L’hydrogène: une solution d’avenir pour l’énergie ou bulle médiatique?

energie_logo_h2.jpgLa filière hydrogène est à l’ordre du jour depuis de nombreuses années. Jules Verne lui même dans l’île mystérieuse n’envisageait-il pas que l’eau puisse être ,un jour, utilisée comme carburant car ses constituants l’hydrogène et l’oxygène seraient une source inépuisable de lumière et de chaleur? L’hydrogène s’expose d’ailleurs à Paris au Palais de la découverte qui a ouvert un nouvel "espace hydrogène"  où démonstrations et panneaux tentent de répondre à la question: l’hydrogène une solution d’avenir (www.palais-decouverte.fr) ?


 

 Depuis une dizaine d’années, l’hydrogène a été l’objet d’une véritable croisade, relayée par les media, en particulier de l’autre côté de l’Atlantique, pour promouvoir une « économie de l’hydrogène » qui serait appelée à remplacer, dans une certaine mesure, le dispositif industriel mis sur pied, depuis un siècle, pour produire à partir du pétrole des carburants destinés aux transports. Il est donc utile d’ouvrir son dossier technique.L’hydrogène est le plus simple des composés moléculaires (deux atomes d’hydrogène dans la molécule) mais, si l’on excepte sa présence à très faible concentration dans l’air, il a la particularité de ne pas exister à l’état libre sur Terre : il est un constituant de l’eau, on le trouve lié au carbone dans les hydrocarbures, dans le charbon et les composés moléculaires de la biomasse. L’hydrogène à l’état pur n’est pas une ressource énergétique, et il ne constitue donc pas une réponse directe à la question énergétique. Il faut également préciser que si l’hydrogène possède un pouvoir énergétique gravimétrique relativement élevé (120 MJ/kg au lieu de 45 MJ/kg pour le pétrole), à température et pression ordinaires il se trouve à l’état gazeux avec une très faible densité. On ne peut le liquéfier, et donc le densifier, qu’à très basse température (-253° C), ce qui est un inconvénient majeur pour son stockage. Bref, pour reprendre le titre d’un éditorial du magazine américain Science (305, p.957, "Towards a hydrogen economy", 13 August 2004), l’économie de l’hydrogène « ce n’est pas si simple ».  On se trouve en fait devant un double problème : celui de la production de l’hydrogène et celui de son utilisation (on lira avec intérêt le livre de Thierry Alleau, L’hydrogène, énergie du futur? EDP Sciences, 2007).

Commençons par le second qui n’est pas le plus sipmle. On peut évidemment brûler de l’hydrogène dans un moteur thermique classique mais, outre que cette opération n’est pas sans danger, ce n’est pas l’option la plus intéressante, ne serait-ce que parce que, notamment, il faut stocker l’hydrogène sous forme liquide dans un réservoir d’automobile ce qui est coûteux (BMW et GM proposent des prototypes de voiture de ce type). La solution, préconisée depuis longtemps, est de produire de l’électricité à partir d’une pile à combustible en utilisant de l’hydrogène comme combustible: on convertit, par exemple,  de l’hydrogène et de l’oxygène en eau en produisant de l’électricité qui peut alimenter un moteur électrique. Evidemment, le processus de conversion dans la pile ne se déroule pas en un tournemain et celle-ci est un ensemble complexe constitué par un électrolyte placé entre deux électrodes poreuses contenant un catalyseur (en général le platine). L’hydrogène est introduit à l’anode à partir d’un réservoir et l’oxygène (prélevé dans l’air) arrive à la cathode. L’hydrogène perd ses électrons à l’anode et ceux-ci alimentent le circuit électrique externe ; privé de leur électron les atomes d’hydrogène (réduits à un proton) traversent l’électrolyte (qui peut être une membrane) pour se recombiner à la cathode avec les électrons qui ont accompli leur tournée électrique et l’oxygène pour former de l’eau. La pile fournit du courant électrique mais aussi de la chaleur dégagée par la réaction. Le système a deux avantages : il a un très bon rendement électrique (de 35 à 60% suivant la nature des piles) et il ne produit pas de gaz carbonique. La pile utilisant un électrolyte qui est une membrane polymérique a l’avantage de fonctionner à température relativement basse (80°C environ) mais il présente l’inconvénient, jusqu’à nouvel ordre, d’utiliser comme catalyseur le platine qui est un métal précieux et coûteux (il faut aujourd’hui 1g de platine pour produire un kW). Cette filière est la plus prometteuse pour les transports. D’autres modes de fonctionnement ont été proposés et utilisés:  des piles utilisant un électrolyte alcalin fonctionnant entre 120 et 250°C (elles équipent des engins spatiaux), d’autres de l’acide phosphorique ou des carbonates fondus (à température de 650°C), des céramiques qui sont des oxydes (elles exigent des températures élevées de 800 à 1000° C). Une alternative consiste à remplacer dans la pile l’hydrogène par du méthanol, cette pile a l’inconvénient de produire du gaz carbonique ; son utilisation est envisagée dans les ordinateurs et les téléphones portables pour remplacer les batteries.  

