Energie : le budget des ménages sous tension
mars 28, 2013 | Posté par Pierre Papon sous Brèves |
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Dans tous les pays le poste énergie pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages et alors que le prix de l’énergie augmente continûment, on parle de plus en plus de la précarité énergétique qui toucherait en France environ 3 millions de ménage. Des études récentes donnent des informations sur la consommation directe d’énergie des ménages français mais aussi sur la consommation dite d’énergie grise incorporée aux biens de consommation ou d’équipement; elle pèse aussi très lourd.
Le secteur du bâtiment
(résidentiel et tertiaire), on le sait, est le poste de consommation d’énergie
finale le plus important en France (42%) comme dans la plupart des pays
d’ailleurs. Ce poste de consommation est suivi par les transports (32%) qui
pèse aussi partiellement sur le budget des ménages. Le débat sur la transition
énergétique met en avant cette question de la consommation d’énergie dans les
bâtiments comme l’avait déjà fait d’ailleurs le « Grenelle » de
l’environnement. Qu’en est-il exactement du budget énergétique d’un ménage
français moyen ? Un très
intéressant rapport du Crédoc permet de répondre à la question (Crédoc
consommation et modes de vie, No 258, mars 2013, Bruno Maresac, La précarité énergétique pose la question du
coût du logement en France, www.credoc.fr)
en montrant que les Français ne sont pas égaux en matière d’énergie. La moyenne
nationale de la dépense d’énergie pour un logement (chauffage, eau chaude,
éclairage, appareils ménagers)
s’élèverait à 1450 €/an. Cette dépense varie beaucoup sur le territoire
national : pour un indice 100 de dépenses, les communes rurales sont à
l’indice 123 et la région parisienne à 73. L’inégalité des conditions de
logement joue beaucoup, l’habitat dans les petites communes étant plus ancien
(construit avant 1975 date à laquelle ont été introduites des normes plus
strictes en matière d’isolement thermique) les dépenses d’énergie pour le chauffage
y sont plus élevées que dans les grandes villes. Les dépenses énergétiques
dépendent aussi fortement de la superficie des logements, ainsi pour un indice
moyen de 100, les logements de plus de 100 m2 sont à l’indice 151 et
ceux de moins de 40 m2 à l’indice 35.
A ces dépenses
d’énergie pour le logement s’ajoutent en général des dépenses en carburant pour
les déplacements (travail, école, courses). Elles sont très élevées pour les
ménages qui utilisent une voiture : 1650 €/an à comparer aux 1450 €/an
pour le logement. On constate que plus de la moitié des ménages qui habitent à
plus de 5 km des commerces dépensent au moins 120 € de carburant par
mois ; les déplacements devenant plus importants du fait de l’éloignement
des zones commerciales par rapport aux centres des villes (avec un urbanisme
dont la laideur est hors concours).
L’enquête du Crédoc
révèle que le tiers des ménages habitant les petites villes et la campagne déclarent
se restreindre régulièrement sur le chauffage et le carburant (le coût du kWh
électrique augmente d’environ 5% par an, ceux du gaz et du carburant ayant eux aussi augmenté
régulièrement). La France est handicapée par un parc immobilier ancien (un
tiers des Français déclarent habiter un logement avec un défaut majeur de
qualité contre seulement 19% des Allemands) consommant beaucoup d’énergie et
par une hausse forte des loyers combinée à un coût levé pour l’achat des
logements. Cet handicap immobilier a un impact socio-économique lourd (qui
existe beaucoup moins en Allemagne car le coût du logement y est beaucoup moins
élevé qu’en France alors que la dépense énergétique y est en revanche plus
forte) qui explique que la précarité énergétique s’accroisse en France et
touche environ trois millions de foyers. On considère qu’un ménage se trouve
dans cette situation de précarité lorsque celui-ci consacre plus de 10% de son
revenu pour l’énergie de base de son logement.
