La voiture électrique : un défi technologique et industriel

Partons d’abord des  constats que vient de faire l’AIE dans deux rapports récents (IEA, Tracking clean energy progress et Global EV Outlook 2019, mai 2019, www.eia.org ). Le trafic routier est à l’origine  de 24% des émissions mondiales de CO2 et en France il représente 28% des émissions de gaz à effet de serre (les véhicules particuliers contribuent à 53% des émissions par les différents modes de transport, les poids lourds à 21,3%) et la diminution de ces émissions à l’échelle de la planète passe par un développement de la mobilité électrique accompagné par la « décarbonisation » de la production électrique. Le premier constat, encourageant, est le net ralentissement des émissions de CO2 par le secteur du transport : leur croissance n’a été « que » de 0,6% l’an dernier (au lieu de 1,6% par an ces dernières années. Les émissions des véhicules routiers (automobiles, bus, camions) n’ont que faiblement augmenté (elles représentent les trois quarts des émissions totales du secteur des transports), tandis que celles de l’aviation et du transport maritime continuaient à croitre plus fortement. L’IAE attribue ce tassement des émissions de CO2 par le transport routier à une électrification des automobiles, à une meilleure utilisation des biocarburants et à une baisse de 2,8% de l’intensité énergétique du secteur. Le deuxième constat fait par l’AIE est la progression très nette des ventes de voitures électriques (totalement électriques et hybrides). Le marché a, en effet, décollé : 2 millions de voitures particulières électriques ont été vendues dans le monde en 2018 (une progression de 64%, dont 1,2 million de véhicules avec des batteries rechargeables) avec un parc mondial de 5,1 millions de véhicules. En France la progression a été plus faible (25% soit 45 000 unités dont 14 500 hybrides rechargeables). On observe que la Chine représentait environ 55% du marché mondial l’an dernier et qu’en Norvège les ventes de voitures électriques représentaient 46 % des ventes totales. Les parcs mondiaux de voitures électriques se répartissent en trois blocs : la Chine avec 2,3 millions de véhicules, l’UE avec 1,2 million et les Etats-Unis avec 1,1 million. Les ventes de véhicules légers utilitaires ont décollé plus lentement (250 000 unités en 2018) et celles de camions restent marginales (1000 à 2000 véhicules). Ces ventes totales décollent certes mais elles ne représentent que 2,5% des ventes d’automobiles dans le monde ce qui conduit l’AIE à actualiser ses scénarios énergétiques. A l’horizon 2030 son scénario « Nouvelles politiques » qui tient compte des politiques énergétiques récentes (mais qui ne permet pas d’atteindre l’objectif de l’accord de Paris de limiter à 2°C le réchauffement climatique)  visait un marché mondial de 23 millions de voitures en 2030, et il propose un scénario alternatif plus dynamique « EV 30 » dans lequel, en 2030, ce marché mondial représenterait le tiers des ventes totales soit 43 millions de véhicules (avec un parc de 250 millions). Cet objectif requiert un effort technico-financier considérable.

  Dans ce contexte quelle est la situation de la France ? Le « plan climat » du gouvernement a fixé, en juillet 2017, l’objectif ambitieux d’arrêter, en 2040, la commercialisation des véhicules thermiques. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a publié un intéressant rapport sur cette question (OPECST, Les scénarios technologiques permettant d’atteindre l’objectif d’un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040, mars 2019, www.senat.fr). Ses conclusions sont basées sur trois scénarios technologiques contrastés proposés par le CEA et  l’IFP Energies nouvelles pour les progrès des techniques, à l’horizon 2040, dans le domaine des batteries et des piles à combustible (avec une taxe carbone de 141 € /tonne CO2). Deux d’entre eux sont volontaristes : – le scénario « Pro-Batterie » part de l’hypothèse d’un progrès rapide des batteries au lithium, leur densité s’élevant à 300 Wh/ kg (150 Wh /kg en 2018), et leur  coût  chutant à 50 €/ kWh (230 €/kWh en 2018) – le scénario « Pro-hydrogène » suppose que ce  sont les coûts des réservoirs de stockage d’hydrogène (sous haute pression) et les piles à combustible qui chutent le plus rapidement. Les trois scénarios aboutissent à un même résultat : la disparition totale des véhicules thermiques non-hybrides en 2040, associée à une baisse très forte des émissions de CO2 (près d’un facteur cinq) et à une amélioration très nette de la qualité de l’air notamment dans les villes. Sur ces bases, l’OPECST conclut que l’objectif d’éliminer totalement la motorisation purement thermique des véhicules particuliers peut être atteint en 2040 mais que cette transformation sera coûteuse, de l’ordre de 500 Mds € sur 20 ans, estime-t-il, elle suppose le maintien par l’Etat d’un bonus pour l’achat d’un véhicule (6000€ aujourd’hui), la construction d’un réseau de bornes de recharge électrique (publiques et privées, cf. photo Usine Nouvelle) et d’hydrogène (un coût entre 30,7 et 108 Mds €). Il ne fait aucune hypothèse quantitative sur l’avenir du parc automobile. ENEDIS a fait des scénarios à l’horizon 2035 (cf. le rapport de la CRE Impact du développement des mobilités propres sur le mix énergétique, juillet 2018, www.cre.fr ) : un parc qui serait compris entre 3,2 et 9, 6 millions de véhicules avec une consommation d’électricité dans une fourchette de 8 à 25 TWh compatible avec les capacités de production actuelle (environ 550 TWh).