 Les piles à combustible peuvent être utilisées soit pour alimenter le moteur électrique de véhicules, soit dans des installations fixes pour fournir à la fois de l’électricité et de la chaleur (par exemple dans les immeubles) avec des puissances de quelques milliers de kW. Le rendement global du couple pile à combustible-moteur électrique peut atteindre 50 à 60% soit le double de celui d’un moteur thermique. Il subsiste au minimum deux problèmes techniques très sérieux : l’utilisation d’un catalyseur et le stockage de l’hydrogène. Le catalyseur est indispensable sur les deux électrodes pour oxyder l’hydrogène puis pour le combiner avec l’oxygène sur les deux électrodes. Il doit présenter une grande surface d’interaction et c’est tout l’intérêt du platine et des métaux rares qui sont de très bons catalyseurs industriels. Dans les piles à combustible on utilise des agglomérats de nanoparticules de carbone avec un revêtement de platine; il est possible de remplacer le platine par du palladium ou du rhodium qui sont aussi des métaux rares, moins coûteux, mais qui sont aussi moins efficaces. Une alternative a été proposée, en 2006, par des chercheurs de Los Alamos aux USA, elle consisterait à utiliser à la place des métaux rares des composés organiques (le polypyrole) à base de cobalt. Cette solution permettrait de remplacer le platine à la cathode mais, semble-t-il, avec une moindre efficacité  Il reste clairement un verrou technologique à faire sauter si l’on veut éviter l’utilisation de métaux précieux comme catalyseurs et donc abaisser sensiblement le coût de fabrication des piles. En revanche, les membranes électrolytiques de type polymérique qui permettent le transit des protons ainsi que celui de l’eau produite à la cathode sont au point, mais il faut éviter que l’eau bloque les pores de la membrane (elle les lubrifie et favorise le transit de l’hydrogène) ou la détériore (en cas de gel ou de surchauffe…). Si on utilise directement de l’hydrogène on doit résoudre le problème de son stockage.  Le stocker à l’état liquide pose un sérieux problème car on consomme environ le tiers de son contenu énergétique pour le liquéfier et il faut le conserver à très basse température dans des réservoirs cryogéniques (ce que l’on fait dans les fusées où il est vite consommé). Il reste la solution du stockage à l’état gazeux mais il faut être conscient que l’hydrogène a un très large  domaine d’inflammabilité (de 4 à 75% en volume) avec  une très faible énergie d’inflammation; très léger, il diffuse facilement et peut ainsi fragiliser les parois de containers métalliques. Son stockage n’est donc pas sans risque : en cas de fuite, il peut provoquer une explosion. On peut envisager stocker l’hydrogène gazeux dans un solide poreux (des hydrures métalliques, des nanotubes de carbone, des zéolites) en utilisant, en quelque sorte, des éponges à hydrogène, mais cette solution est peu pratique car d’une part, on immobilise une masse importante et, d’autre part, elle nécessiterait un dégazage rapide et continu du solide pour alimenter le moteur. Le seul stockage réaliste possible est donc dans des réservoirs à très haute pression (700 bars) qui seront lourds et volumineux  (plusieurs autobus testent des piles à combustible dans des villes européennes, à Madrid notamment, l’hydrogène y est stocké sur le toit). 

