L’énergie à l’heure des choix: lesquels?

La conférence de Glasgow sur le climat, la publication de nombreux rapports sur les scénarios énergétiques dont le World Energy Outlook 2021 de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) et, en France, celle des scénarios pour 2050 de RTE, et du plan gouvernemental pour la « France de 2030 » ont mis à l’ordre du jour la question énergétique et donc des choix d’une stratégie. Il est utile de faire le point quelques semaines avant une année qui pourrait être décisive avec, en France, la perspective d’une élection présidentielle.

L’AIE dans son World Energy Outlook 2021 a proposé des scénarios qui sont une feuille de route pour l’énergie mondiale d’ici à 2050. Le plus volontariste, Net Zero Emission by 2050 (NZE), « prévoit » que la planète annulerait ses émissions nettes de CO2 d’origine énergétique (75 % des émissions), en 2050, limitant ainsi à 1.5°C le réchauffement climatique. La consommation d’énergie baisserait de 17%, celle du pétrole et de gaz naturel de 70%, celle de charbon serait marginale, celle d’électricité doublerait. Celle-ci serait produite à 88% par des filières renouvelables (solaire, éolien et hydraulique) et le nucléaire (7-8%), avec un développement de la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau. Il requiert des investissements massifs de près de 5000 Mds $/an dès 2030 (4,5% du PIB mondial au lieu de 2,5% sur la période 2016-2020).  Un second scénario, Announced Pledges Scenario » (APS), tient compte des nouveaux engagements pris par une cinquantaine d’Etats (dont les pays de l’UE, la Chine et les Etats-Unis) de réduire leurs émissions de CO2 et assurer leur neutralité carbone vers 2050-2060, mais il aboutirait à un réchauffement climatique de 2.1°C en 2100.

Selon l’AIE ces engagements doivent être fortement amplifiés car il existe encore un « gap » d’ambition important entre les scénarios APS et NZE, les réductions des émissions de CO2 « prévues » par le premier ne permettraient pas d’atteindre la neutralité carbone en 2050.  C’était l’enjeu de la Cop 26 dont la déclaration finale appelle les États à «revisiter et renforcer» leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre dès la fin 2022, avant la prochaine COP, et « à accélérer les efforts pour réduire progressivement (« phase down ») l’utilisation du charbon sans captage du CO2 et les subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Un groupe d’une centaine de pays, dont la France, s’est engagé à réduire d’au moins 30 % les émissions de méthane d’ici à 2030 par rapport à 2020. La France a annoncé avec une dizaine de pays, non producteurs de pétrole et de gaz, la suppression de ses financements à l’étranger d’opérations d’exploitation de combustibles fossiles ne prévoyant pas le captage et le stockage des émissions de CO2. Quel sera l’impact de la Cop 26 ? Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a estimé qu’elle « avait fait un pas important mais insuffisant ».

   En France, la transition énergétique est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la promulgation, en août, de la loi énergie et climat « portant lutte contre le dérèglement climatique », puis de l’annonce en octobre, du plan d’investissement pour la « France de 2030 » comportant des mesures pour les techniques énergétiques. La publication par RTE (Réseau de transport d’électricité), une filiale d’EDF, de son rapport Futurs énergétiques 2050 (www.rte-france.com ) , avec ses scénarios énergétiques à l’horizon 2050, a contribué à clarifier le débat. RTE définit ainsi la stratégie française pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : « une énergie bas-carbone et souveraine, fondée sur l’efficacité énergétique, l’électricité bas-carbone et le développement des usages de la biomasse ». Sur la base d’une consommation finale d’énergie en France estimée à 930 TWh en 2050 (1600 TWh aujourd’hui, une baisse de 40%)  par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) – satisfaite à 55 % par de l’électricité (25% en 2019), à 24% par de la biomasse, du gaz décarboné et quelques pour cent d’énergies fossiles – RTE retient un scénario de référence pour la consommation totale d’électricité de 645 TWh en 2050 (une augmentation de 35 % par rapport à 2019). Il fait plusieurs hypothèses : une forte progression de l’efficacité énergétique (une rénovation de 2,5% /an du parc des bâtiments), la croissance du nombre de véhicules électriques (36 millions en 2050 et 21% des camions électrifiés), l’électrification de l’industrie permettant l’utilisation de l’hydrogène (50 TWh pour sa production par électrolyse).

 RTE propose six scénarios pour la production électrique  avec deux grandes options : – un mix électrique de 370 GW avec 100% d’énergies renouvelables (52 % d’éolien, 26% de solaire photovoltaïque et 8% d’hydraulique) et la fermeture progressive du parc nucléaire de seconde génération pour sortir du nucléaire en 2050 – un autre de 210 GW avec 50 % de nucléaire (des anciens réacteurs « prolongés » et un « nouveau nucléaire ») et 50 % de renouvelables (25 % d’éolien, 13% de solaire et 10% d’hydraulique). Il envisage quatre variantes : – deux retardent l’arrêt du nucléaire à 2060 (hors EPR de Flamanville) avec un développement important des énergies renouvelables, soit de façon diffuse sur le territoire soit avec des grands parcs – deux autres limitent la capacité nucléaire (36 ou 26%) avec une mise en service moins rapide du « nouveau nucléaire ». Pour celui-ci RTE envisage des EPR et des petits réacteurs modulaires.

