Scénarios énergétiques pour 2050 (suite..): la technologie est-elle la réponse?

La dernière réunion du G 8 qui s’est tenue Toyako au Japon, est parvenue à un compromis sur " l’objectif d’une réduction d’au moins 50 % des émissions des gaz à effet de serrre d’ici à 2050" . Le gaz carbonique, on le sait, est le principal facteur d’origine anthropogénique du réchauffement climatique et réduire ses émissions en limitant l’utilisation des combustibles fossiles est le moyen priviliégié pour maintenir l’augmentation de la température de la planète dans une plage "acceptable" (2°C d’ici la fin du siècle?). Il reste à savoir comment cet objectif sera atteint et le G8 est  a été très discret sur le sujet. …Le débat ne fait que commencer.


 

Atteindre cet objectif suppose certainment une meilleure maïtrise de la consommation énergétique, avec une plus grande efficacité énergétique de l’économie (moins de pétrole ou d’électricité pour produire un euro de PIB) et surtout une effort de R&D et des technologies nouvelles. C’est dans cette perspective que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a publié son deuxième rapport sur les « perspectives technologiques de l’énergie » qui présente un panorama complet des technologies qu’il faudrait mettre en œuvre pour s’attaquer au changement climatique (Energy Technology Perspectives 2008). Ce rapport, comme le premier publié en 2006, répond à une demande du G 8 en 2007 et des ministres des pays membres de l’Agence. Celle-ci fait l’hypothèse que si l’on s’en tient à son scénario de base pour l’énergie à l’horizon 2050, la demande mondiale de pétrole devrait croître de 70% et, en parallèle, les émissions de gaz carbonique (le principal gaz à effet de serre d’origine anthropogénique) devraient plus que  doubler (un accroissement de 130%). L’AIE admet que son scénario de base (dont on peut contester le réalisme : comment l’offre suivrait-elle ?) n’est guère « soutenable » car il conduirait certainement à un réchauffement climatique aux conséquences dramatiques. Elle préconise donc une « révolution » dans les moyens de produire et d’utiliser l’énergie dont ce rapport établit la feuille de route pour un ensemble de 17 technologies à mettre au point. La boîte à outils des technologies de l’énergie est bien garnie (près de deux cent techniques qui vont des moteurs thermiques au nucléaire en passant par le solaire)  pour être utilisée dans des scénarios dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz carbonique. …comme l’ont préconisé les huit plus grands pays industriels cette année.

