Prospective, Débats, Plan : des impératifs pour la Transition énergétique

Blog Energie Transition énergétique mars 22

Prospective, Débat, Planification : des impératifs pour la Transition énergétique

Dans la conclusion de notre dernier blog nous rappelions que dans son World Energy Outlook 2021, l’AIE avait posé cette question : « la transition énergétique peut-elle être une « rupture propre, sans tensions ? ».  Nous soulignions que la réponse n’était pas évidente car cette transition imposera des transformations profondes des usages de l’énergie et donc de nos modes de vie, de l’économie et notamment des emplois. Qui plus est, la décarbonisation de l’énergie suppose des innovations qui ne sont pas encore disponibles et force est de constater, d’ailleurs, que la plupart des scénarios énergétique publiés en France ne recensent pas les verrous techniques qu’il faudra faire sauter pour atteindre l’objectif d’une annulation de ses émissions nettes de CO2 en 2050.  

De fait, la transition énergétique est semblable à une équation rendant compte d’un phénomène avec beaucoup d’inconnues (P. Papon, « La transition énergétique à l’heure des choix », futuribles, No 477, mars-avril 2022, p. 21). Sans être exhaustifs, mentionnons les plus significatives. Un premier ensemble correspond aux variables associées à la composition du mix énergétique et en particulier au mix électrique. La quasi-totalité des scénarios font l’hypothèse d’une baisse de la demande finale d’énergie : de 40% selon RTE, dans une fourchette de 55 à 23% selon l’ADEME, de 35% selon le Shift Project et d’un facteur trois pour NégaWatt (La transition énergétique au coeur d’une transition sociétale, 2021), avec une forte croissance de la part de l’électricité (celle-ci serait de 55% selon RTE, au lieu de 19% en 2019, dans un créneau de 40 à 65% selon l’ADEME).

La composition du mix électrique (la part des filières renouvelables et donc celle du nucléaire, étant entendu que la contribution des énergies fossiles serait évanescente) est l’une des inconnues majeures du système, RTE envisageant des scénarios dans une fourchette de 50% à 0% de nucléaire et l’ADEME dans les scénarios électriques qu’elle a publiés, fin février (Transition(s) 2050, Feuilleton Mix électrique, Quelles alternatives et quels points communs ?), fait l’hypothèse centrale que la production électrique serait assurée à plus de 70% par des filières renouvelables en 2050 (une part entre 97% et 72%, essentiellement le solaire photovoltaïque, l’éolien terrestre et off-shore, l’hydraulique) et que la part du nucléaire serait donc très limitée (inférieure à environ 25 %). Le Shift Project (The Shift Project, Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française, Paris, Odile Jacob, 2021) fait sien le scénario à 50 % de nucléaire de RTE et le seul scénario de NégaWatt propose la sortie du nucléaire.

La place du nucléaire dans le mix électrique est un point central du débat sur l’énergie en France, le rôle de l’éolien terrestre et off-shore étant lui aussi objet de controverses, et ils contribuent à ajouter quelques inconnues à l’équation énergétique. La nécessité d’assurer la flexibilité et la sûreté d’un système électrique alimenté à forte « dose » (plus de 70%) par des filières intermittentes a un coût important qui est souvent insuffisamment pris en compte par les scénarios (RTE estime à 65-70 GW la puissance mobilisable en permanence nécessaire pour assurer cette flexibilité pour les scénarios de sortie du nucléaire), ainsi d’ailleurs que la nécessité d’un effort important de R&D sur le stockage de l’électricité, notamment des nouvelles batteries.

Quant à l’option nucléaire, retenue par plusieurs scénarios (avec une part au maximum de 50 % pour RTE), sa rentabilité repose sur un pari technico-économique avec une part d’inconnue : une forte baisse les coûts de construction des EPR par un effet de séries (un investissement chiffré à 9 Mds par réacteur par RTE) et l’hypothèse que le fonctionnement des premiers prototypes, dont celui de Flamanville et celui d’Olkiluoto en Finlande (mis en service le 12 mars)  sera conforme aux performances escomptées. Ajoutons à cette liste des inconnues le coût des investissements pour l’éolien off-shore sur des plateformes flottantes et ceux de la production d’hydrogène (par électrolyse de l’eau) et de biométhane considérés comme des appoints importants à la production d’énergie.

Sans faire un inventaire à la Prévert des inconnues socio-économiques de l’équation de la transition énergétique, et des scénarios qui décrivent des feuilles de route, soulignons que les leviers pour agir sur la sobriété énergétique sont mal connus, l’ADEME le reconnaît d’ailleurs, les contraintes et les éventuelles mesures coercitives (quotas et interdictions, normes diverses) rencontreront des résistances et devront être débattues. Il en va ainsi, notamment de l’évolution des habitudes et des comportements des Français ainsi que de leur capacité à supporter d’éventuelles contraintes.

Par exemple : une diminution éventuelle de la part des logements individuels dans l’habitat auxquels ils sont attachés (55% des logements aujourd’hui) et les modifications des habitudes alimentaires (forte diminution de la consommation de viande, d’un facteur trois dans certains scénarios, voire des produits de la mer…). Enfin, on peut estimer que la transition énergétique aura, une incidence majeure sur l’emploi, et son évolution comporte également beaucoup d’inconnues.

Le Shift Projet a réalisé une étude importante sur celle-ci à horizon 2050. %ais celle-ci ne couvre que certains secteurs (Transports, logement, agriculture, certaines industries, etc.). Ceux-ci connaîtraient une

croissance nette modérée de la demande à horizon 2050 (de l’ordre de 300 000 emplois) ; l’industrie automobile serait la plus grande « victime » de la transition mais il n’envisage pas les conséquences sociales de ces mutations, en particulier l’effort de formation aux nouveaux métiers.

Finaliser la feuille de route pour la transition énergétique, en choisissant les grandes options technico-économiques ne s’improvise pas. Cela suppose une réflexion prospective sur les enjeux (les émissions de gaz à effet de serre, le rôle des territoires, la sécurité des approvisionnements, les politiques de transport, la transformation de l’industrie, etc.) mettant en évidence des verrous techniques et des possibilités de rupture qui seraient l’aboutissement d’un effort de R&D (rarement envisagé…). Pierre Veltz a souligné que ces enjeux représentaient des défis avec des évolutions de grande ampleur : un « Himalaya à gravir » (Pierre Veltz, L’Economie désirable, Le Seuil, 2021, et « Bifurcation écologique et économie désirable », futuribles mars-avril 2022, No 447, p.5). Un débat impliquant citoyens, experts et élus s’impose donc afin que les choix soient effectués en connaissance de cause et acceptés. Enfin, il apparaît que la stratégie énergétique suppose une mobilisation d’importants moyens humains et financiers et donc une planification des investissements nécessaires à la construction d’infrastructures (RTE les a chiffrés à 60-80 Mds € par an pour le mix électrique) et à l’effort de formation et de R&D. Cette planification pose le problème politique du rôle que pourrait jouer un nouveau Haut-Commissariat au Plan en France qui ne serait pas seulement symbolique.

Enfin, il est clair que la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie apporte son lot d’inconnues. Dans quelle mesure change-t-elle la donne énergétique européenne et mondiale

au moment où la lutte contre le réchauffement climatique impose des choix clairs pour décarboner l’énergie? Cette question est posée, la réponse n’est pas simple mais elle mérite une réponse rapide.


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