Un avenir écrit dans le charbon ?

Dans les jours qui ont suivi la fin des travaux du Grenelle de l’environnement, la nouvelle flambée des cours du baril de pétrole approchant les 100$ a provoqué, en France, une grève des pêcheurs et nous a une fois de plus rappelé que l’on était entré dans l’ère d’une énergie chère qu’il faudrait économiser et qu’il était urgent de préparer l’après-pétrole (mais pas seulement en bannissant l’usage des lampes à incandescence !). C’est dans ce contexte que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) qui dépend de l’OCDE a publié, début novembre, son rapport annuel sur les perspectives mondiales de l’énergie, le World energy outlook 2007. Ce rapport est toujours une mine de renseignements et il est consacré spécifiquement cette année à l’énergie en Chine et en Inde. Sa lecture fait ressortir plusieurs points saillants.

 On observe tout d’abord que le « scénario de référence » de l’AIE (cf. nos commentaires dans L’Energie à l’heure des choix) « prévoit » une consommation mondiale d’énergie primaire en 2030 de 17,7 Gtep en 2030 soit une augmentation de 55% sur la période 2005-2030  (11,4 Gtep en 2004) ; ce niveau de consommation est d’ailleurs légèrement réévalué par rapport aux prévisions du rapport 2006 (une estimation de 17,1 Gtep dans le rapport 2006). Sur cette base on fait ensuite une série de constats : – les combustibles fossiles contribueront à 82 % à la fourniture d’énergie primaire mais c’est le charbon qui connaîtra la plus forte croissance dans le panier énergétique (une croissance de 73%, sa part dans la consommation passant de 25% à 28%) – les pays en développement vont contribuer à eux seuls  à 74% de la croissance de la demande d’énergie primaire, la Chine et l’Inde étant ensemble « responsables » de 45 % de cette croissance et tout particulièrement de la très forte augmentation de la consommation mondiale de charbon (elles contribueraient à 80% de la croissance de la demande de charbon).

Le dynamisme économique de la Chine et de l’Inde tire évidemment vers le haut la croissance de leur consommation énergétique: la Chine et l’Inde feraient ainsi plus que doubler leur consommation d’énergie d’ici 2030 et l’Inde triplerait sa consommation de charbon, les deux pays prévoient d’accroître massivement leur production d’électricité (38% de la population indienne n’a pas encore accès à l’électricité aujourd’hui) et le charbon sera le combustible le plus utilisé pour atteindre cet objectif (il représentera 63% de l’énergie primaire en Chine).

On peut faire deux observations. La première est que le niveau de consommation d’énergie pas tête des pays en développement restera encore très inférieur, en 2030, à celui des pays riches de l’OCDE. La seconde est que la frénésie énergétique, si elle se poursuit, augmentera considérablement les émissions de gaz à effet de serre et aggravera le réchauffement climatique (on serait dans le haut de la fourchette des estimations du Groupement international  des experts de l’évolution du climat); en 2030 le niveau d’émission de gaz carbonique par habitant en Chine serait équivalent à celui de l’Europe, soit 7,9 tonnes. Le charbon est le mauvais élève de la classe des combustibles puisque pour produire une calorie la combustion de charbon dégage plus de gaz carbonique que le pétrole et le gaz naturel : pour la Chine et l’Inde le charbon serait responsable respectivement de 78% et 60 % de la croissance de leurs émissions de gaz carbonique d’ici 2030 (la Chine à elle seule serait « responsable » de 60% de l’augmentation des émissions mondiales d’ici 2030).

Le rapport 2007 ne se limite pas à une exploration, au demeurant indispensable et intéressante, des cas chinois et indien, il fait aussi des hypothèses sur l’impact possible de la croissance de la consommation d’énergie primaire et il étudie un scénario alternatif moins énergivore. La poussée de la demande de pétrole ne peut ainsi que renforcer la position de force des pays producteurs de l’OPEP, en particulier ceux du Moyen Orient, favorisant une insécurité des approvisionnements. Fort curieusement, l’AIE ne «  prévoit » un cours pour le baril de pétrole qu’au  niveau de 57$ en 2015 (en $ 2006), il est vrai que ce genre de « prévision » a été régulièrement démentie par les faits dans le passé…Dans son introduction au World energy outlook 2006, Claude Mandil, le Directeur de l’AIE à l’époque, écrivait «  le futur énergétique que nous préparons n’est pas durable (sustainable) », on doit constater que l’on ne trouve pas cette affirmation lucide dans le rapport 2006.

On tirera, pour notre part, deux conclusions de ce rapport. La première est que les futures négociations sur le réchauffement climatique (un nouveau Kyoto) devront mettre sur la table l’ensemble de la question énergétique avec toutes les filières (du nucléaire aux énergies renouvelables en passant par le charbon) et impliquer des pays comme la Chine et l’Inde dans les mesures qui seront adoptées pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. La seconde est que si l’on doit aller davantage au charbon, il faut alors étudier les perspectives des techniques permettant d’améliorer les rendements des centrales électriques et celles de stockage du gaz carbonique émis, en particulier, par la combustion du charbon dans les centrales. Les techniques de séparation et de stockage sont au point mais elles sont encore coûteuses (elles consomment de l’énergie !) et il faut sans doute se garder d’entretenir trop d’illusions à leur sujet : le charbon propre n’existe pas ! En revanche il existe sans doute quelques marges du côté des techniques de production avec des centrales dites supercritiques pour augmenter leur rendement (on utilise de la vapeur d’eau produite par chauffage au-delà du point critique de l’eau à des températures d’environ 550°C et à des pressions élevées ce qui permet d’atteindre des rendements de 55%). L’avenir est peut être en partie écrit dans le charbon mais il faut éviter qu’il ne soit trop noir ! En France, il est vrai, un décret du 21 décembre 2007 portait dissolution des "Charbonnages de France" et mettait fin (provisoirement?)  au 31 décembre à l’aventure industrielle et humaine qu’avait été l’exploitation du charbon.


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