L’énergie aura été en permanence à l’ordre du jour en 2007 : agenda énergétique pour l’Europe, rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) mettant en évidence le rôle des combustibles fossiles dans le réchauffement climatique (le Nobel de la paix a donné une légitimation internationale à ses travaux), conférence de Bali sur le climat, Grenelle de l’environnement, débats sur le nucléaire iranien et propositions de la France d’une coopération nucléaire avec plusieurs pays arabes, montée continue du prix du baril de pétrole vers les 100 $ (atteints le 2 janvier !). Clin d’œil de l’histoire, enfin, un décret a mis fin, le 31 décembre, à l’existence des Charbonnages de France, mettant ainsi un terme (provisoire?) à la grande entreprise industrielle et humaine que fut, en France, l’exploitation du charbon. Quels enseignements peut-on tirer pour l’avenir de ces événements et abordons nous 2008 avec une meilleure connaissance des défis auxquels la question énergétique est confrontée ?
Il nous faut d’abord prendre en considération l’une des affirmations majeures du quatrième rapport du (GIEC), publié sous sa forme définitive le 17 novembre 2007 et qui a été amplement discuté, en décembre à Bali, lors de la conférence des parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques : « le réchauffement du système climatique est sans équivoque comme il ressort d’évidences telles que les observations de l’augmentation globale des températures moyennes de l’air et de l’océan, et celles de la fusion sur une grande échelle de la neige et de la glace, et l’élévation globale du niveau de la mer ». Il est très probable, ajoute le rapport, que l’élévation constatée de la température globale de la planète est liée à l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre d’origine anthropogénique ; le principal « coupable » du réchauffement climatique étant le gaz carbonique émis par la combustion des combustibles fossiles dont l’usage ne fait que croître. Le GIEC se basant sur six scénarios énergétiques (datant de l’année 2000) estime que l’augmentation de la température à la fin du siècle serait « probablement « (c’est à dire avec une probabilité supérieure à 66%) dans une fourchette de 1,1°C- 6,4°C et avec une meilleure estimation (best estimate) dans la limite de 1,8°C à 4°C. Le scénario climatique le plus « favorable », correspondant à une consommation d’énergie primaire de 12,2 Gtep en 2100 relativement raisonnable (10 Gtep en 2000) limite l’augmentation de température à une fourchette de 1,1°C – 2,9°C. Tout en tenant compte de l’incertitude qui demeure sur la compréhension des phénomènes climatiques (certaines conclusions du GIEC sont contestées par des scientifiques), on doit admettre que la poursuite effrénée de la consommation d’énergie carbonée aura très probablement un impact sérieux sur les conditions de vie sur Terre et le GIEC fait d’ailleurs une série d’hypothèses sur les impacts régionaux du réchauffement climatique.
Parallèlement au GIEC, plusieurs rapports récents de prospective ont proposé des scénarios qui dans leur quasi-totalité prévoient une forte croissance de la consommation énergétique mondiale primaire d’énergie à l’horizon 2030-2050 (cf. bréve Quels scénarios énergétiques pour l’avenir?) : environ 17 Gtep en 2030 et une fourchette de 22 à 16 Gtep à l’horizon 2050. Ils prévoient aussi une croissante forte et paralléle des émissions de gaz carbonique. Une conclusion s’impose à la lecture de ces scénarios, on la trouvait déjà dans l’introduction du rapport de l’AIE en 2006, sous la plume de Claude Mandil qui dirigeait à l’époque l’AIE: « le futur énergétique que nous préparons n’est pas durable ». Il est bien clair que de nombreux pays de la planète (en particulier en Asie, en Afrique et en Amérique latine) ont besoin d’énergie pour se développer, mais il est irréaliste de prévoir une forte croissance de la consommation d’énergie, en particulier des combustibles fossiles tout en espérant limiter les émissions de gaz carbonique. Autrement dit, il faut arrêter l’emballement de la machine énergétique. C’est dire que la négociation sur un nouveau protocole international pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (un nouveau Kyoto après 2012), devrait ouvrir complètement le dossier de l’énergie pour engager les pays dont la consommation est appelée à croître (en particulier la Chine, l’Inde et le Brésil) à accepter des objectifs de limitation de leurs propres émissions de gaz à effet de serre.
La négociation qui va s’engager pour laquelle la conférence de Bali a donné la feuille de route (assez vague et sans engagements chiffrés), et qui devrait aboutir à la fin 2009 à Copenhague, est donc cruciale. Celle-ci ne débouchera sur une « nuit du 4 août » de l’énergie que si elle met sur la table non seulement toutes les questions relatives à l’utilisation des combustibles fossiles, mais aussi celles concernant les transferts de technologie vers les pays en développement (le communiqué final de Bali plaide d’ailleurs dans ce sens). On ne peut résoudre la question énergétique que si l’on fait flèche de tout bois (au propre comme au figuré !), c’est-à-dire en économisant l’énergie et en utilisant toutes les filières : des énergies renouvelables au nucléaire en passant par une amélioration des rendements des centrales thermiques. Ajoutons, comme le soulignait dans Newsweek du 2 décembre 2007 le directeur du programme sur l’énergie et le développement durable à l’université de Stanford, David Victor, que cette négociation ne débouchera sur des décisions engageant l’avenir que si la Chine accepte de prendre des engagements de limitation de ses propres émissions de gaz à effet de serre (si l’on en croît l’AIE la Chine émettrait en 2030 autant de gaz carbonique par habitant que l’Europe, soit 7,9 tonnes). Elle peut comprendre que c’est son intérêt car elle souffre d’énormes problèmes de pollution (que les coureurs du marathon constateront lors des Jeux olympiques de Pékin l’été prochain !) et aussi « parce que ses grands partenaires commerciaux se soucient du climat » et, comme d’autres pays, elle peut être sensible à des pressions commerciales. Il est clair, en revanche, que l’Afrique qui part de très bas dans sa consommation de kWh devra bénéficier de mesures spéciales et en particulier de transferts de technologie pour qu’elle puisse s’équiper avec des moyens de production d’énergie peu polluants et à bon rendement. Il va sans dire que les Etats-Unis qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto devraient s’engager, eux aussi, sur des objectifs chiffrés de réduction ce qu’il ont refusé de faire jusqu’à présent mais le départ prévu de G.W.Bush devrait changer la donne; on notera que l’Australie qui avait adopté la même position que les USA a annoncé à Bali qu’elle allait le ratifier. L’Union Européenne, quant à elle, a des positions relativement fortes puisqu’elle a annoncé en 2007 un plan en « trois fois 20% » à l’horizon 2020 : réduire de 20 % son intensité énergétique, réduire de 20% ses émissions de gaz carbonique par rapport à leur niveau des années 1990, porter à 20% la part des énergies renouvelables dans sa consommation d’énergie finale.
