L’avenir de l’Energie des mers: les rêves du capitaine Nemo vont-ils se réaliser?

seatrials3.jpg L’homme rêve depuis longtemps d’utiliser l’énergie des mers qui est  véhiculée par les marées, les courants marins et les vagues mais qui est aussi stockée sous forme de chaleur dans les océans. Cette forme d’énergie est en quelque sorte le résultat de l’action combinée du Soleil qui met en route les vents et chauffe l’océan et de la Lune qui est le Deus ex machina actionnant les marées.

     On peut utiliser la chaleur stockée dans l’océan en faisant fonctionner un moteur thermique en utilisant la différence de température entre les eaux de surface plus chaudes et celles qui sont plus profondes et donc plus froides ; dans les régions tropicales cette différence peut atteindre 20°C et l’on a une ressource inépuisable mais avec un rendement de Carnot qui de toute façon restera faible (5 à 7 % au maximum). Le physicien Georges Claude avait tenté une expérience en vraie grandeur, en 1930 sur la côte de Cuba, mais son expérience fut un échec : son installation fut balayée par un coup de mer à peine avait-elle commencé à fonctionner. D’autres expériences ont été réalisées dans le Pacifique mais sans résultats probants. La filière thermique pose, à l’évidence, de sérieux problèmes techniques et elle est économiquement très aléatoire. 

     Il existe trois autres possibilités : l’utilisation des marées, celle des vagues et des courants. La récupération de l’énergie des marées est une technique parfaitement au point, et l’on trouve d’ailleurs sur certaines côtes d’anciens moulins à marée construits sur des estuaires qui utilisaient jadis l’énergie du flot de la marée. La technique a été utilisée avec succès dans l’usine marémotrice qu’EDF a construite sur l’estuaire de la Rance près de Saint Malo, l’usine d’une puissance installée de 240 MW fonctionne depuis 1966. Dans ce type d’installation, on récupère l’eau de mer dans un bassin à l’amont d’un barrage lors de la marée montante, puis on la fait passer dans une turbine lorsque la marée descend. Pour récupérer de la puissance il faut donc des marées de grande amplitude comme sur la Rance, malheureusement ces sites sont rares dans le monde (la disponibilité des centrales dépend de la périodicité et de l’amplitude des marées, celle de la Rance étant de 25%). On peut, bien sûr, faire des projets à la Jules Verne en imaginant construire des grands barrages en mer s’appuyant sur des îles, la marée et les courants faisant tourner des turbines (un projet de ce type avait été imaginé sur les îles Chausey au large de la Normandie, les protestations justifiées l’ont condamné à retourner dans des cartons). Ces grandes utopies n’ont aucune chance d’aboutir et le seul un projet important (une usine de 250 MW) envisagé est celui d’une usine en Corée sur le site de Sihwa.

     Si la filière marémotrice pose peu de problèmes techniques mais elle se heurte à la géographie, en revanche, l’exploitation de l’énergie perpétuelle des vagues sur la côte ou au large est, en principe, plus simple. L’European Marine Energy Centre, établi à Stromness aux îles Orcades au nord de l’Ecosse (Orkney en anglais), a recensé six types de dispositifs différents. Ce centre britannique s’est spécialisé dans les tests d’installations utilisant l’énergie des vagues et des marées, il se veut un centre d’excellence européen et il est d’ailleurs soutenu par l’Union Européenne. Le système le plus simple est constitué par une turbine (ou une roue à aubes) logée dans un tuyau fixé sur une ligne de rivage pentue dans lequel l’air comprimé par une vague ascendante fait tourner les pales ; la turbine est couplée à un générateur électrique. Une variante consiste en une plateforme flottante articulée (ou un tuyau articulé comme sur la photo) qui suit le mouvement de la houle. Le mouvement oscillant du tuyau comprime l’air d’une cavité et fait tourner les pales d’une turbine. La société danoise Wave Dragon a mis au point une autre variante de cette filière : deux longs bras articulés concentrent les vagues dans un bassin à l’intérieur d’une plateforme flottante, le reflux de l’eau accumulé fait ensuite fonctionner des petites turbines. Un prototype de 20 kW fonctionne effectivement depuis 2003 et les promoteurs de Wave Dragon espèrent installer dés 2008 un parc off-shore d’une dizaine d’unités au large du Pays de Galles d’une puissance totale de 77 MW. Il existe une cinquantaine de projets captant l’énergie de la houle dans le monde, en particulier au Royaume Uni, au Danemark  et au Portugal (l’électricité qui sera produite dans les installations portugaises sera rachetée 23 c€ le kW soit 5 à 6 fois le prix de production de l’électricité « classique »). En France, la Bretagne a des projets de ce type utilisant la houle au bord des côtes. Peut-on estimer que l’énergie de la houle est une filière d’avenir ?