Le coût du nouveau nucléaire est un paramètres clé pour sa compétitivité mais l’investissement des nouvelles tranches d’EPR pourrait être abaissé à 9 Mds€ par réacteur (au lieu de 13Mds pour celui de Flamanville qui n’est pas encore opérationnel), en les construisant par paires, six réacteurs seraient construits sur la période 2035-2045. Les coûts de production, en 2050, seraient plus faibles pour les énergies renouvelables les plus matures (entre 25 et 55 €/MWh) que pour le nouveau nucléaire (entre 60 et 85 € /MWh) mais la poursuite d’exploitation de l’actuelle génération de réacteurs serait économiquement compétitive. Les investissements pour les scénarios (production et réseaux seulement) s’élèveraient à 20 à 25 Mds €/an en moyenne (13Mds €/an sur la période récente). Mais les coûts complets annualisés doivent inclure la flexibilité du système, ils représenteraient 60 à 80 Mds€. Celle-ci doit assurer la sécurité des approvisionnements en palliant d’éventuelles défaillances, dues notamment à l’intermittence des filières renouvelables, par des capacités de puissance disponibles en permanence et mobilisables très rapidement, ainsi que le stockage avec des batteries et de l’hydrogène.

Compte tenu de cette nécessité, les scénarios avec un nouveau nucléaire seraient moins onéreux que ceux avec 100 % d’énergies renouvelables qui requièrent des réserves de puissance très importantes (65 à 70 GW), le parc pilotable étant réduit. RTE conclut qu’un « scénario conservant une capacité de production nucléaire importante associé à un développement conséquent des renouvelables est de nature à limiter le risque de non-atteinte des objectifs climatiques ». Le coût de l’électricité augmenterait toutefois modérément. RTE souligne, enfin, que la transition énergétique induit des besoins et circuits d’approvisionnement nouveaux en ressources minérales, notamment pour les filières renouvelables (métaux critiques comme le lithium, le cobalt, le nickel, des terres rares) que la France importera.

RTE souligne « qu’il y a urgence à se mobiliser » et donc à faire des choix à long terme pour la transition énergétique, en particulier pour la production d’électricité. Dans les choix de la stratégie énergétique plusieurs paramètres interviennent : – l’équilibre entre les filières qui permet d’atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en garantissant la sécurité des approvisionnements (le « possible » et le « souhaitable ») – le coût des investissements et de l’électricité (« l’acceptable ») – l’acceptabilité des filières par le public.

Les analyses de RTE plaident pour retenir la voie d’un équilibre entre le nucléaire (50% – 36%) et les filières renouvelables qui limite les risques de l’intermittence. Toutefois, plusieurs incertitudes demeurent. Ainsi pour le nucléaire, EDF n’a pas d’expérience des performances des réacteurs EPR, hormis de celui construit avec Chine, à Taishan, et qui est branché au réseau (un incident technique sur le gainage de combustibles a été à l’origine d’une fuite radioactive), les coûts de construction des futurs réacteurs restant incertains. Quant aux futurs réacteurs modulaires de puissance moyenne (150-200 MW, cf. phot ), s’ils ont été construits en France par Naval Group pour la propulsion navale, une recherche sur ces réacteurs est indispensable, elle bénéficie d’ailleurs d’un soutien du Plan de relance de l’économie (cf. P. Papon, « Le nucléaire à la recherche de nouvelles filières », futuribles Vigie mai 2021 www.futuribles;com ) . Par des effets de série leurs coûts de construction devraient diminuer. L’augmentation des performances des systèmes de stockage de l’électricité et en particulier des batteries (leur densité énergétique est au maximum de 200 Wh/kg pour la batterie lithium-ion) est aussi nécessaire. Enfin si l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau est considéré comme le vecteur énergétique du futur, porté par un vent médiatique, il faut souligner, comme le fait RTE que « l’incertitude sur son développement apparaît extrêmement forte » (sa rentabilité économique n’est pas assurée, son utilisation nécessite du platine, il pose des problèmes de sécurité cf. V. Lamblin, « Hydrogène : une route encore longue », futuribles, No 444, septembre-octobre 2021, p.58).

Dans son rapport l’AIE pose cette question : la transition énergétique peut-elle être une « rupture propre », sans tensions ? La réponse n’est pas évidente car elle impose une transformation de l’industrie (l’industrie automobile, la sidérurgie, la chimie, la production de ciment, le recyclage des métaux et plastiques), des métiers et des emplois. La décarbonisation de l’énergie suppose des innovations qui ne sont pas encore disponibles, mais peut-on faire l’hypothèse, comme l’AIE, d’une diminution des délais entre une invention et sa mise en œuvre à grande échelle ? C’est loin d’être certain et l’ampleur de l’effort de recherche, d’innovation et de formation nécessaire pour mettre en œuvre la transition énergétique est en général sous-estimée. Un débat sur le choix des filières n’est pas suffisant, et un second sur la dimension socio-économique de la transition énergétique est inévitable : – comment financer les infrastructures et la rénovation thermique des bâtiments ? – par quels mécanismes peut-on réduire la « pauvreté énergétique » ? – comment utiliser la taxe carbone ?

Au plan européen il reste à définir des programmes de recherche sur les filières du futur et un mécanisme acceptable « d’ajustement carbone aux frontières » pour éviter les « fuites de carbone » (une partie de la production industrielle étant délocalisée dans des pays tiers). La transition énergétique est à l’heure des choix, et dans un discours prononcé à Belfort, le 10 février, le président Emmanuel Macron a annoncé un nouveau programme nucléaire, prévoyant la construction de 6 EPR dans un premier temps et de 8 autres dans un second temps. Il a aussi annoncé une montée en puissance des énergies renouvelables, notamment de la filière éolienne off-shore. C’est une étape, mais l’importance des choix et des questions qui restent à régler montre que cette transition ne sera pas un long fleuve tranquille.


Publié

dans

par

Étiquettes :