Vers une énergie à bas carbone: des scénarios pour l’électricité . So Watt?

 

La quasi-totalité des scénarios proposés pour la transition énergétique fait l’hypothèse d’une très forte croissance de la demande d’électricité d’ici 2050 afin d’atteindre l’objectif de la neutralité carbone à cet horizon, c’est en particulier celui que s’est fixé la France.Il est utile de faire le point sur la feuille de route pour y parvenir.

Rappelons qu’alors qu’une pandémie mondiale provoquait une grave crise sanitaire, économique et sociale, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) a révisé ses scénarios antérieurs, dans son rapport 2020 sur les perspectives de l’énergie publié (IEA, World Energy Outlook 2020, Paris, octobre 2020 www.iea.org, cf. notre blogue de novembre 2020). L’année 2020 a été marquée par la chute de 5% de la demande mondiale d’énergie primaire et une baisse de 7% des émissions de CO2, et elle a proposé un nouveau scénario plus volontariste, « Zéro émissions nettes en 2050 » (sous-entendu de CO2) : une chute de 60% des émissions de CO2 entre 2019 et 2030, associée à une baisse de 17% de la demande d’énergie primaire (son niveau en 2006 avec une économie qui aurait doublée). En 2030, les filières renouvelables produiraient 60% de l’électricité (27 % en 2019) et le nucléaire 10%, la puissance solaire photovoltaïque installée quadruplerait en dix ans ; les automobiles électriques représenteraient la moitié des ventes, la production de batteries doublant tous les deux ans, celle d’hydrogène prendrait son essor.

Selon l’AIE, le solaire photovoltaïque prendrait une place prépondérante dans les filières renouvelables et deviendrait, en quelque sorte le « roi » (sic) de l’électricité, à l’échelle mondiale. Quant à ses prévisions pour 2021 (IEA, Global Energy Review 2021, avril 2021, www.iea.org ), elles sont relativement optimistes car elle envisage une croissance de 6% de l’économie mondiale et de 4,6 % de la demande d’énergie mais avec un rebond des émissions de CO2. La production électrique connaîtrait sa plus forte croissance de ces dix dernières années (4,5%) avec une augmentation très significative de celle des filières renouvelables (8%) en particulier le solaire photovoltaïque.

L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), une organisation intergouvernementale fondée en 2009 et dont le siège est à Abou Dabi aux Emirats arabes unis, elle promeut les énergies renouvelables à l’échelle mondiale, a aussi publié en avril un rapport, le World Energy Transitions Outlook (www.irena.org) , sur l’avenir des énergies renouvelables qui conforte les « prévisions » de l’AIE. Elle propose deux scénarios assez contrastés. Le premier « Planned Energy », basé sur la contribution prévue par les Etats pour atteindre les objectifs adoptés lors de la Cop 21 à Paris en 2015 (un réchauffement de la planète inférieur à 2°C à la fin du siècle). Le second plus volontariste, le scénario 1,5 °C, permettrait selon l’Irena de limiter à 1,5°C ce réchauffement comme le préconisait le GIEC. Il suppose une stabilisation de la demande d’énergie grâce, notamment, à une forte augmentation de l’efficacité énergétique, une utilisation croissante des énergies décarbonées, une forte augmentation de la production d’électricité par des filière renouvelables, une utilisation importante des biocarburants et de l’hydrogène vert (produit par électrolyse de l’eau). Ainsi la production mondiale d’électricité triplerait d’ici 2050, et celle-ci serait assurée à 90% par des filières renouvelables (hydroélectricité, éolien solaire, bioénergie, énergie marine) mais l’éolien et le solaire photovoltaïque et l’éolien domineraient la production, dont le coût a fortement baissé ces dernières années (le kWh produit étant inférieur à celui des centrales thermiques). Les centrales à gaz et le nucléaire contribueraient respectivement à 6% et 4% de la production électrique. Ce scénario serait une étape importante vers la neutralité carbone. Il suppose une croissance très importante de la puissance électrique renouvelable installée dans le monde : elle passerait de 2500 GW, aujourd’hui, à 28 000 GW en 2050. L’électricité représenterait 51% de l’énergie finale (58 % en comptant l’hydrogène vert produit par électrolyse de l’eau avec de l’électricité décarbonée).

L’utilisation de la bioénergie dans les transports (les biocarburants) et l’industrie serait également en forte croissance (18% de l’énergie finale), de même que celle de l’hydrogène, les énergies fossiles représenteraient encore 10% de l’énergie finale (leurs émissions de CO2 seraient captées et stockées). La forte croissance de la production et de l’utilisation de l’électricité est un premier point commun à tous les scénarios énergétiques, la montée en puissance des filières renouvelables en est un second.