Le nucléaire mérite un traitement particulier compte tenu des problèmes de sécurité que pose son utilisation et aussi de sa dimension géopolitique (risque de prolifération). La question iranienne a mis le nucléaire d’actualité tout au long de l’année passée ; le problème de la Corée du Nord semble résolu celle-ci ayant accepté de se conformer de nouveau aux règles du Traité de Non-prolifération du Nucléaire, le TNP. Il faut rappeler qu’un curieux rapport de la CIA, rendu public en décembre, affirmait qu’à « la mi-2007 l’Iran n’avait pas relancé son programme d’armement nucléaire mais nous ignorons s’il a actuellement l’intention de développer des armes nucléaires ». L’Iran a poursuivi ses activités d’enrichissement de l’uranium et les objectifs de son programme nucléaire restent ambigus même s’il affirme des intentions pacifiques ; on n’a aucune certitude sur ses intentions. On doit observer, à ce stade, d’une part que l’Iran a signé le TNP (contrairement à plusieurs pays de la région qui se sont dotés de l’arme nucléaire comme le Pakistan qui est proche du chaos et qui a mis en selle les talibans…) et que d’autre part la position des pays occidentaux vis-à-vis de ce pays est loin d’être logique : on ne peut pas paraître mettre des obstacles à son accès au nucléaire civil (sauf à exiger qu’il respecte totalement les clauses du TNP qu’il a signé), tout en voulant aider, voire encourager, les pays arabes sunnites (du Maroc aux pays du Golfe en passant par la Libye et l’Egypte) à se doter de ce même nucléaire civil…La Russie, il est vrai, n’a pas simplifié les choses en livrant en décembre de l’uranium enrichi à l’Iran pour sa centrale de Bouchehr. L’Iran dont les compétences scientifiques et techniques ne sont pas douteuses doit être partie prenante à une négociation globale sur l’énergie. La solution proposée par de nombreux experts consisterait sans doute à créer sous l’égide de l’AIEA de Vienne une « banque » des combustibles nucléaires, dont l’utilisation dans des centrales électronucléaires civiles serait contrôlé strictement par l’Agence, une aide technique des pays développés étant la contrepartie de l’acceptation de ces contrôles. On ne pourra pas éviter, tôt ou tard, de reposer le problème de l’ensemble du nucléaire militaire, les puissances détentrices de l’arme nucléaire qui sont signé le TNP s’étant engagées à un désarmement nucléaire à long terme…Quoiqu’il en soit il faut être conscient que le nucléaire, dans l’état actuel des techniques, ne peut satisfaire qu’une faible part des besoins énergétiques des pays en développement même les plus évolués comme la Chine.
Nous terminerons par un dernier constat presque banal: nous sommes entrés dans une ère où l’énergie sera chère. Le baril de pétrole, pour ne parler que de lui, s’installera tôt ou tard durablement au-dessus de la barre des 100 $, sans que ce soit l’apocalypse car le renchérissement du prix de l’énergie rentabilisera plus vite les investissements dans les énergies renouvelables ; l’année 2007 a d’ailleurs vu la confirmation du décollage de l’énergie éolienne et, selon New Energy Finance, les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables auraient atteint 80 milliards €. La limitation de l’usage des énergies carbonées exige que celles-ci soient fortement taxées (via une taxe sur les émissions de gaz carbonique) mais force est de constater que, pour l’heure, le gouvernement français s’est refusé de passer à l’acte après le Grenelle de l’environnement, préférant une série de mesures qui ne sont certes pas inutiles (taxation des voitures polluantes, interdiction à terme des lampes à incandescence qui économisera de l’électricité nucléaire…) mais qui sont des palliatifs. La taxe carbone peut être aussi un élément dans la négociation d’un Tokyo bis.
De Bali à Copenhague où l’on devrait trouver, en 2009, un accord sur un nouveau protocole de Kyoto, la route sera certainement longue et cahoteuse mais les pèlerins qui, au Moyen Age, partaient vers Saint Jacques de Compostelle (le lecteur est prié de ne trouver aucune allusion à la coquille qui sert d’emblème à une certaine compagnie….) empruntaient les chemins les plus divers pour parvenir à leur but. Il y a sans doute plusieurs routes pour arriver à un nouveau Kyoto, l’essentiel est de croire que l’on y parviendra….