Scenarios énergétiques et changement climatique: on ne brade pas la tonne de gaz carbonique!

confrence_ama_fume_usine.jpgLa lutte contre le réchauffement du climat et le choix des filières énergétiques ont au moins un chantier commun: diminuer les émissions de gaz à effet de serre et en particulier de gaz carbonique. Les politiques publiques dans ce domaine ont besoin de nouveaux outils d’évaluation et de décision. L’un deux est l’estimation du coût de la tonne de gaz carbonique dont on veut éviter l’émission par différentes techniques. Un rapport récent vient de faire, en France, des recommendations intéressantes.

La lutte contre le réchauffement climatique est devenue dans de nombreux pays, du moins en Europe (en attendant que le prochain président américain s’en préoccupe…), l’un des leitmotivs des politiques gouvernementales. On sait, en particulier à travers les travaux du GIEC, que la limitation des émissions de gaz à effet de serre , et tout particulièrement du gaz carbonique, est une mesure clé pour limiter le réchauffement climatique; l’UE a d’ailleurs décidé de diminuer d’ici 2020 d’au moins 20 % ses émissions de gaz à effet de serre. Dans cette perspective, il est souhaitable de disposer d’outils économiques permettant d’éclairer les politiques publiques et d’évaluer le coût et l’avantage d’investissements publics permettant d’éviter les émissions d’une tonne de gaz carbonique. Ainsi, par exemple, s’agissant d’un projet de ligne de TGV qui permet d’économiser des carburants fossiles et donc de limiter des émissions de gaz carbonique on peut se poser la question suivante: son éventuel surcoût par rapport à un projet de construction d’une autoroute est-il inférieur au "coût " des émissions de gaz carbonique que le TGV va éviter? On conçoit donc que la valeur de la tonne de gaz carbonique soit un outil utile pour une politique publique de limitation du réchauffement climatique.

C’est à cette évaluation de la valeur de la tonne de carbone que s’est attaqué une commission du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) présidée par Alain Quinet, inspecteur des finances, mise en place après le Grenelle de l’environnement. Cette commission a publié, en juin, un très intéressant rapport (www.stratégie.gouv.fr) sur la " valeur tutélaire du carbone" , dans lequel elle propose un scénario pour l’évolution à l’horizon 2050 de la valeur de la tonne de carbone. Les conclusions antérieures d’une commision sur les "transports:choix des investissements et coûts des nuisances", présidée par Marcel Boiteux, ont été le point de départ des travaux de la commision Quenet du CAS. Le rapport Boiteux  avait recommandé, en 2001, de retenir une valeur de référence équivalente à 32 € en 2008 pour la tonne de gaz carbonique (la valeur actuelle sur le marché des permis d’émission est d’environ 25 €). Pour ses travaux la commission du CAS s’est appuyée sur des modèles économiques qui fournissent des ordres de grandeur de la valeur du carbone (c’est à dire du gaz carbonique) requis pour respecter des objectifs d’émission (par exemple diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre, un objectif retenu par la France et l’UE). Partant d’une valeur de 32 € en 2010, elle recommande de fixer à 100 € la valeur de la tonne de gaz carbonique à l’horizon 2030; cet objectif est relativement élevé mais il tient compte du caractère ambitieux des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au delà de 2030, le CAS propose de faire croître cette valeur au rythme du taux d’actualisation public soit 4% par an: cette valeur atteindrait ainsi 200 € en 2050. Le CAS souligne que la valeur à l’horizon 2050 est entachée d‘incertitudes inhérentes à l’éventualité de la conclusion de nouveaux accords internationaux succédant à l’actuel protocole de Kyoto ainsi qu’aux aléas de la mise au point de techniques pour limiter les émissions de gaz carbonique (celles de stockage souterrain du gaz carbonique par exemple, cf. notre dernière brève).  Aussi cette valeur à l’horizon 2050 est-elle encadrée dans une fourchette de 150 à 350 €.

Le rapport Stern, publié en 2006 au Royaume-Uni  sur l’évaluation du coût mondial de la lutte contre le réchauffement climatique (cf. Futuribles Olivier Godard, " Le rapport Stern un an après", 334, p.25, octobre 2007), a ouvert un débat sur la dimension économique de l’action internationale à engager pour lutter contre le changement climatique et le rapport du CAS est une utile contribution à ce débat car il propose un outil d’aide à la décision dans le domaine des politiques publiques visant à prendre en compte l’effet de serre. A cet égard, on lira aussi avec intérêt le dernier rapport de l’AIE "Energy technology perspectives 2008" que nous analyserons dans une future brève, qui propose plusieurs scénarios énergétiques à l’horizon 2050 et passe au crible 17 technologies clés qui devraient contribuer à limiter le réchauffement climatique. On observe ainsi que, selon l’AIE, le scénario baptisé Blue Map qui permettrait de limiter à environ 2°C le réchauffement de la planète à la fin du siècle (en divisant par deux en 2050 les émissions de gaz carbonique par rapport à leur niveau en 2005), impliquerait un ensemble considérable d’efforts technologiques (mise au point de nouveaux biocarburants, stockage du gaz carbonique, etc.) avec un coût de la tonne de gaz carbonique "économisée" qui se situerait dans une fourchette de 200 à 500 $ la tonne. Cette estimation est cohérente, à première vue,  avec les recommandations du rapport du CAS.

La question d’un prix à fixer aux émissions de gaz à effet de serre est une question politique qu’il ne sera plus possible d’éluder longtemps.


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