L’avenir du charbon: énergie du passé ou renouveau?

Le charbon fut le vecteur énergétique de la révolution industrielle mais, concurrencé par le pétrole et le gaz naturel, il a connu un lent déclin après la Seconde Guerre mondiale, puis un regain de faveur depuis la fin du siècle dernier et l’on prévoit une forte croissance de sa production. Peut-on alors parler d’un renouveau du charbon et faut-il s’intéresser à cette ressource énergétique? Un très intéressant livre qui vient d’être publié répond à ces deux questions. 


 

Le charbon n’a plus bonne réputation  car il est souvent associé aux drames humains qu’a connus le développement de l’industrie charbonnière (accidents, vie difficile des mineurs) qu’a popularisés Zola dans Germinal  et à la pollution et pourtant la plupart de scénarios énergétiques prévoient que la production de charbon ira en croissant au cours des prochaines décennies. Pourquoi ce renouveau? Un livre très important Charbon, les métamorphoses d’une industrie, publié cet été chez Technip, répond à cette question. Son auteur, Jean-Marie Martin-Amouroux, ancien Directeur de recherche au CNRS et économiste spécialiste reconnu des questions énergétiques à Grenoble, nous présente une synthèse complète des transformations de l’industrie charbonnière et des questions que pose l’avenir du charbon. Alors qu’il existe une abondante littérature sur le pétrole, les énergies renouvelables et le nucléaire, celle sur le charbon est plutôt mince et ce livre est donc le bienvenu. Nous en présentons les grandes lignes et les principales conclusions.

 Après avoir largement dominé la scène mondiale de l’énergie, le charbon a amorcé son déclin après la Seconde Guerre mondiale (il représentait encore 44% de la consommation d’énergie en 1950), puis connaît un regain de faveur depuis la fin du siècle dernier : avec une consommation mondiale de 4,6 Gtec en 2006 (on raisonne en tonnes équivalent charbon correspondant à une référence calorifique commune à tous les charbons), il représente, aujourd’hui, 26% de l’énergie primaire mondiale (en deuxième place derrière le pétrole mais devant le gaz) avec un taux de croissance annuel de 5% de la consommation (supérieure à la moyenne pour l’énergie). Bien entendu la géographie de la production et de la consommation du charbon est très contrastée et elle a profondément évolué ces dernières décennies.  Dans cette géographie mondiale les USA font figure «  d’Arabie Saoudite du charbon » car bien que ceux-ci disposent d’importantes ressources en pétrole et en gaz, ils demeurent ancrés dans le charbon dont ils sont le deuxième producteur mondial avec une production d’un milliard de tonnes par an. Après un déclin marqué jusque dans les années 1960, le charbon américain a amorcé son retour lorsqu’il est devenu compétitif avec le gaz naturel pour la production d’électricité (assurée à 50% par le charbon).  C’est une forte croissance de la productivité des mines (leur centre de gravité s’est déplacé vers l’Ouest) couplée à une restructuration de l’industrie charbonnière qui a permis ce retour en force du charbon dont l’exploitation bénéficie d’un réseau ferroviaire compétitif (des trains de 2,5 km de long !). La Russie est aussi une grande puissance charbonnière dont l’industrie a été bâtie à coups de plans quinquennaux au temps de l’URSS (avec celles de l’Ukraine et du Kazakhstan deux autres producteurs de charbon). A la suite de la dislocation de l’URSS l’industrie charbonnière russe a été profondément restructurée et plusieurs grands groupes charbonniers ont fini par émerger avec des capitaux en provenance notamment de la sidérurgie et de l’industrie électrique ; cette restructuration a permis une percée des exportations des charbons russes. Produisant 300 millions de tonnes de charbon (95% de la production est à l’ouest de l’Oural), la Russie est pourvue d’abondantes réserves qui lui permettent de développer sa production mais elle est sérieusement handicapée par la vétusté de son réseau ferroviaire.