Le développement de la voiture électrique (et à plus long terme celui des poids lourds) dépend largement des progrès d’une part des batteries (ou des piles à hydrogène) et d’autre part des systèmes de recharge. L’expansion du parc de voitures électriques a lancé une  course aux batteries électriques (cf. Véronique Lamblin, « La course aux batteries électriques », futuribles, Vigie 16 octobre 2017, www.fututibles.com), la batterie lithium-ion (cf. photo abc.net) étant actuellement le cheval de bataille des constructeurs (Renault équipe son récent modèle de Zoé avec une batterie qui lui donne une autonomie de 400 km cf.photo). Les constructeurs ont trois objectifs (cf. notre blog de novembre 2018) : –  augmenter la densité énergétique des batteries – augmenter leur durée de vie en supportant un plus grand nombre de cycles de charge-décharge – diminuer leur prix. Les constructeurs doivent également tenir compte des conditions de sécurité (éviter un incendie). La disponibilité, à long terme, des matériaux constituant les électrodes (notamment le lithium et le cobalt), est autre paramètre important dont il faut tenir compte. Les progrès ont été lents sur ces trois fronts (photo de la voiture électrique « la jamais contente » en 1900, france.pittoresque.com ). D’autres filières sont envisagées : remplacer le lithium (le plus léger des métaux) par un autre métal, le magnésium, le sodium et le zinc notamment. Des couples Lithium-air (on produit et on dissocie des oxydes de lithium dans la batterie) ou zinc-air sont également testés, la densité énergétique du premier serait trois à quatre fois celle de la batterie lithium-ion et il aurait le grand avantage d’éviter d’utiliser du cobalt pour la cathode (celle-ci est en graphite, dopé avec un sel de lithium, qui piège l’oxygène), les travaux sur ces batteries sont encore au stade de la R&D mais semblent prometteurs (cf. Y.K. Pettei and S. Freunberger, « Thousands of cycles », Nature Materials, 18 April 2019, p. 301, www.nature. com). Rappelons que l’option de la pile à hydrogène, une voie possible selon l’OPECST, suppose une production du « combustible » par voie d’électrolyse (dans une station -service ou sur un parking) dont le rendement énergétique est au maximum de 70%, et ensuite le stockage de l’hydrogène dans un réservoir sous 700 bars (une perte de 10% d’énergie). L’opération, au demeurant complexe, n’est pas économiquement rentable et pose des questions de sécurité rarement évoquées (c’est le cas du rapport de l’OPECST). L’avantage de la filière hydrogène est toutefois la rapidité de la recharge d’un réservoir.

Le système de recharge des batteries (ou des piles à hydrogène) est un point critique pour la voiture électrique (en 2018 il existait environ 240 000 bornes de recharge publiques et privées en France cf. photo usine nouvelle). Soulignons d’abord qu’il faut éviter une recharge simultanée des batteries par les propriétaires de véhicules, le soir aux heures de pointe (à un moment où les centrales solaires ne produisent plus) car la puissance disponible sur le réseau serait insuffisante (il faudrait disposer une réserve de quelques GW au cas où…). Les installations pour les recharges lentes ne posent pas de problème majeur (une puissance de l’installation inférieure à 20 kW suffit, avec un convertisseur alternatif/continu). Il n’en va pas de même pour les recharges très rapides (15 minutes), des puissances supérieures à 150 kW seront indispensables (cf. IRENA, Innovation outlook smart charging for electric vehicles, mai 2019, www.irena.org ). Une solution innovante a été proposée : la charge de la batterie par induction, l’automobile circule sur une voie équipée, en-dessous de la surface, d’un rail dans lequel circule un courant électrique qui va créer un champ électromagnétique induisant un courant électrique dans une bobine dans la voiture qui chargera la batterie.

Comme le soulignent de nombreux rapports, notamment celui de l’OPECST, la voiture électrique représente un défi technique et industriel majeur car il faut préparer la mutation du secteur automobile (400 000 emplois en France)  en évitant, notamment, sa trop forte dépendance vis-à-vis des batteries fabriquées en Asie (la Chine détient la moitié du marché mondial). Pour y faire face, Tesla a investi avec Panasonic 6 milliards de dollars dans une « Gigafactory »au Nevada pour produire des batteries. Il est nécessaire de monter une industrie européenne des batteries s’appuyant sur la R&D (un « Airbus » des batteries comme cela a été proposé récemment par l’Allemagne et la France qui se sont engagées à investir ensemble 2 milliards d’euros). De même faut-il garantir l’accès de l’Europe à des métaux « critiques », notamment le lithium, le cobalt et des terres rares comme le néodyme (pour certains aimants), ainsi que le platine nécessaire aux piles à combustible, dont les réserves sont limitées, en attendant de leur trouver des alternatives, et aussi préparer un recyclage des batteries. Tout cela suppose des investissements dans la R&D et la production.                                                


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