques ont d’ailleurs été abordées dans le débat télévisé qui les opposés le 2 octobre. Par ailleurs S.Palin affiche ouvertement des convictions favorables au créationnisme (elle a également émis des doutes sur l’origine anthropogénique du réchauffement climatique) et cela inquiète fortement les scientifiques et laisse mal augurer de ses relations avec la communauté scientifique si elle était élue sur le ticket républicain. Le choix de S.Palin par J.McCain est sans doute destiné des gages à la droite religieuse américaine (c’est en particulier l’opinion exprimée par Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’Etat de Bill Clinton, dans une interview au journal La Croix du 30 septembre), J.Biden qui est catholique (on sait que les questions religieuses ont une place importante dans la politique américaine), en revanche s’est déclaré hostile à l’enseignement de l’« intelligent design » dans les écoles américaines (il est par ailleurs favorable aux recherches sur les cellules souches).

Quel que soit le président élu qui arrivera à la Maison Blanche en janvier prochain, il est très probable que la politique énergétique américaine prendra un nouveau cours plus volontariste pour répondre aux défis que pose l’énergie aux Américains. Il est possible que la crise financière actuelle et ses probables retombées économiques conduisent à modifier quelque peu le calendrier de mise œuvre des priorités des candidats (J.McCain a annoncé qu’il n’engagerait pas dans un premier temps de nouvelles dépense publiques) mais les USA seront contraints de relever ces défis. Leur effort de R&D dans le domaine de l’énergie augmentera très probablement, éventuellement avec la création d’une nouvelle Agence fédérale pour l’énergie dont la création a été préconisée il y quelques années déjà, un effort technologique sera entrepris pour préparer l’après-pétrole, la politique américaine jouant à la fois sur les registres du nucléaire, des énergies renouvelables et… du charbon. Les USA seront aussi très présents dans la négociation internationale sur le climat. Il n’est pas certain que cette politique calme la boulimie énergétique américaine mais les USA auront certainement une politique plus dynamique que pendant l’ère Bush qui s’achève. L’Europe serait sans doute bien inspirée de ne pas attendre que les Américains innovent dans le domaine de l’énergie et s’active pour apporter ses propres réponses aux défis scientifiques, techniques, industriels et économiques que celle-ci pose à toute la planète.


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