La Chine et l’Inde méritent une attention particulière car ce sont deux pays émergents qui fondent leur développement économique sur une énergie à base de charbon. La Chine est prise d’une véritable boulimie de charbon dont elle consomme 2,6 Gt par an, elle est le premier producteur mondial mais elle est aussi un importatrice. Stimulée par la demande d’électricité (produite à près de 80% par des centrales au charbon) et par la production d’acier et de ciment, la Chine a doublé sa consommation de charbon entre 2001 et 2006. La situation de l’industrie charbonnière chinoise est complexe car de très grands groupes miniers constitués récemment coexistent avec une myriade de petites mines locales souvent peu productives et dangereuses. Cette poussée du charbon a évidemment un coût humain énorme : – accidents miniers mortels (au minimum 500 morts par an) – dégâts environnementaux avec un fort impact sur la santé. Malgré cela, le charbon restera la colonne vertébrale de l’approvisionnement énergétique de la Chine car celle-ci est pourvue d’importantes réserves qui lui permettent, sans doute, de doubler encore sa production. Pour l’Inde le charbon (une production de 500 Mt) a été aussi le vecteur de l’industrialisation et son industrie charbonnière, nationalisée en 1973, a accru sa productivité grâce, notamment, à l’exploitation de mines à ciel ouvert. Comme en Chine les dégâts environnementaux du charbon sont manifestes mais là aussi le gouvernement indien prévoit une forte augmentation de la consommation (un triplement entre 2005 et 2024 ?). En complétant sa géographie mondiale du charbon J-M.Martin souligne que la reprise de la consommation mondiale s’est accompagnée par le remplacement des productions des « vieux » pays charbonniers tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Japon par celles de puissances charbonnières comme l’Australie, devenue un véritable eldorado charbonnier, l’Indonésie qui a créé la surprise en devenant le premier exportateur mondial de charbon vapeur, et l’Afrique du Sud qui, pendant la période de l’apartheid a développé sa production, notamment pour produire des carburants synthétiques.
Comment peut-on expliquer la reprise des marchés internationaux du charbon (les exportations représentent 20% de la production mondiale qui ont été multipliées par près d’un facteur 15 depuis 1965) ? Plusieurs facteurs ont contribué à cette relance :  le Japon a probablement joué un rôle de catalyseur en développant sa sidérurgie qui a dû faire appel à des importations de coke, puis, les chocs pétroliers aidant, le charbon vapeur a pris le relais pour stimuler les exportations mondiales. Cette croissance des échanges mondiaux n’est pas sans problèmes, elle suppose, en effet, des moyens de transports compétitifs (actuellement les dépenses de transport  représentent la moitié du coût de la tonne livrée à Rotterdam) : d’où la nécessité de construire des nouvelles infrastructures ferroviaires et portuaires et des flottes de vraquiers. La carte mondiale des grands ports charbonniers a ainsi été transformée et, aujourd’hui, une douzaine de grands ports assurent l’essentiel du trafic. Cette évolution des marchés internationaux s’est accompagnée d’une forte restructuration de l’industrie charbonnière avec des capitaux d’origine très variée, une quinzaine d’entreprises produisant chacune plus de 50 millions de tonnes de charbon (certaines sont intégrées verticalement associés à des groupes métallurgiques ou producteurs d’électricité). Favorisé par des coûts de production et de fret en baisse, le charbon est relativement bon marché (environ 150 $ la tonne pour le charbon vapeur à Rotterdam), mais la boulimie charbonnière peut nous conduire à sortir d’une ère du charbon à bon marché s’il faut exploiter des mines avec des coûts de production plus élevés ou éloignées des voies de communication.

