L’énergie et le climat: le stockage du gaz carbonique est-elle une solution ou une usine à gaz?

clathrate_1.jpg Toutes les filières qui utilisent l’énergie des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) ont le grave inconvénient de produire massivement du gaz carbonique  et elles contribuent ainsi au réchauffement du climat de la planète à travers l’effet de serre. Peut-on se débarasser du gaz carbonique en le stockant dans des reservoirs souterrains? C’est une question qui est souvent posée et à laquelle il faudra tôt ou tard répondre. 


 

 

Ce sont environ 28 milliards de tonnes de gaz carbonique qui sont rejetées chaque année aujourd’hui dans l’atmosphère par les systèmes énergétiques utilisant des combustibles fossiles. La prise de conscience de l’importance de l’enjeu climatique a conduit les chercheurs et les ingénieurs à imaginer des moyens techniques pour se débarasser de ce sous-produit de l’énergie qu’est le gaz carbonique. La première étape d’une telle entreprise consiste à séparer le gaz carbonique des effluents de la chaîne énergétique. On peut procéder à cette opération, soit avant l’utilisation d’un combustible comme le charbon lors d’une gazéification qui produit, notamment, de l’hydrogène et du gaz carbonique, soit en le récupérant à la sortie d’une centrale thermique. Dans les deux cas, on dispose, aujourd’hui, de techniques de séparation éprouvées: on peut dissoudre le gaz carbonique dans un  solvant organique (des amines) pour le séparer dans une seconde étape, on peut l’absorber dans des solides (zéolites, alumines) et ensuite le récupérer par désorption ou, enfin, par circulation à travers des membranes organiques ou inorganiques.

De nombreux travaux sont poursuivis par des chimistes et des physiciens pour tenter de synthétiser des nouveaux matériaux qui seraient capables de « filtrer » et de stoker le gaz carbonique qui se trouve dans les effluents d’une usine. Leur stratégie consiste à fabriquer des matériaux poreuxqui ont la forme de cages avec des orifices permettant de laisser passer les molécules de gaz carbonique et de les piéger à l’intérieur (par attraction électrostatique), les autres molécules n’y pénétrant pas ou s’en échappant. Bon nombre de ces solides ressemblent de près ou de loin à des zéolitesqui sont des matériaux naturels (des alumino-silicates) utilisées dans l’industrie pour filtrer des mélanges ou comme catalyseurs car ils ont un grand rapport surface/volume (cf. la figure). L’équipe du chimiste Gérard Férey de l’Institut Lavoisier (CNRS et Université de Versailles-Saint Quentin, http://www.irem.uvsq.fr/) a ainsi réalisé une percée remarquable en synthétisant des matériaux poreux (un téraphtalate de chrome baptisé le Mil 101) qui sont des hybrides de composés organiques et inorganiques connectés par des liaisons chimiques qui forment une matrice avec des cages dont le spores peuvent atteindre quelques nanomètres (le nanomètre est le millième de micron). Ces composés sont capables de séparer les gaz d’un mélange et de stocker soit de l’hydrogène soit du gaz carbonique (ils peuvent stocker 450 fois leur volume de gaz carbonique). Aux USA, une équipe de l’Université de Californie à Los Angeles (prof. Omar Yaghi) a obtenu également des matériaux avec une bonne performance de stockage (80 litres de gaz carbonique pour un litre de matériaux) mais inférieure, semble-t-il, à celle des matériaux versaillais. L’intérêt de ces matériaux est d’être réutilisables, le gaz carbonique stocké reflue lorsqu’on fait baisser la pression.

