L’avenir des biocarburants en question: quel impact climatique?

Les biocarburants considérés jusqu’à présent comme une solution potentiellement importante pour l’après-pétrole (ils sont sensés émettre moins de gaz à effet de serre que l’essence ou le gazole et ils sont produits à partir d’une ressource renouvelable) sont aujourd’hui mis sur la sellette par de nombreux experts qui mettent en question leur impact supposé favorable sur le climat. L’Union Européenne, on le sait, a proposé, en janvier dernier, un plan d’action pour l’énergie qui prévoit ,notamment , que l’Europe utilise, à l’horizon 2020, 10% de biocarburants dans les transports. Cet objectif ambitieux est aujourd’hui contesté par de nombreux experts et par des Etats membres de l’UE. 

Qu’en est-il exactement ? Le premier point en débat est la rentabilité énergétique des biocarburants : récupère t-on plus d’énergie en utilisant comme carburant un litre bioéthanol ou de bioester que l’on en a mis au total pour les produire? La majorité des experts du domaine (par exemple en France ceux de l’ADEME) s’accordent à penser que la réponse est positive. Il faudrait dépenser, en France, 0,49 Joule d’énergie fossile pour produire  un Joule d’éthanol à partir de biomasse (du maïs ou de la betterave), le bilan étant légèrement plus favorable pour le biodiesel. La canne à sucre étant imbattable pour le rendement énergétique de la filière des biocarburants (les rendements de production à l’hectare étant très élevés au Brésil par exemple). En fait c’est l’avantage "climatique" des biocarburants qui est surtout en cause et l’objet de controverses. On semblait admettre jusqu’à présent qu’en substituant des biocarburants à des carburants d’origine fossile (essence ou gazole) on diminuerait fortement les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, en particulier le gaz carbonique, par les transports: les biocarburants renvoient dans l’atmosphère le gaz carbonique qui y a été prélevé pour assurer la croissance des plantes utilisées pour les produire (le maïs par exemple). Il faut certes tenir compte des émissions de gaz carbonique, et de méthane, qu’occasionnent la culture des plantes (les engrais, le gazole des tracteurs, etc.) mais le bilan ‘climatique" de la filière était considéré par beaucoup d’experts comme favorable… jusquà ce que certains d’entre eux procédent à une analyse très fouillée des entrées et sorties de gaz à effet de serre de la filière en analysant tous les écosystémes qui entrent en jeu dans une filière (la transformation d’un sol pour le mettre en culture) ainsi que les paramétres agricoles pour chaque culture (du maïs par exemple).  Ainsi en Europe, un rapport commandé par le gouvernement suisse à un institut fédéral sur l’énergie et les matériaux à Saint Gall (R. Zah Ökobilanz  von energieprodukten, Empa, St Gallen Suisse, 2007) estime que sur les  26 biocarburants qu’ils ont étudiés, la majorité d’entre eux produisent au minimum 30% de gaz à  effet de serre  en moins que l’essence mais que l’impact environnemental global de la grande majorité d’entre eux serait supérieur à celui des carburants fossiles si l’on tient compte de toutes les opérations en amont pour cultiver la biomasse (déforestation éventuelle au Brésil, par exemple, pour cultiver de la canne à sucre, impact sur les sols, etc.).

Deux études américaines publiées récemment dans le magazine Science procédent à une analyse encore plus fine de l’impact climatique des biocarburants  (J.Fargione et al. " Land clearing and the biofuel debt ", Science, 319, p. 1235, 29 Februray 2008, et T. Searchinger, "Use of US croplands for biofuels increases greenhouse gases through emissions from land-use changes", Science , 319, p. 1238, 29 February 2008). Les chercheurs américains partent du principe simple suivant: pour que l’utilisation d’un biocarburant soit bénéfique pour le climat, il est nécessaire que la masse de carbone (c’est à dire le gaz carbonique) fixée sur le sol par une culture  végétale (le bioéthanol produit à partir du maïs qui a prélevé du gaz carbonique dans l’atmosphère par exemple) qui sert à le produire pour remplacer un carburant d’origine fossile (de l’essence par exemple) doit dépasser celle stockée dans un sol et qui est relâchée directement ou indirectement dans l’atmosphère lorsqu’on va changer l’utilisation de ce sol pour y cultiver la biomasse destinée à la production de biocarburant. Si cette condition n’est pas satisfaite, le recours à un biocarburant contribuera davantage à l’effet de serre qu’un carburant produit à partir du pétrole. Autrement dit, il existe "une dette carbone" pour chaque biocarburant dont la valeur dépend de son origine, c’est à dire du sol où elle est produite. La première étude américaine que nous avons citée calcule ainsi les dettes carbone (c’est à dire la quantité de gaz carbonique émise par hectare lorsqu’on utilise un sol pour produire un biocaburant) pour neuf types de biocarburants et elle met ainsi en évidence des différences considérables d’une culture à une autre. Il va de soi qu’un maïs cultivé depuis plusieurs décennies sur un sol agricole et qui est converti en bioéthanol au lieu d’être consommé à des fins alimentaires (sous forme de corn flakes ou d’aliment pour le bétail) a déjà remboursé sa dette carbone et que son utilisation comme biocarburant émet moins de gaz carbonique que de l’essence, mais la situation est très différente pour d’autre cultures. Si l’utilisation de prairies pour cultiver des herbes pour produire de l’éthanol est pratiquement neutre, elle représente une dette carbone négligeable, en revanche les dettes carbones de biocarburants produits à partir d’espèces végétales cultivées sur des sols récupérés sur des terres occupées par des forêts tropicales, des terres en jachère depuis longtemps et des zones marécageuses serait très importante: cette dette serait de 17 ans pour le bioéthanol produit à partir de canne à sucre cultivée sur des terres provenant de la mise en culture du Cerrado  au Brésil (une zone herbeuse et broussailleuse de 2 millions de kilomètres carrés), de 48 ans pour le bioéthanol produit avec du maïs cultivé sur d’anciennes terres agricoles abandonnées…. et de 423 ans pour le biodiesel extrait d’huile de palme produite à partir de palmiers cultivés sur d’anciennes forêts tropicales en zones marécageuses en Indonésie et en Malaisie. Autrement dit ce n’est qu’au bout de 17, 48 et 423 ans que l’utilisation de ces biocaburants serait moins nocive pour le climat que l’essence ou le gazole!  Les calculs d’impact carbone (les émissions de gaz carbonique) des chercheurs américains tiennent compte de la quantité totale de gaz carbonique émis par les sols utilisés pour une culture par émission de gaz carbonique stocké dans les sols, décomposition microbienne de la matière végétale des sols, les brûlis sur les sols (racines, tiges feuilles, etc). La seconde étude américaine citée propose un diagnostic semblable en comparant les émissions de gaz carbonique aux différents stades de production et d’utilisation de carburants: de l’essence au bioéthanol.produit à partir de sols différents. Ils utilisent à cette fin un modèle agricole mondial pour estimer les émissions de gaz à effet de serre (méthane, gaz carbonique, etc.) émis lorsqu’on change l’usage d’un sol (par exemple en procédant à une déforestation pour cultiver du maïs). On retrouve en quelque sorte une "dette carbone" d’un biocaburant. Ainsi, un bioéthanol produit à partir de maïs sur des terres qui ont été converties aux USA pour produire ce maïs émettront deux fois plus de gaz carbonique pendant trente ans qu’un carburant fossile si l’on tient compte du coût carbone de la conversion (c’est pendant les premières années que les émissions de carbone par les terres reconverties sont les plus importantes) et la dette carbone ne serait apurée qu’au bout de 167 ans! La situation de la canne à sucre au Brésil est plus avantageuse: cultivée sur des grandes prairies tropicales la canne à sucre léguerait au biothanol  une " dette carbone" qui serait payée seulement au bout de quatre ans, en revanche elle ne serait apurée qu’au bout de 45 ans si la canne à sucre était cultivée sur des terres récupérées sur des forêts tropicales.