On observe aussi que l’électricité nucléaire(photo de la centrale nucléaire EDF de Cruas dans l’Ardèche), produite sans émission de CO2, est le « parent pauvre » des scénarios, dans ceux de l’AIE sa part dans la production électrique mondiale se situerait dans une fourchette de 8 à 11% en 2040 (contre 10% en 2020). Ces constats soulèvent beaucoup de questions. La première étant que si la « décarbonation » de l’énergie est une évolution incontournable, quelle stratégie peut-on envisager pour la production d’électricité ? Si l’industrie ne fait plus appel au carbone fossile (le gaz naturel et le pétrole), par exemple pour produire des matières plastiques (l’électricité est déjà utilisée dans la sidérurgie), la biomasse est-elle une alternative ? C’est une deuxième question. Troisième question, enfin : les biocarburants, produits à partir de la biomasse et éventuellement à l’aide du génie génétique, pourront-ils se substituer aux carburants pétroliers (par exemple au kérosène de l’aviation) ? Il est urgent d’apporter une réponse à la première question car quel que soit le mix électrique qui sera adopté par chaque pays, une planification d’investissements importants sera nécessaire. S’il est indéniable qu’à l’échelle mondiale les coûts de production par les filières renouvelables ont fortement baissé, leur intermittence imposera de sérieuses contraintes au système électrique. Comme l’ont souligné l’AIE et RTE dans leur rapport sur des scénarios électriques avec une forte contribution des filières renouvelables (RTE, IEA, Conditions and requirements for the technical feasibility of a power system with high share of renewable in France towards 2050, Paris, Janvier 2021, www.iea.org ) le recours aux énergies renouvelables imposera une plus grande flexibilité de la production (assurée, aujourd’hui en France, par des centrales thermiques, hydroélectriques et nucléaires) qui devra être assurée à la fois par des capacités de stockage de l’électricité (par exemple avec des batteries), et des réserves de production pilotables pour faire face aux pointes de consommation et aux aléas climatiques (la variabilité de la production des centrales solaires n’est pas toujours prévisible). La plupart de scénarios ne tiennent pas compte de cette nécessité, en particulier ceux d’Irena. Les centrales hydroélectriques, les réacteurs nucléaires et les turbines à gaz sont des filières pilotables (on peut faire varier leur production), mais ces dernières ont l’inconvénient d’émettre du CO2 (son captage et son stockage envisagés par certains scénarios restent aléatoires).

La stabilité du réseau électrique et la sécurité de la production sont le point critique d’un scénario avec une forte proportion de filières intermittentes. Un effort de R&D sur les réseaux électriques et les techniques de stockage est indispensable avec une planification des investissements. S’agissant du nucléaire,contentons-nous de rappeler, comme l’avait fait le GIEC, qu’il est une filière qui doit faire partie d’une stratégie de « décarbonation de l’énergie ». Son utilisation rencontre de sérieuses oppositions comme en témoigne un récent éditorial de la revue Nature (« Nuclear power will have a limited role in the world’s energy », vol. 591, 11 March 2011, et A. Verma and al., « Nuclear energy ten years after Fukushima », www.nature.com ) qui rappelle que les accidents de Tchernobyl et de Fukushima, d’origine très différente, ont porté atteinte à son crédit. Nature souligne également que l’électronucléaire pâtit de la confidentialité dans laquelle ont été prises la plupart des décisions concernant les choix techniques dans les pays qui l’ont développé.

Le nucléaire ne prendra une place significative (de 30 à 50 %) dans le mix électrique du futur qu’à plusieurs conditions : – les coût de construction des réacteurs des nouvelles filières (les EPR notamment, celui de l’EDF à Flamanville s’élèverait à 19 Mds €) devront être réduits – un effort de R&D sur les filières du futur doit être poursuivi – la mise au point de filières de réacteurs de moyenne puissance (300- 500 MW) construits par modules permettrait de fournir une puissance pilotable en appui à des filières renouvelables – l’existence d’une autorité indépendante chargée de la régulation de la sûreté des installations (c’est la cas en France avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire, l’ASN, au Japon l’autorité chargée la sûreté n’avait pas de réelle indépendance par rapport à l’industrie nucléaire avant Fukushima, photo du chantier de démantèlement de la centrale). Soulignons, enfin, que les capacités d’exportations de l’industrie nucléaire, française notamment, supposent le maintien d’une grande compétence en matière d’ingénierie nucléaire, mais aussi l’existence d’une « culture du risque » dans les pays importateurs qui leur permettrait de gérer un éventuel accident.

L’UE a annoncé, le 21 avril 2021, un accord politique confirmant l’objectif de parvenir à une neutralité carbone à l’horizon 2050, et son engagement à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cet objectif est très ambitieux et pour l’atteindre les pays européens ne peuvent pas se contenter de proposer des scénarios, ils doivent planifier des mesures concrètes avec des investissements à long terme, en particulier pour le mix électrique qui va jouer un rôle clé dans la transition énergétique.

 

  


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