La seconde étape, la plus difficile, est l’opération de stockage ou de « séquestration » du gaz carbonique. Une fraction très notable (sans doute le tiers) du gaz carbonique émis dans l’atmosphère par combustion finit par être absorbée par l’océan après circulation dans l’atmosphère, et l’on peut tenter de « forcer » l’océan à en absorber davantage, en l’injectant massivement dans ses profondeurs (certains experts proposent de constituer de véritables lacs de gaz carbonique liquide au fond de l’eau, voire de déverser de la glace carbonique dans des fosses océaniques). Une telle entreprise, outre qu’elle nécessite de mettre en œuvre des grands moyens techniques, serait assez irresponsable dans la mesure où on ignore qu’elles pourraient en être les conséquences pour les écosystèmes d’un océan qui serait acidifié et celui-ci, d’ailleurs, finirait peut être par rejeter une partie du gaz qui y aurait été injecté ! Il reste alors l’injection du gaz carboniquedans les entrailles de la Terre, en particulier dans d’anciennes mines de charbon, des gisements de pétrole et de gaz en partie épuisés ou des aquifères salins. On sait stocker du gaz naturel dans des réservoirs souterrains, pour constituer des réserves, et techniquement l’opération de séquestration est tout à fait réalisable. Ces opérations coûtent de l’énergie ; elles diminuent d’environ 10% le rendement d’une centrale thermique et leur coût global n’est probablement pas inférieur à 20-30 € la tonne. Si l’on stockait le gaz carbonique à la sortie de centrales de production d’électricité, le surcoût du kWh serait particulièrement élevé avec les procédés utilisant des solvants chimiques (amines ou dérivés du glycol) : il serait de 36% avec des centrales utilisant des centrales à charbon gazéifié, de 42% pour celles au gaz naturel et de 86% pour celles fonctionnant avec du charbon « classique » (Estimations du projet sur l’énergie et le climat de l’université de Stanford). Pour l’instant les procédés utilisant le piégeage par des solides ne sont pas encore suffisamment au point pour que leur incidence sur les coûts de production de l’énergie puisse être chiffrée.  Il faut toutefois être conscient que les volumes en jeu sont considérables. Ainsi, si l’on voulait stocker ne serait-ce que 10% de la masse du gaz carbonique émis annuellement par les processus de combustion (soit 2,8 Gt), il faudrait alors injecter un volume de 6Gmétres cubes de gaz dans des réservoirs après l’avoir au préalable comprimé. On extrait, aujourd’hui, 4 Gtep de pétrole chaque année représentant un volume de 5 Gmétres cubes. On remplacerait pratiquement le volume de pétrole extrait des gisements par un volume équivalent mais qui ne représenterait, lui, que le dixième des émissions annuelles de gaz carbonique.  On pourrait encore densifier le gaz carbonique par une plus forte compression mais cette opération coûterait aussi de l’énergie. Les géologues estiment qu’il existe des possibilités de stockage souterrain suffisantes dans des formations géologiques (gisements pétroliers ou gaziers, anciennes mines de charbon, aquifères salins) dont ils évaluent à environ 1000 Gt de gaz carbonique les capacités de stockage. Ce stockage est techniquement possible mais on doit étudier chaque réservoir au cas par cas, afin d’éviter qu’à long terme un dégazage ne se produise car celui-ci pourrait avoir des conséquences locales catastrophiques. Toutes ces opérations de séparation à la source du gaz carbonique, de compression et d’injection ont un coût énergétique non négligeable(il est probablement de l’ordre de 20 à 30$ la tonne de gaz carbonique) et elles n’auraient de sens que si une taxe sur les émissions de carbone était imposée de façon quasi-universelle. La compagnie norvégienne Statoila procédé à une telle opération de séquestration (au niveau de 1 million de tonnes de gaz carbonique par an produits par un gisement) dans une couche poreuse de sable à une profondeur comprise entre 500 et 1500 m sous le fond de l’océan Atlantique ; elle a ainsi économisé une taxe sur le carbone, instituée en Norvège, au niveau de 40 € par tonne émise.

La séquestration du gaz carbonique si elle était entreprise à l’échelle mondiale serait sans doute une technique Gargantuesque pour reprendre la formule d’un article du magazine Nature (Q.Schiermeier "Putting the carbon back" , 442, p.620, 10 August 2006), car il faudrait déployer sur le sol ou sur des plate-formes en mer des infrastructures pour le stockage provoire et l’injection du gaz sous pression dans des reservoirs souterrains ou sous-marins de même nature que ceux utuilisés pour l’extraction du petrole ou du gaz naturel ou dans des aquifèresSi cette aventure n’est probablement pas réalisable à l’échelle de la planète pour tous les systèmes énergétiques utilisant des combustibles fossiles, elle pourrait contribuer, en revanche, à diminuer les émissions massives et bien localisées de gaz à effet de serre par de grandes centrales thermiques et des usines de gazéification du charbon,dans l’hypothèse où une forte taxation des émissions de gaz carbonique serait appliquée à l’échelle mondiale ce qui rentabiliserait ces opérations. Il faudrait éviter toutefois que ces systémes de stockage ne deviennent une véritable "usine à gaz"!

En France, un récent et très intéressant rapport du Comité d’Analyse Stratégique (http://www.strategie.gouv.fr/) sur la « Valeur tutélaire du carbone » a évalué à partir de modèles économiques la valeur optimale de la tonne de gaz carbonique qui imposerait une contrainte dissuasive sur les émissions de gaz à effet de serre (des investissements sur de systèmes énergétiques permettant d’éviter les émissions de gaz carbonique seraient alors rentables). Le rapport recommande de fixer à 100 € en 2030 la tonne de gaz carbonique émise à partir d’un seuil de 32 € en 2010 (elle est actuellement de 25 à 30€), soit une augmentation annuelle de 4%. En 2050, la tonne de gaz carbonique devrait) être fixée à 200 € la tonne. Cette recommandation serait compatible avec les objectifs européens de voir limité à 2°C le réchauffement moyen de la planète entre la fin du siècle et les débuts de l’ère industrielle. Si les objectifs de ce rapport étaient respectés, le stockage du gaz carbonique serait économiquement rentable d’ici 10 à 15 ans.

La séquestration du gaz carbonique est une technique sur laquelle il faut garder un œil, elle progressera probablement dans les dix ans à venir.  Il ne faut pas attendre de miracles énergétique et climatique de la part de telles techniques dont la mise en œuvre, qui est loin d’être facile, n’aura de sens que si l’on instaure une taxe sur les émissions de gaz carbonique.

 


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