   Sur le papier les « réserves » d’énergie de la houle sont considérables (cf. les estimations de l’Ifremer, www.ifremer.fr). Ainsi, le récent rapport du GIEC sur le climat (rendu public en novembre 2007, www.ipcc.ch, rapport du groupe 3) qui a passé en revue les filières énergétiques « sans carbone », et en particulier celles mettant en œuvre des énergies renouvelables, estime à 30 kW par mètre de côte en moyenne le potentiel d’énergie des vagues (ce qui est considérable) ce qui correspondrait à une puissance installée de 500 GW (supposant un rendement de 40 % des systèmes) pour toute la planète ce qui est considérable (cela représente le dixième de la puissance électrique actuelle). L’European Ocean Association à Bruxelles (www.eu-oea.eu) a publié des estimations plus optimistes: 70 kW /m d’énergie de la houle sur la côte atlantique de l’Europe  et un potentiel mondial de 1 à 10 TW (du même ordre de grandeur que la puissance électrique installée actuellement : 4 TW). Toutes ces estimations sont évidemment approximatives et difficiles à fonder sur des bases fiables. Il est clair que deux obstacles au moins se trouvent sur la route de l’exploitation de l’énergie de la houle et des courants : – les coûts de productions restent très élevés (chiffrés dans une fourchette de 80 à 100 $ le  MWh soit environ 20 fois ceux de l’électricité thermique classique) – la grande vulnérabilité des installations soumises en permanence à l’agression du milieu marin et aux aléa météorologiques. Il est réaliste de penser que l’énergie des vagues tout comme l’énergie thermique des mers n’est pas une solution viable à grande échelle, le rapport du GIEC la qualifie d’ailleurs de technique « immature » ; toutefois, elle peut représenter une énergie d’appoint locale dans des lieux isolés comme des îles avec des installations côtières fixes (cf. le World Ocean Forum:  www.them20.net/events/oceanenergy/concepts/htm    ainsi que  www.eurocean.org).  

     Peut-on espérer des ruptures dans l’exploitation de l’énergie des mers ? Elles sont peu probables. L’utilisation de la force motrice résultant de la pression osmotique (différence de pression existant de par et d’autre d’une membrane séparant l’eau de mer de l’eau douce) est parfois envisagée mais c’est une solution très théorique. En revanche, des percées pourraient survenir du côté des algues si l’on était capable de cultiver avec des hauts rendements des espèces qui seraient la matière première pour produire des biocarburants, en particulier du bioéthanol et du biodiesel. Les algues, il faut le souligner, ont l’avantage de fixer deux à trois fois plus de carbone que les plantes terrestres. Certaines algues sont riches en polysaccharides, c’est-à-dire en sucres, et peuvent donc être utilisées pour produire de l’éthanol, d’autres sont riches en lipides et peuvent être une matière première pour la production de diester (comme l’est le soja par exemple). Selon certains experts (cf. P.Williams, Nature, 450, p.478, 22 November 2007), la culture de masse d’algues pourrait permettre de produire de 30.000 à 50.000 litres de lipides à l’hectare (on peut récupérer 1.300 à 2.400 litres à l’hectare avec de l’huile de palme). Une autre voie consisterait à améliorer les rendements de production de micro-algues par manipulation génétique. Pendant le processus de photosynthèse, les algues produisent des sucres ainsi que de l’hydrogène à partir du gaz carbonique et de l’eau et un chercheur de Berkeley aux USA, Anastasios Melis, a modifié génétiquement des algues pour « réorienter » ce processus. Son idée consiste à manipuler les gènes qui contrôlent la production de chlorophylle dans les chloroplastes afin de la diviser par un facteur deux (300 molécules au lieu de 600). Les algues de la couche superficielle d’un bassin de culture appauvries en chlorophylle absorbent alors moins de lumière solaire et la laissent pénétrer dans les couches plus profondes permettant ainsi une meilleure utilisation de l’énergie solaire avec un rendement global de culture plus élevé. En modifiant la quantité de chlorophylle produite on augmente aussi la quantité d’hydrogène produit par la photosynthèse. On aurait ainsi un moyen de production d’hydrogène, et éventuellement de glucose, à partir d’algues avec un bon rendement. Il reste à savoir si une culture de masse est possible.

     La mer fait partie de notre imaginaire collectif (elle est peut être à l’origine de la vie), elle est à la fois redoutée et considérée comme une source de richesse ; le poète Charles Baudelaire n’écrivait-il pas dans L’homme et la mer : « Homme libre toujours tu chériras la mer » ! Ne rejetons donc pas l’idée d’extraire des kW de la mer (l’usine de la Rance le fait tous les jours), mais gardons une appréciation réaliste des possibilités énergétiques de la mer. Le capitaine Nemo, le héros du roman de Jules Verne  Vingt mille lieues sous les mers, était aux commandes d’un sous-marin, Le Nautilus, propulsé par l’électricité produite par une pile à combustible fonctionnant avec de l’hydrogène extrait de l’eau de mer, cela restera sans doute une utopie et il est peut être plus réaliste de parier sur des progrès de la biologie qui permettraient de produire des carburants (de l’hydrogène, de l’éthanol voire des hydrocarbures) avec des bons rendements à partir des algues.  


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