Il reste maintenant le problème amont : la production de l’hydrogène et subsidiairement sa distribution  Si l’on exclut son extraction de l’air, très coûteuse, il reste plusieurs voies avec des techniques qui, pour la plupart, sont éprouvées : l’électrolyse de l’eau, la production à partir de la biomasse ou du gaz naturel, la gazéification du charbon. L’électrolyse de l’eau semble a priori satisfaisante si l’on veut utiliser une matière première renouvelable sans produire de gaz à effet de serre. C’est l’opération inverse de celle mise en œuvre dans une pile à combustible. Si l’on veut éviter d’utiliser de l’électricité produite, avec un mauvais rendement, à partir de combustibles fossiles, il faut alors recourir soit à l’électricité nucléaire dans des grandes installations, soit à l’énergie éolienne ou solaire pour de petites unités locales. Une production massive d’hydrogène par électrolyse sans recours à des combustibles fossiles, suppose donc l’utilisation de l’électricité nucléaire ce qui ouvre, évidemment, le débat sur le nucléaire. Il reste, bien sûr, les voies « classiques » de la gazéification à l’aide d’une thermochimie à haute température utilisant, avec de la vapeur d’eau, une matière première qui peut être le gaz naturel, le charbon ou la biomasse. L’utilisation des combustibles fossiles pour produire l’hydrogène ne serait pas un réel substitut aux énergies non renouvelables et elle aurait aussi l’inconvénient de laisser un « sous-produit » de gazéification, le gaz carbonique, qui est un gaz à effet de serre. On peut remplacer le charbon et le gaz naturel par de la biomasse et produire de l’hydrogène en réalisant d’abord une thermolyse de la biomasse (on la décompose par la chaleur), puis en la gazéifiant avec de la vapeur d’eau à haute température; ce type de procédé est au point mais il a encore l’inconvénient de produire aussi, comme « déchet », du gaz carbonique. On n’attend peu de progrès de tous les procédés de production de l’hydrogène sauf à imaginer réaliser l’électrolyse de la vapeur d’eau à très haute température, en utilisant à la fois la chaleur et l’électricité produites par de futurs réacteurs nucléaires fonctionnant à très haute température. Il restera, enfin, à distribuer l’hydrogène à un réseau de stations services pour que les automobilistes fassent le plein, cela suppose la construction de réseaux de gazoducs pour alimenter en gaz des stations ce que les industriels savent faire; la distribution, en revanche, sous forme liquide par des canalisations ne serait pas praticable car, outre qu’il suppose une liquéfaction coûteuse en énergie, il entraînerait des pertes en ligne très importantes.

La filière hydrogène, on le voit, se heurte à des obstacles majeurs: la production du gaz et son utilisation dans des piles à combustible dans des bonnes conditions économiques. Cela ne semble pas inquieter outre mesure les partisans de la filière. Ainsi, si l’on en croit les conclusions du projet de recherche européen, Hyways, financé par le sixième Programme-cadre européen de l’UE (http://ec.europa.eu/research/energy:nn/nn_pu/hyways), l’hydrogène serait le vecteur énergétique de l’avenir pour les transports routiers: il pourrait y réduire de 40% la consommation de pétrole en Europe d’ici 2050. Selon les simulations optimistes de Hyways, le seuil de rentabilité de la filière serait atteint entre 2025 et 2035 avec 16 millions de voitures roulant à l’hydrogène; les investissements cumulés représenteraient 60 milliards €. Les promoteurs de Hyways proposent un scénario mixte avec des flottes de véhicules purement thermiques, à piles à combustible ou hybrides (électricité et thermique). Leur mise en service suppose un système de production et de distribution de l’hydrogène. La filière ayant pour objectif d’éviter les émissions de gaz carbonique, la production devrait être accompagnée de mesures de "séquestration" du gaz carbonique dans des formations géologiques ce qui est encore techniquement aléatoire et surtout coûteux (20-30 € la tonne?). Hyways reconnait que c’est un point " critique"  du scénario, aussi propose-t-il une alternative en cas de difficulté: la production des trois quarts de l’hydrogène à partir d’une électricité d’origine éolienne ce qui paraît peu réaliste (le recours au nucléaire semblant a priori exclu…). Hyways table sur une réduction considérable des coûts de production des piles : un objectif de 50 € /kW en 2030 ce qui représenterait une réduction d’un facteur 100 par rapport aux coûts actuels…

La filière hydrogène a l’avantage indéniable que son utilisation dans les moteurs (thermiques ou électrique avec piles à combustible) ne produit pas de gaz carbonique (le moteur émet de l’eau) , elle est donc un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique. Toutefois, les solutions proposées pour la production de l’hydrogène ont toutes un "prix climatique" (il faut utiliser le charbon ou le gaz naturel) : la filière ne tiendrait la route que si l’hydrogène était produit avec de l’électricité nucléaire ou si l’on stockait massivement le gaz carbonique après gazéification du charbon. Des ruptures scientifiques ou techniques sont-elles encore possibles? Des surprises pourraient venir soit du côté de nouveaux  procédés de production de l’hydrogène par photolyse de l’eau (décomposition par la lumière solaire ce qui supposerait, encore, la mise au point de catlayseurs) , soit de l’utilisation de bactéries et de microalgues sous l’action de la lumière (des expériences de ce type sont présentées au Palais de la découverte).

A moins de ruptures scientifiques et techniques majeures, il semble bien que la filière hydrogène ne sera pas une réponse à la question énergétique et qu’elle risque de rester une utopie scientifique et économique.


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