Ces études vont bien évidemment  être contestées par d’autres experts, mais elles ont le mérite de mettre au grand jour les questions que  va inéluctablement poser l’utilisation des biocarburants. Un rapport d’un comité spécial sur l’environnement de la Chambre des Communes à Londres, publié en janvier dernier, tirait d’ailleurs un signal d’alarme politique sur la politique suivie en Europe dans ce domaine. On sait aussi (cf. notre brève sur ce sujet) que les USA mettent un accent très fort sur la filière des biocarburants, poussés sans doute par les lobbies agricoles.On peut résumer le débat en deux points. On peut admettre que le transfert d’une production agricole de maïs ou de blé par exemple, cultivée de longue date sur des terres agricoles à des fins alimentaires vers la production de bioéthanol a un impact positif sur l’effet de serre: les émissions de gaz carbonique seront inférieures d’environ 20%  à celle d’un carburant fossile, mais alors on doit faire un arbitrage entre les usages alimentaires et énergétiques d’une production agricole. On réalise bien que cet arbitrage sera difficile dans un monde dont les besoins alimentaires vont aller en croissant et la montée des prix agricoles depuis trois ans ne fait que réfléter ces tensions entre l’offre et la demande (les récoltes de blé dans certains pays comme l’Australie ont, il est vrai, été mauvaises). Ces transferts vers des usages énergétiques des produits agricoles ont toute chance de s’effectuer au détriment des pays les plus pauvres, c’est une autre donnée "géopolitique" de la question des biocarburants qui est loin d’être négligeable. Un récent rapport sur les perspectives de la recherche agricole mondiale, préparé sous la responsabilité de plusieurs agences de l’ONU dont la FAO, et de la Banque mondiale www.agassessment.org) , a émis des sérieux doutes sur la pertinence de la politique suivie dans le domaine des biocarburants (du moins pour la filière actuelle) qui risque d’avoir de fortes répercussions sur l’alimentation dans certaines régions du monde, notamment en Amérique latine. Mais on se rend bien compte que les plans européens et américains de développement de l’utilisation des biocaburants nécessitent la mise en culture de terres nouvelles (terres en jachère, prairies agricoles, zones de forêt, etc.) et c’est là que doivent intervenir les bilans très serrés d’impact climatique (en gros le bilan gaz carbonique ou d’autre gaz à effet de serre) de conversion d’usage des sols. Les études suisse et américaines montrent que jusqu’alors les calculs étaient incomplets et qu’il est nécessaire de réexaminer complétement, sur ces bases, le plaidoyer en faveur des biocarburants.

L’utilisation énergétique des biocarburants dits de première génération (l’éthanol ou le bioester produits à partir de blé, de maïs, de colza, de canne à sucre, etc.) n’est sans doute pas la solution d’avenir pour lutter contre le réchauffement climatique et remplacer le pétrole. C’est pourquoi la filière ligno-cellulosique qui utilise des déchets végétaux ou des herbes à pousse  rapide est probablement plus satisfaisante à condition de trouver des procédés rentables pour une utilisation de la cellulose et de la lignine (il faut trouver notamment des enzymes adaptées). A plus long terme, il faut sans doute parier sur des percées scientifiques et techniques pour trouver d’autre filières, notamment à partir du génie génétique. D’où l’importance de laisser ouverte l’option des OGM (cf. notre brève sur les biocarburants et les OGM). Le débat sur les biocarburants ne fait que commencer!


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