L’AIE analyse en détail l’impact potentiel sur la consommation d’énergie et les émissions de gaz carbonique de deux scénarios : un scénario d’ambition majeure mettant en œuvre des technologies existantes ou en état de développement avancé, le Scénario ACT (Accelerated Technology scenario) et un second avec ses variantes encore plus ambitieux baptisé «  Bleu » (Blue Map). Ce scénario permettrait de réduire de moitié en 2050 les émissions de gaz carbonique par rapport à leur niveau atteint en 2005, un objectif fixé par le G 8 de Heiligendamm en 2007, mais sa mise en œuvre exigerait une politique volontariste de l’énergie à l’échelle mondiale mobilisant de très importants moyens technologiques.  Les technologies passées sous le microscope de l’AIE peuvent être classées en trois catégories : celles qui sont mûres, celles qui exigent encore des travaux de développement et de démonstration importants, enfin les technologies d’avant-garde qui requièrent d’importants travaux de R&D et de démonstration. Parmi les technologies « mûres » figurent principalement,  les techniques et les procédés : qui permettent d’améliorer les rendements des centrales électriques (en évitant les pertes par transmission qui sont équivalentes au niveau mondial à la production d’électricité par la Chine !) et des moteurs des véhicule de transport, d’accroître l’efficacité énergétique des procédés industriels énergivores (production d’acier de ciment, d’aluminium, etc.) et du chauffage des bâtiments. Bon nombre de techniques qui sont à portée de main permettraient d’augmenter d’environ un tiers l’efficacité énergétique de nombreux dispositifs en diminuant les émissions de gaz carbonique. L’énergie éolienne est aussi une technique mûre et le scénario Bleu envisage qu’en 2050 12% de l’électricité mondiale puisse être produit à partir de l’énergie éolienne. Le deuxième paquet de techniques de la boîte à outils requiert des efforts technologiques importants avant leur commercialisation. Ainsi dans le domaine des transports la mise au point de biocarburants de deuxième génération (à partir de la ligno-cellulose, cf. notre brève sur ce sujet) ou d’essence synthétique à partir de biomasse, la mise au point de véhicules hybrides, avec ou sans piles à combustible, dépendent de la possibilité de faire sauter d’importants verrous technologiques. Si les incertitudes technico-économiques demeurent fortes sur les filières des biocarburants et de l’hydrogène, une variant du scénario Bleu  fait l’hypothèse d’une réduction de 30% par rapport à leur niveau de 2005 les émissions de gaz carbonique dans les transports. Les techniques de séparation et de stockage souterrain du gaz carbonique sont aussi passées au crible ; elles requièrent encore un effort technique important mais l’AIE estime que ces techniques pourraient à elles seules contribuer à  près d’un tiers aux réductions totales des émissions de gaz carbonique. Quant aux techniques d’avant-garde (le troisième paquet) leur mise au point va nécessiter des percées scientifiques et techniques importantes. De cette catégorie relèvent le nucléaire de quatrième  génération (les surgénérateurs), les filières solaires du photovoltaïque avec des cellules à haut rendement et des centrales à concentration, la production de nouveaux biocarburants avec les techniques du génie génétique, de nouvelles voies pour la production d’hydrogène, l’énergie des mers (dont la percée est peu probable)… ainsi que la fusion thermonucléaire  dont l’horizon est au-delà de 2050. S’agissant du nucléaire le rapport de l’AIE rentre peu dans les détails (alors que nouvelles filières pourraient être ouvertes au-delà de 2050) mais estime que la croissance très forte de la demande d’électricité (au minimum son doublement), mais envisage une accélération du rythme de construction de nouvelles centrales qui conduirait le nucléaire à représenter de 18 à 30% des capacités de production (16 % aujourd’hui).
Tous ces scénarios ont des coûts financiers. Diminuer de moitié en 2050 les émissions de gaz carbonique par rapport à leur niveau actuel représenterait un investissement cumulé de 45 000 milliards de $ à l’échelle mondial (qui représente seulement 1,1% du PIB mondial…) mais avec de grosses incertitudes techniques sur certaines filières qui rendent difficile l’estimation du coût marginal de la tonne de carbone dont on éviterait l’émission. Pour le scénario Bleu, jaugée à l’aune de l’optimiste ou du pessimisme sur la réussite des paris technologiques la tonne de carbone se situerait dans une fourchette de 50 à 500 $ (les coûts les plus élevés correspondent aux techniques les plus ambitieuses et à celles qui permettent les réductions les plus importantes). Les nombreux obstacles qui subsistent ne peuvent être aplanis que moyennant un effort de R&D et de démonstration très important. Or, constate l’AIE, cet effort de recherche a baissé continûment dans presque tous les pays de l’OCDE jusqu’à la fin des années 1990 (sauf au Japon , en France il a peu varié)  et depuis lors il tend à stagner pour atteindre environ 10 milliards $ pour la R&D publique (environ 0 ,03 % du PIB dans la plupart des pays, 0,05% en France).Toutefois, selon notre propre estimation, l’effort de R&D public de la France serait de l’ordre de 1,5 milliard d’euros (avec une forte concentration sur le nucléaire d’environ 70%). Ce rapport de’AIE est dans une certaine mesure « conservateur » car il n’envisage pas que des ruptures scientifiques et techniques puissent changer la donne (leur impact, il est vrai, ne serait pas majeur avant vingt ou trente ans). L’AIE plaide pour une vision optimiste et volontariste des politiques énergétiques mais on se rend compte que les scénarios ambitieux ont peu de chances d’aboutir si les gouvernements n’engagent pas des paris sur l’avenir en donnant un coup d’accélérateur à l’effort de R&D.

Terminons par deux observations. La première est que si la limitation des gaz à effet de serre est un objectif mondial qui suppose des choix, en particulier technologiques, la technologie n’est pas tout: une modification des habitudes de consommation de l’énergie est nécessaire, en particulier dans les pays du G8 et, à terme dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil. La seconde est qu’un effort très important de R&D et de démonstration de nouvelles technologies devra être financé par les Etats mais aussi par les consommateurs. La proposition de taxer les émissions de gaz carbonique (mise en avant en France par Patrick  Criqui, Nicolas Hulot et Jean-Marc Jancovici notamment) est sans doute une solution mais elle est loin d’avoir recuilli un soutien politque suffisant.

                                                                                                                         

 

 


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