Un scénario énergétique à 2030 pour la France:le dur chemin de Grenelle à Kyoto

Image00014.pngLa France produit tous les quatre ans à la demande de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) un scénario énergétique à l’horizon 2020-2030. Ces scénarios nationaux permettent à l’Agence d’actualiser ses propres scénarios de ses Word Energy Outlook. Le 2 avril dernier, la DGEMP (Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières) a ainsi publié le tout nouveau scénario français qui est riche d’enseignements.

Dans le langage technique des prévisionnistes, cette prévision à l’horizon 2020-2030 est un scénario énergétique de "référence à caractère tendanciel" (Business as usual en anglais) qui représente, selon les termes mêmes de la DGEMP, ce que deviendrait la situation énergétique de la France " si aucune politique ou mesure nouvelle, autres que celles déjà en place ou décidées au 1 janvier 2008 (donc, en particulier, avant les mesures issues du "Grenelle de l’environnement "), n’était prise affectant cette situation (ni pour l’améliorer, ni pour la dégrader)". Ce nouveau scénario de la DGEMP (qui dépend du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du territoire: www.industrie.gouv.fr/energie/prospect/pdf/scenario-2008/.pdf ) réalisé avec l’Observatoire de l’énergie utilise une étude macroéconomique d’un bureau d’études, le BIPE, de données de l’Institut Français du Pétrole (IFP), de la société Enerdata de Grenoble et de RTE (réseau de transport de l’électricité). Ce scénario suppose un taux de croissance annuel de 2,1% du PIB de la France, une poursuite de sa croissance démographique (67,2 millions d’habitants en 2030) avec 31,6 millions de ménages (contre 25,4 en 2005) . Il table sur une stabilité des prix de l’énergie (un pétrole à 70$ le baril). Ce scénario, rappelons le, ne tient pas compte de mesures qui pourraient être prises en application du Grenelle de l’environnement (il peut d’aillleurs contribuer à évaluer les efforts que va nécessiter sa mise en oeuvre); il suppose que les mesures de restriction des émissions de gaz à effet de serre prises en application du protocole de Kyoto de 1997 (qui "court" jusqu’en 2013), seraient poursuivies après 2012 en "tendanciel" (on continue avec la même logique).

Quels sont les enseignements de cet intéressant exercice prévisionnel? On constate d’abord que la tendance à la croissance des consommations d’énergie primaire et finale va se poursuivre en France: de 275 Mtep en 2006, la consommation primaire passerait à 326 Mtep en 2030 soit avec un rythme annuel de 0,7% (contre 1,4% sur la période 1990-2003). On observe ensuite que cette consommation d’énergie primaire aurait les caractéristiques suivantes: un tassement de la consommation du pétrole, une progression très forte de celle de gaz (presque un doublement), une forte progression de l’électricité primaire. La consommation finale d’énergie (calculée en tenant compte des transformations de ressources pour produire, par exemple, de l’électricité et des carburants) suit évidemment ce rythme (216 Mtep de consommation finale en 2030 avec une forte progression de l’électricité. On observe aussi une forte progression des consommations des secteurs résidentiel et tertiaire et des transports (ce dernier passant de 50,9 Mtep à 64,3 Mtep).

Les experts font plusieurs hypothèses sur la production d’énergies renouvelables sous forme électrique et  thermique. On note ainsi dans ce scénario une très notable progression de l’éolien qui passerait en puissance installée de 1400 MW en 2006 à 20 000 MW en 2030, une progresion certes forte du solaire mais à un niveau total qui resterait marginal (on passerait de 54 MW à 600 MW) ainsi qu’une progression substantielle du bois tant pour la production d’électricité que de chaleur (12 Mtep pour le chauffage au lieu de 8, 8 Mtep en 2006 et 4 Mtep pour l’électricité  contre 1,43 en 2006); la géothermie profonde et les énergies de la mer resteraient marginales. Les biocarburants, quant à eux, verraient leur taux d’incorporation (évalué en pouvoir calorifique) passer de 1,75% en 2006 à 10% en 2030.On observe aussi que ce scénario table sur un maintien global de la puissance installée du nucléaire (65,4 GW en 2030 au lieud de 63,3 GW aujourd’hui), la part du nucléaire passant dans la consommaition finale d’électricité de 81% à 77%. Ce scénario implique une très forte progression de nos importantions de gaz naturel qui passeraient de 44 milliards de mètres cubes aujourd’hui à 78 milliards en 2030, mais il prévoit aussi une forte tension sur la production par les raffineries de gazole et de kéroséne (presque un triplement pour celui-ci).

Un point noir de ce scénario tendantiel est incontestablement la prévision des émissions de gaz à effet de serre et tout particulièrement de gaz carbonique : celles-ci progresseraient à un rythme annuel de 0,5% par an d’ici 2030, la production d’électricité et les transports étant les principaux responsables de cette progression (les émissions du secteur résidentiel et tertiaire se tassant légèrement).
Quelles conclusions peut-on tirer de ces "prévisions"? Si l’intensité énergétique (la quantité d’énergie nécessaire à la production de 1 € de PIB) continue à baisser (à un rythme de 1,2% par an contre seulement 0,3% par an sur la période 1990-200) ce qui est positif, on perçoit bien plusieurs point noirs : – les émissions de gaz carbonique par la production d’électricité (non nucléaire et avec les renouvelables) et celles provenant de la progression de la consommation des carburants pour les transports ne permettront pas à la France de tenir ses engagements de limitation d’émission de gaz à effet de serre (ce scénario ne prend pas en compte un éventuel stockage du gaz carbonique émis par les centrales thermiques) – les prévisions pour les énergies renouvelables sont en dehors de l’épure européenne (dans son plan pour l’énergie l’UE prévoit que les énergies renouvelables devraient représenter 23% de la consommation finale en 2020 en France alors que nous serions à 13,4%). C’est certainement dans les secteurs de l’habitat, des transports et de la production d’électricité qu’il faut faire porter les efforts sur les modes de production et les économies (il existe sans doute des marges dans l’habitat et les transports). On peut, en revanche, s’interroger sur le caractère réaliste de la prévision sur l’utilisation des biocaburants (10% de la consommation pour les transports).

Le scénarios ne sont pas une photographie de la réalité de demain que personne ne peut d’ailleurs fournir (ils ne permettent de prévoir ni des ruptures techniques qui de tout façopn n’auraient pas d’impact majeur avant 2030, ni des "crises"), mais ils ont le mérite de bien mettre en évidence les difficultés que nous alons rencontrer sur le chemin de Grenelle à Kyoto….


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