Pour être complet il
faudrait tenir compte de « l’énergie grise » que consomment les
ménages, une consommation qu’a chiffrée l’IDDRI dans un intéressant rapport
(IDDRI, L.Chancelet, P. Pourouchattaamin, Energie grise : la face
cachée de nos consommations d’énergie, Iddri SciencesPo, No 4/123 mars
20123, www.iddri.org). Selon ses auteurs
cette énergie grise qui est incorporée dans les biens de consommation et les
équipements qu’achètent les ménages représenterait les trois quarts de la
consommation quotidienne totale d’énergie d’un ménage français soit 343 kWh par
jour toutes énergies confondues, (et donc l’énergie directe, le quart du total,
correspondant à 83 kWh/jour). Cette énergie grise est incorporée, par exemple,
dans les appareils ménagers (il a fallu de l’énergie pour les fabriquer) mais
aussi dans nos produits alimentaires (le poste transport en représente 40% et
l’alimentation 25%). Ainsi, par exemple, en mangeant tablette de chocolat ou un
œuf de Pâques en chocolat, nous ne récupérons que le quart de l’énergie qui a
été dépensée pour les fabriquer (depuis la récolte des fèves de cacao jusqu’à
sa distribution dans un magasin). Il y a probablement des économies d’énergie
grise à faire (qui ne pèse pas sur le budget énergie des ménages), même si les
estimations du rapport de l’Iddri sont probablement majorées. On relève
d’ailleurs que la France importe avec des produits industriels et alimentaires
une énergie grise d’environ 130 Mtep ce qui correspond à peu de choses près à
la quantité d’hydrocarbures qu’elle importe chaque année.
Que faire ? On
comprend la complexité de l’équation que constitue la transition énergétique
avec les variables : coût de l’énergie, taxes sur l’énergie, économies à
réaliser dans le bâtiment (sans oublier le transport), soutien aux foyers en
position de précarité énergétique. La
rénovation d’un logement ancien pour améliorer son isolation thermique
représente un coût compris entre 10 000 et 20 000 €, la rénovation de 500 000 logements
anciens par an coûterait donc au minimum 5 milliards d’euros. On conçoit que la
question de son financement se pose
sérieusement en période de crise. On observe que les Etats-Unis ont ouvert une
voie intéressante pour les équipements en panneaux solaires
photovoltaïques : en 2012, près des trois quarts des panneaux solaires
installés sur des toits en Californie étaient détenus par un tiers et non par
le propriétaire d’un bâtiment. Ces infrastructures sont financées grâce à un
montage financier qui évite à un particulier une mise de fonds propres
importante et qui est proposé par des sociétés d’investissements (Solar-city, Clean power finance, etc.) créées dans ce but, et qui font en
quelque sorte du « service solaire ». Ces sociétés ont levé des
capitaux auprès de banques (elles peuvent bénéficier de prêts bancaires
intéressants pour des installations dans les « clean tech »), voire
d’entreprises comme Google, et elles proposent aux particuliers de financer
leurs panneaux solaires dont elles sont propriétaires, en se remboursant avec
leurs factures de l’électricité qu’elles leur vendent et celle débitée sur le
réseau ainsi qu’avec des charges pour la maintenance des installations dans le
cadre d’un contrat sur dix ou vingt ans; le particulier trouve, quant à lui,
son intérêt dans une baisse de sa facture d’électricité (Ambassade de France
aux Etats-Unis, Pierre Bouffaron, «Solar
as a service, solar crowdfunding et Battery University, les clean tech n’ont
pas dit leur dernier mot en Californie, Février 2013, www.bulletins-electroniques.com/actualites/72337).
Les sociétés qui se sont lancées dans ce type d’investissements au Etats-Unis
ont réalisé près d’un milliard de dollars de bénéfices en 2012. Cette technique
de financement pourrait-être utilisée pour la rénovation thermiques des
bâtiments et des formes de financement proches sont à l’étude par la Caisse des
dépôts en France. Quant à loi Brottes qui doit être votée par le parlement, qui
instaure une tarification progressive de l’énergie (dépendant de la
consommation) elle devrait sans doute permettre d’alléger les charges
énergétiques de familles en situation de précarité.
Le problème important
du budget énergétique des ménages montre, si c’était encore nécessaire, que la
transition énergétique doit être envisagée dans sa globalité, avec tous ses paramètres,
et qu’elle sera loin d’être un long fleuve tranquille.
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