En définitive, si le jeu de trois facteurs a permis la métamorphose de l’industrie charbonnière (la croissance de la productivité minière, la concentration des entreprises et la baisse des coûts de transport), l’avenir du charbon restera t-il « rose » ? Le livre de J-M.Martin, et c’est l’un de ses intérêts, ne se contente pas de décrire la géographie des évolutions de la production charbonnière mais il apporte aussi des élément de réponse à cette question en examinant les atouts et les handicaps du charbon pour l’avenir. Il part du constat que les moteurs qui ont permis la reprise de la consommation sont toujours en marche dans les pays émergents: croissance très forte de la demande d’électricité et des industries sidérurgiques et cimentières. Les scénarios de l’AIE et de l’UE (scénario WETO) « prévoient » une multiplication par un facteur de trois à quatre de la consommation d’électricité d’ici 2050 mais avec un poids assez différent du charbon dans la production (47% pour l’AIE et 32 % pour l’UE), le rôle du charbon dépendra fortement du poids du nucléaire et des énergies renouvelables dans la production électrique. On doit noter aussi que la recherche de substituts aux carburants d’origine pétrolière peut lancer la production de carburants synthétiques à partir du charbon avec des procédés qui sont au point et dont les rendements peuvent être améliorés. L’auteur souligne, enfin, que si l’estimation des réserves de charbon exploitables est délicate il existe un consensus sur leur abondance et qu’il ne semble pas que l’existence du stock en terre puisse limiter la croissance de la consommation au cours de ce siècle. Il reste, bien sûr, que l’exploitation du charbon demeurera une activité à risques : accidents miniers, impacts environnementaux considérables avec des émissions de gaz carbonique lors de la combustion qui sont un facteur du réchauffement climatique et des prélèvements d’eau pour laver les charbons. Alors les technologies pour le « charbon propre » arriveront-elles à temps pour « sauver » le charbon ? Telle est la question, importante sans aucun doute, à laquelle tente de répondre le dernier chapitre du livre. L’auteur passe en revue toutes les solutions techniques qui permettraient d’utiliser un charbon « propre », c’est-à-dire moins polluant : meilleures techniques de production, dénitrification, gazéification in situ permettant de gazéifier le charbon dans la mine (pour produire du méthane par exemple et éventuellement, au sol, des carburants synthétiques), stockage dans le sous-sol du gaz carbonique émis par les centrales ou lors de la gazéification, etc. Le stockage du gaz carbonique est une technique complexe et coûteuse qui demeure encore pleine d’incertitudes. L’auteur souligne, à jute titre, que l’avènement du charbon propre ne sera possible que si des politiques publiques volontaristes sont mises en œuvre pour développer la recherche, mettre au point des techniques et faciliter leur diffusion ; la mise en place de réglementations s’attaquant aux dégâts environnementaux du charbon favoriserait aussi l’adoption de ces technologies, plusieurs initiatives de l’UE, mais aussi des USA et du Japon vont déjà dans ce sens.

On lira avec le plus grand intérêt le livre de J-M.Martin-Amouroux qui a le mérite de faire une synthèse très claire de tous les enjeux économiques, géopolitiques et techniques que représente le développement de l’industrie charbonnière. Ce livre est aussi une « mine » d’informations sur la géographie et l’économie du charbon, sur les techniques de production et le rôle des multinationales que complètent une abondante bibliographie et une annexe technique sur les charbons. On regrettera peut être que l’Europe occidentale soit peu présente dans le livre (sa production est allée en s’étiolant) mais l’auteur a prévu une édition « longue » de son ouvrage qui comportera plusieurs chapitre sur l’Europe et qui sera disponible chez l’éditeur en 2009. On perçoit bien les inconvénients du charbon dont la Chine, l’inde, et les USA sont des gros consommateurs mais, qu’on le veuille ou non, il est une ressource potentielle pour l’après-pétrole sur laquelle on doit s’interroger.  Ce livre mérite attention car il apporte une importante contribution au débat sur l’énergie en apportant des réponses à cette question : peut-on entrer dans le XXI e siècle avec une énergie du XIX e siècle ?


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